Karlovy Vary 2016 : le film testament de Jan Němec

Jan Němec, photo : ČT

Avec des films comme ‘Les Diamants de la nuit’ ou ‘La Fête et les invités’, Jan Němec, décédé en mars dernier, s’est imposé comme l’un des cinéastes marquants de la Nouvelle vague tchèque et comme l’un des réalisateurs tchèques les plus importants du demi-siècle écoulé. Son dernier film, « Le Loup de Vinohrady » (« Vlk z královských Vinohrad »), une appellation qui ne désigne personne d’autre que lui-même, était présenté en avant-première mondiale et en compétition au festival de Karlovy Vary, dont la dernière édition s’est achevée voici une dizaine de jours. Pour parler de cette œuvre testament et largement autobiographique, Radio Prague a rencontré Tomáš Michálek, le jeune producteur du film, sans lequel le projet n’aurait peut-être jamais vu le jour…

Tomáš Michálek, vous êtes à l’origine de ce film d’une certaine façon. Pouvez-vous nous raconter la genèse de cette œuvre ? Cela se passe avec ce film Toyen, sorti en 2005, que vous vouliez voir à la FAMU, l’école du cinéma à Prague…

« Je voulais voir son film Toyen, car les films de Jan Němec ne sont presque nulle part. Ils sont enfermés dans le trésor de M. Němec... J’ai donc eu l’idée d’organiser un cours à l’école, à la FAMU, avec lui. Il a accepté et il a apporté la copie, la bobine du long-métrage. Après le film, on a parlé, on a discuté, on avait un master class. Il nous a parlé de ce projet de film. Il disait qu’il avait écrit et publié le livre (un recueil de contes autographiques intitulé ‘Nepodávej ruku číšníkovi’, soit ‘Ne tend pas la main au serveur’, ndlr), mais qu’il était metteur en scène, pas écrivain, et qu’il aurait bien aimé s’exprimer à travers un film. J’étais ravi d’entendre cela. »

Jan Němec  (Foto: Eric Koch / Anefo,  CC BY-SA 3.0)
C’est un film quelque part autobiographique mais qui mélange fiction et réalité. Comment est construit ce film ?

« C’est une mosaïque de sa vie. Jan Němec a voulu mélanger des passages de fiction que nous avons tournés avec des archives d’origine et d’autres archives qu’on a tournées, qu’on a imitées. Il est important de dire que Jan Němec insistait pour dire que ce n’est pas un film sur lui, mais un film sur John Jan, un personnage de metteur en scène fictif. Mais bien sûr, on sait que cela se rapporte à lui. »

Ce film a en partie été tourné à Karlovy Vary. Il y a une symbolique à être ici à Karlovy Vary. Jan Němec y a reçu un Globe de cristal en 2006 pour sa contribution au cinéma. Qu’est-ce que cela représente pour vous le fait de présenter ce film à Karlovy Vary ?

‘Le Loup de Vinohrady’,  photo : MasterFilm
« Pour nous, c’est très important parce que pour M. Němec considérait Karlovy Vary comme son domicile, il était ici chez lui. C’est quelque chose qu’on voit aussi dans le film : il a beaucoup voyagé, il a dû quitter la Tchécoslovaquie, etc. et quand il est revenu en République tchèque, il a dit qu’heureusement, enfin, il était chez lui. D’autant plus qu’on vient d’organiser avec le festival de Rotterdam une grande rétrospective qui sera montrée en janvier. Et ‘Le Loup de Vinohrady’ aura sa première internationale hors République tchèque à l’occasion de ce festival. »

Il y aussi une histoire avec le festival de Cannes puisque Jan Němec a participé à la fameuse édition 1968 du festival, qui n’a pas eu lieu alors qu’il avait des chances de remporter la Palme d’or. Vous pouvez nous raconter cet épisode ?

‘La Fête et les invités’,  photo : ČT
« C’est la première et la dernière fois où les Tchèques ont eu trois films en compétition. Il y avait le film de Jan Němec, ‘La Fête et les invités’, Miloš Forman avec ‘ Au feu les pompiers’ et Jiří Menzel avec ‘L’Eté capricieux’. L’histoire, c’est qu’ils sont allés là-bas et qu’ils espéraient recevoir des prix, remporter la Palme, mais des intellectuels français comme Godard ou Truffaut ont interrompu le festival. C’était foutu, c’était un échec énorme pour notre délégation. Mais heureusement, Jan Němec a réussi à vendre des saucissons, de la bière et des liqueurs, donc il a reçu quelques prix lors de son retour en République tchèque... »

‘Le Loup de Vinohrady’,  photo : MasterFilm,  Jiří Mádl à gauche
Donc tout n’était pas perdu…

« Oui, tout n’était pas perdu, comme on dit : ‘not bad at all’. »

Il est aussi intéressant de constater que dans ce film, il y a un jeune acteur comme Jiří Mádl, qui incarne une nouvelle génération d’acteurs tchèques et qui joue le rôle de John Jan, il y a de jeunes producteurs comme vous, toute une nouvelle génération autour de quelqu’un, Jan Němec, qui a été une des figures majeures sinon la figure majeure de la Nouvelle vague dans les années 1960. Comment s’est passé l’articulation entre ces deux générations ?

Jan Němec,  photo : ČT
« C’est essentiel, c’est quelque chose que je trouve génial parce qu’on a vraiment suivi le chemin de M. Němec. Il n’a pas cessé de nous apprendre des choses. Toutes les personnes qui ont travaillé sur le film ont voulu suivre son chemin. »

Jan Němec est décédé au mois de mars dernier. A quel stade était le film à ce moment-là et comment en avez-vous achevé la production et la réalisation ?

« Jan Němec est décédé en mars et deux jours avant son décès il était encore en train de monter le film. Il nous a laissé un ‘rough cut’, une préversion du film, à partir de laquelle nous avons poursuivi le travail. Il nous a laissé quelques notes manuscrites et nous avons voulu ne rien changer, continuer et finir le film comme il le souhaitait, tel qu’il l’avait coupé. »

Jan Němec avait la réputation d’être assez dur au travail. Comment s’est déroulée la collaboration avec lui ?

« C’était intéressant, c’était amusant et inspirant. Mais c’était dur, c’est vrai. Il a des exigences. Il est perfectionniste et très souvent il n’était pas satisfaisait avec certaines choses, par exemple avec le décor… On a dû le repeindre… Il disait : ‘On fait un film professionnel ! On n’est pas des amateurs ! Qu’est-ce que vous faites !? Il faut y aller, il faut le changer immédiatement !’ C’était marrant parce que ce n’est pas méchant. Il adorait le film et il exprimait ce qu’il voulait. Il avait besoin que tout le monde soit prêt à fournir de l’aide immédiatement. Comme il disait : ‘on fait un film professionnel’, comme il l’a fait durant toute sa vie. »

Tomáš Michálek,  photo : Film Servis Festival Karlovy Vary
Pendant toute sa vie, il a traversé la période des années 1960, la libéralisation, la normalisation, l’exil, le retour dans la Tchécoslovaquie puis la République tchèque démocratique. Y-a-t-il une continuité dans ses films qui dépasserait ces changements continuels dans sa vie ?

« Bien sûr. Dans ce film, il y a des extraits de ses films. C’est l’histoire de Jan Němec, c’est un testament, donc il y a beaucoup de liaisons avec ses films. Sa vie, ce sont des films. Voilà pourquoi il a voulu tout mélanger. »