Les Tchèques au festival du jeu vidéo Meet and Build 2019 : une aventure multijoueur
Se rencontrer et construire, voilà comment on pourrait interpréter le crédo du festival du jeu vidéo « Meet and Build » qui se tenait le 23 novembre au Quai 10 à Charleroi en Belgique. Pour sa cinquième édition, le festival a mis en lumière l’industrie des jeux vidéo tchèques avec de nombreux invités des plus grands studios de développement.
Parmi les vingt conférences du festival « Meet and Build », six étaient tchèques cette année. Venus tout droit de Tchéquie, des développeurs et autres représentants de l’industrie du jeu vidéo se sont relayés dans les quatre salles du Quai 10 pour aborder des thèmes tels que l’approche historique à travers les jeux vidéo, l’art de la communication, le financement du secteur ou encore les techniques de design et de développement.
Une aubaine pour l’industrie tchèque qui trouve la plus grande partie de son public à l’étranger. Pour Pavel Barák, président de l’Association des développeurs de jeux tchèques à Prague, l’intérêt porté aux créations tchèques par les joueurs du monde entier ne l’étonne plus :« Pour moi, ce n’est pas si surprenant que ça. Tout cela fonctionne sur un marché global, les joueurs sont partout et souvent, ils ne distinguent pas beaucoup les jeux suivant leur pays d’origine. Pour nous, c’est une vraie aubaine car nous diffusons un message tchèque à travers le monde. Donc on peut considérer que ces titres tchèques, au regard de notre taille parmi les autres pays, s’en sortent plutôt bien. C’est le cas par exemple de Kingdom Come : Deliverance qui est en somme un jeu sur la Tchéquie du XVe siècle, et qui a été beaucoup relayé dans les médias tchèques et en tant qu’association, nous l’aidons aussi à s’intégrer dans le marché national. 3% des copies ont été vendues en République tchèque, ce qui, d’un côté semble peu mais qui, à l’échelle mondiale, où nous ne sommes qu’un pays de 10 millions d’habitants parmi les 8 milliards sur Terre, reste important. »
Un rayonnement européen et même mondial donc, qui explique ce focus régional. Jitka Pánek Jurková, directrice du Centre tchèque en Belgique est, avec le curateur Julien Annart, à l’initiative de la rencontre entre les deux pays et se dit fière que la Tchéquie soit si bien représentée. Elle revient sur les enjeux de cet événement :« La cible de ce festival était Charleroi qui a connu la crise après la faillite de l’industrie lourde, afin de repositionner la ville dans le secteur de l’informatique. Il y a un an, nous avons commencé à parler avec ce festival de la possibilité de présenter un panorama des jeux vidéo tchèques. Je suis vraiment très heureuse que l’on ait réussi à mettre sur pied un programme qui consiste en une exposition de dix jeux vidéo tchèques en présence d’intervenants qui viennent des studios tchèques les plus connus comme Beat Games, Amanita Design ou Bohemia Interactive, ainsi qu’un programme professionnel de rencontres entre des institutions tchèques et belges. »
Promouvoir la Tchéquie à travers les sciences, la culture et l’éducation : voilà le défi que doit relever le Centre tchèque basé à Bruxelles qui organise plusieurs dizaines d’événements par an autour des arts performatifs ou encore des technologies scientifiques. Cette année tout particulièrement, Jitka Pánek Jurková explique que l’accent a été mis sur l’industrie tchèque du jeu vidéo avec le festival comme événement majeur du Centre tchèque. Etaient donc présents le Centre d’innovation de la Moravie du Sud qui présentait sa stratégie pour soutenir le secteur dans cette région, ainsi que les deux associations tchèques de développeurs de Brno (GameDev Area) et de Prague (GDACZ). Pavel Barák, à la tête de cette dernière se montre optimiste quant au potentiel de développement de ce pan de l’économie tchèque :« Je dirais que oui, même si c’est une question piège car l’industrie du jeu vidéo est très large. Vers la fin des années 1990 et le début des années 2000, on a rencontré un franc succès. Je dirais que dans le secteur mobile qui fait également partie de l’industrie du jeu vidéo, nous avons un léger retard à rattraper dans le développement. C’est vrai que nous avons quelques studios importants comme Geeva à Prague ou Madfinger Games à Brno qui se portent très bien mais ce qui se passe, dans notre cas, c’est que beaucoup de studios survivent comme Bohemia Interactive avec sa série ArmA (série de jeux vidéo de tirs, ndlr) ou son jeu DayZ (jeu de simulation de survie dans un monde « post-apocalyptique-zombie », ndlr) qui lui aussi a eu un énorme succès dans le monde. Ce que tous ces titres ont en commun, c’est d’avoir été développés récemment, au cours des cinq dernières années. Je dirais que celles-ci ont été couronnées de succès mais je pense aussi qu’il y a encore de l’espace pour se développer, que l’on peut toujours faire mieux. »Et c’est justement pour accroître la compétitivité tchèque dans ce domaine que l’Association des développeurs de jeux tchèques se fait le porte-parole des studios et s’attelle à défendre leurs intérêts, à les conseillers sur le plan législatif, commercial. Mais son défi consiste aussi dans le fait de porter les développeurs sur la scène internationale. Un pari réussi d’avance selon Jitka Pánek Jurková pour qui le cadre même de la conférence représentait une victoire :
« Les deux scènes, la scène tchèque et la scène belge ne se connaissent que très peu, donc pour nous le dialogue interculturel représente déjà un bon début. De plus, on présente des jeux très variés dont Svoboda 1945 ou des jeux développés par Amanita Design qui sont éducatifs. On veut montrer qu’un jeu vidéo c’est juste un médium, comme un livre, comme d’autres formes artistiques ou technologiques et il y a beaucoup de buts pour lesquels il peut être utilisé. »La diversité des jeux présentés au festival n’est effectivement pas ce qui a manqué. Depuis le récemment célèbre jeu de sabres lasers en réalité virtuelle augmentée, Beat Saber par les studios Beat Games, jusqu’à Kingdom Come : Deliverance de Bohemia Interactive, un « role player game » d’exploration de la Bohême à la première personne, en passant par le mignon « point and click » Chuchel, la petite boule de poils et de poussière qui évolue dans un monde merveilleux, la programmation avait de quoi ravir toutes les papilles.
