Kingdom Come Deliverance : la Bohême du XVe siècle en jeu vidéo
La Tchéquie est en passe de se faire un nom dans l’univers du jeu vidéo. Il y a tout juste un mois sortait sur PC et sur consoles Kingdom Come Deliverance, un jeu de rôle à l’ambition démesurée puisqu’il propose ni plus ni moins que de vivre l’aventure la plus réaliste possible dans la Bohême du début du XVe siècle. Radio Prague a pu visiter les locaux de Warhorse Studios, la société de développement qui se cache derrière le projet…
Fait unique pour une entreprise de jeux vidéo en République tchèque, elle dispose de son propre studio de capture de mouvement, qui a vu passer des dizaines d’acteurs de plusieurs nationalités. Tobias Stolz-Zwilling, le responsable des relations presse, est notre guide :
« Je pense qu’il aurait été possible de réaliser ce type de jeu n’importe où. C’est simplement que personne auparavant ne s’est lancé dans un tel projet. Beaucoup de systèmes que nous avons dans le jeu, ou simplement ce concept d’un jeu qui doit être réaliste et historiquement fidèle, sont des choses relativement uniques. »
Il a fallu tout l’entêtement de Daniel Vávra, un acteur bien connu de l’industrie vidéoludique en Tchéquie, puisqu’il était déjà responsable des deux premiers opus de la série Mafia, et de son acolyte Martin Klíma pour que le projet puisse voir le jour. A l’époque, en plein marasme économique, il avait fallu avoir recours à un appel au financement participatif pour convaincre des investisseurs de soutenir le studio. Au final, le budget du jeu se serait élevé à prêt de 30 millions d’euros.
Le forgeron Henri, pris dans la tourmente du conflit entre Venceslas et Sigismond
C’est bien ce qu’il fallait pour permettre de recréer un coin du sud-est de la Bohême, aux alentours de la rivière Sázava et de la localité du même nom, jouable sur 16 km2 dans la peau d’un jeune forgeron répondant au nom de Jindřich dans la version tchèque, de Henri, dans la française :« Kingdom Come Deliverance est l’histoire d’un forgeron qui, au début du jeu, perd tout. Il vit à Stříbrná Skalice, un village qui est attaqué et brûlé par les troupes de Sigismond de Luxembourg, qui tuent les amis et la famille du héros. En tant que joueur, vous fuyez de cet endroit et vous allez entrer au service de Radzig Kobyla, un noble de Talmberk, non loin de votre foyer. Il va vous confier certaines tâches qui vont vous amener à vous impliquer dans la lutte contre Sigismond de Luxembourg. »
L’intrigue du jeu se déroule en l’an 1403, à une époque où Jan Hus commence à prêcher à Prague et où s’affrontent les fils de l’empereur Charles IV, Venceslas IV, sur le trône de Bohême, et Sigismond, sur celui de Hongrie. Celui-ci a fait prisonnier son demi-frère et tente de prendre le pouvoir sur les pays tchèques, une histoire suffisamment documentée pour fournir de la matière aux concepteurs du jeu, mais dont les zones d’ombre sont également importantes pour laisser libre court à leur créativité.Mais le réalisme historique ne repose pas simplement sur le respect du contexte politique du début du XVe siècle. Tout est pensé pour être le plus réaliste possible : le joueur doit s’alimenter et se reposer, il peut s’alcooliser ou s’intoxiquer, le temps s’écoule et a des conséquences logiques sur le comportement des personnages et de l’univers recréé.
Véracité historique vs plaisir de jeu
Les développeurs se sont adjoint les services d’historiens, pour coller au plus proche de ce que pouvait être la Bohême et la vie de ses habitants, afin que les marchands, les charbonniers, les herboristes, les forgerons, les taverniers, etc. vaquent tous normalement à leurs activités. Cela n’a pas été sans poser des questions en termes de gameplay, comme le raconte Martin Ziegler, technical designer sur le jeu :« Nous avons par exemple essayé de recréer tous les gens dans les villages et qu’ils fassent en sorte de faire des activités qu’ils feraient vraiment au Moyen Âge. Nous avons donc fait beaucoup de recherches pour savoir comment les gens passaient le temps au Moyen Âge. Encore une fois, nous avons dû faire beaucoup de compromis. Par exemple, il était beaucoup plus difficile de faire des courses, d’acheter des trucs, au Moyen Âge. Il n’y avait pas vraiment de magasins dans ces villages. »
Les équipes du jeu ont donc pris le parti d’inclure des boutiques dans des hameaux où elles étaient normalement absentes. Des dilemmes qui se sont multipliés au cours du développement. Comment maximiser l’aspect ludique du jeu en nuisant le moins possible à la véracité historique ?
« On essaie toujours de résoudre ces sortes de conflit en faveur du joueur, pour que le jeu soit amusant et facile à jouer. Il y a eu beaucoup de ce type de conflits. Par exemple, les maisons au Moyen Âge étaient beaucoup plus petites que celles que nous avons dans le jeu. »Mais, problème, les personnages du jeu se déplaçaient trop difficilement dans ces maisons de petites dimensions. Autre entorse à la réalité : un coup d’épée bien placé entre les deux yeux ne suffit pas forcément à trucider un adversaire dans le jeu. Pourtant, le système de combat est lui-même novateur, puisqu’il prend en compte de multiples caractères physiques réalistes. C’est ce qu’apprécie particulièrement Tobias Stolz-Zwilling :
« Je dois dire que j’adore le système de combat du jeu, même si ce n’est pas un jeu de combat à proprement parlé. Vous pouvez vous en sortir sans avoir recours à la force. Pour autant, j’aime beaucoup ce système qui est très tactique. Vous devez analyser votre adversaire et quand vous l’emportez face à un ou deux adversaires, vous avez un vrai sentiment de satisfaction. »
Martin Zieger, lui, est fier de l’univers recréé, qui comprend notamment une reconstitution très fidèle de l’aspect médiéval du monastère de Sázava :
« Un autre aspect que j’aime vraiment dans notre jeu, c’est le monde ouvert qui est continu. Il n’y a pas de loading, de temps de chargement. C’était vraiment difficile à réaliser mais finalement cela marche à peu près comme nous l’espérions. »A peu près, car Kingdom Come Deliverance, globalement salué par la critique à sa sortie, a toutefois été pointé du doigt pour les nombreux bugs qui entachent l’expérience de jeu. Warhorse Studios a donc encore du pain sur la planche pour gommer ces erreurs, et pour proposer davantage de contenu à une œuvre qui témoigne tout de même de la vitalité de l’industrie vidéoludique en Tchéquie et de la capacité du jeu vidéo à servir à la vulgarisation de la connaissance historique.