Un panorama riche du jeu vidéo tchèque dont plusieurs permettent d’aborder la culture de la Tchéquie sous un angle différent. C’est le cas notamment des jeux « point and click » Attentat 1942 et Svoboda 1945 développés par les studios Charles Games de l’Université Charles à Prague. Alors que le premier, sorti il y a deux ans, suit l’histoire de Jindřich Jelínek sous l’occupation nazie au moment de l’attentat contre Reinhard Heydrich, à travers les yeux de son petit-fils que le joueur incarne, le second jeu en cours de développement abordera la libération de la Tchécoslovaquie par l’Armée rouge. Les jeux vidéo prenant pour contexte la Seconde Guerre mondiale sont nombreux mais pourtant, Lukáš Kolek, l’un des développeurs de la petite équipe, explique comment ces créations se distinguent des traditionnels jeux de guerre :
« Le fait est qu’ils n’exploitent pas les aspects de la guerre qui ne sont pas attrayants comme les luttes civiles ou n’importe quelle autre dimension psychologique comme la dépression. C’est à partir de cette idée que nous voulions développer un format qui traite de ces données sous-représentées dans les jeux de guerre. C’est le principal objectif sur lequel Attentat 1942 et Svoboda 1945 mettent l’accent. Les scénarios sont en grande partie inspirés d’histoires personnelles de ceux qui ont survécu à ces périodes-là et se basent également sur des recherches historiques sous une approche compréhensive. C’est ici que nous bénéficions grandement de notre coopération avec des historiens de l’Académie des sciences. »Si le développeur bénéficie d’une grande liberté de création qui s’illustre notamment sur le format original du jeu qui mêle l’inspiration Full Motion Video et l’esthétique de bandes dessinées, le contenu doit cependant satisfaire toutes les parties prenantes. Ainsi, lorsque des choix s’offrent au joueur, il ne s’agit pas de réécrire l’Histoire mais plutôt de la questionner en interagissant avec elle. Il s’agit d’explorer des souvenirs en rencontrant des survivants interprétés par des acteurs et ainsi revivre le passé avec intensité :
« Nous ne voulons pas raconter une histoire manichéenne dans le sens où il y avait d’un côté les héros et de l’autre les méchants. Nous voulons donner une perspective plus complexe et offrir la possibilité à nos joueurs d’interagir avec l’Histoire, discuter avec des témoins oculaires et leur permettre de créer leur propre avis critique sur le passé, sur ce qui s’est passé et les motivations des gens alors. »C’est donc sur le thème de l’enseignement et de l’histoire à travers les jeux vidéo que Lukáš Kolek a partagé la scène samedi avec le belge Gaël Gilson dont les recherches portent sur l’apprentissage informel par expérience virtuelle (https://luduminvaders.com/). Mais ce déplacement a été également l’occasion pour le développeur de rencontrer l’eurodéputé tchèque Martina Dlabajová membre de la commission de l’Industrie, la Recherche et de l’Energie (ITRE) au Parlement européen. Ce programme du 22 novembre organisé en coopération avec le CEBRE qui représente les entreprises tchèques auprès de l’Union européenne, était l’occasion pour les invités de poser des questions à leurs représentants quant à l’avenir de ce secteur en expansion. Et lorsque l’on demande à Lukáš Kolek si le studio Charles Game est en expansion, il répond :
« Bien sûr ! En ce moment nous travaillons sur Svoboda 1945 qui sortira plus probablement à l’automne prochain, ainsi que sur une version mobile d’Attentat 1942. Mais nous gardons quelques idées de jeux pour un futur proche. L’un d’eux fera partie de la série et se concentrera sur le régime communiste et notamment les persécutions pendant les périodes du Printemps de Prague et de la normalisation en Tchécoslovaquie. »