KoresponDance : « A Žďár, nous voulons garder une ambiance familiale »
Rendez-vous estival de la danse contemporaine, du théâtre de mouvement et du nouveau cirque, le festival KoresponDance se déroule du 14 au 17 juillet au château de Žďár nad Sázavou. Entretien avec Marie Kinský, fondatrice du festival KoresponDance.
Marie Kinský, nous fêtons les dix ans du festival KoresponDance, peut-on faire un bilan de cette décennie ?
« Cela fait 10 ans depuis que nous avons transféré le festival à Žďár, ce que j’estime être la vraie naissance de ce festival. Il y avait eu déjà trois éditions précédentes à Prague dans le cadre d’un projet européen que nous avions initié et qui se terminait par un joli festival itinérant entre plusieurs pays. C’était donc important à la fois pour le soutien des artistes et la visibilité des pays européens au sein de l’Europe même. C’est donc une chose que nous avons gardée dans le festival car nous l’avons transféré dans la région de la Vysočina.
Maintenant si je dis que c’est la vraie naissance du festival quand nous sommes arrivés à Žďár c’est parce que nous avons été confronté à un problème que nous voyons aujourd’hui comme quelque chose d’assez drôle puisque nous l’avons résolu, à savoir que nous proposions un festival de danse contemporaine, de nouveau cirque et de théâtre de mouvement, la seule chose un peu connue en Vysočina mais le reste était complètement inconnu dans la région à part pour quelques personnes. C’était un beau pari qui nous a demandé de transformer le festival tout en gardant ce côté international et l’envie de faire partager les cultures dans une région avec peu de présence culturelle autre que tchèque.
Si je regarde en arrière, la première édition du festival en 2013 avait 800 entrées spectacle grâce à un travail avec les communautés locales mais en 2019, avant le Covid-19, nous sommes montés à dix fois plus. En sept ans, nous avons décuplé la présence au festival grâce à un travail passionnant avec les communautés pour faire comprendre que la danse contemporaine peut leur rapporter et cela produit non seulement un public mais aussi des spectacles, ce qui est très présent dans la dramaturgie du festival aujourd’hui.
Le troisième axe qui est très présent dans la programmation et qui est possible grâce au transfert du festival, c’est le côté ‘site specific’ et ‘in situ’ du festival. A Žďár, il y a le théâtre municipal mais qui n’est pas adapté pour la danse et donc dès le départ nous avons voulu utiliser les lieux tels qu’ils sont comme cadre pour les spectacles. Nous avons donc créé des spectacles en dialogue avec les lieux, in situ, qui permettent de révéler des lieux merveilleux par la danse, le cirque ou même la musique. Nous proposons aussi au public des spectacles qui sont spécifiques, qui mettent en relation des architectures spécifiques avec des spectacles et en même temps, relient les communautés. Les spectacles sont donc coproduits avec les gens du lieu et les artistes. »
Ce dixième anniversaire intervient après deux ans de pandémie et d’interruption du calendrier culturel. Comment avez-vous vécu ce passage à vide ? Je sais que vous n’êtes pas restée inactive, KoresponDance avait été adapté et transformé en fonction de la situation mais j’imagine que c’est quand même un sacré défi d’être face à une situation si exceptionnelle...
« Le savoir-faire des équipes culturelles tchèques, c’est la résilience et je remercie tous les membres de l’équipe qui ont travaillé avec moi à la réalisation car nous avons tenu le programme en 2020 et en 2021. En 2020, nous avons fait cinq versions différentes du festival pour être absolument up to date sur la situation sanitaire et nous avons eu une affluence record par rapport à l’affluence limitée que nous pouvions avoir. C’est donc un signe de la créativité de l’équipe pour faire un programme possible en pleine pandémie mais aussi du public qui a répondu présent. C’est une année que nous n’oublierons pas - de façon positive.
La pandémie nous a aussi appris à créer des spectacles à la fois en ligne et en présentiel, ce qui nous permet des projets de plus grande envergure car nous n’avons pas besoin de la présence des gens sur place.
Enfin, nous avons pu co-construire des projets qui s’ajoutent aujourd’hui à la programmation comme la création de films. En effet, une des versions du festival était en ligne mais sans captation, ce qui a permis de faire des vidéos du festival. Aujourd’hui, nous avons donc un joli package de films que nous allons proposer au public pour les dix ans du festival, comme une rétrospective. La pandémie a donc permis la création de petits films pour les spectacles, utile pour la promotion à l’étranger. Donc en cela, la pandémie a eu du bon. En 2021, nous avons aussi eu des formats différents du festival avec le retour de la pleine capacité du public. »
Votre festival a montré une vraie capacité d’adaptation face à la pandémie. Est-ce qu’il y a eu des débats entre des acteurs et des institutions comme l’Etat pour trouver des solutions pour des artistes qui se sont retrouvés sans emploi car tout était fermé ?
« Effectivement, je peux saluer la résilience du ministère tchèque de la Culture au moment de la pandémie et la variété de programmes mis en place pour essayer de pallier les problèmes. Il y a eu des concertations entre les organisations professionnelles dont l’une que je représente, Vize Tance, qui s’occupe des arts indépendants et de la culture du mouvement et le ministère pour pouvoir résoudre pas mal de problèmes liés à la pandémie, au niveau des individus, les artistes mais aussi les organisations. Il y a donc pas mal de compensations qui ont été faites.
La deuxième chose importante c’est l’implication de l’Union européenne, qui a fait le choix non pas de dédommager mais de restructurer à long terme les infrastructures culturelles. C’est ce que l’on appelle le Národní plan obnovy, le plan national pour la reconstruction, dont les appels à projet commencent à arriver et qui redessine le paysage culturel tchèque.
Nous avons donc une résilience des équipes en interne mais aussi au niveau de l’tat et de l’Europe. Malgré quelques difficultés administratives, beaucoup de choses se sont faites durant ces deux années difficiles. »
Comment avez-vous décidé de fêter ses dix ans avec la programmation?
« La programmation tourne beaucoup autour du chiffre 10, il y a une rétrospective de dix films que nous avons produits, mais aussi les trailers des festivals, des images avant et après pour montrer le cheminement de la dramaturgie et de l’identité du festival, qui est aujourd’hui très forte et reconnue à l’international.
D’autre part, nous avons essayé d’inviter dix pays mais nous n’avons pas complétement réussi car nous en avons invité onze et un spectacle en représente neuf de plus donc en réalité cela fait deux fois dix. Les pays viennent de trois continents différents et une forte présence africaine qui a un lien avec ce que nous essayons de développer depuis plusieurs années thématiquement entre le baroque et la tradition africaine car il y a un lien fort du point de vue artistique mais aussi avec la population. Nous avons réinvité des personnes qui étaient déjà venues, il y a donc une résurgence de programmation mais nous allons également de l’avant avec des thématiques importantes pour la région où a lieu le festival.
Cela fait plusieurs années que je travaille à la relation entre les arts et l’entreprise et au cours du festival qui va se dérouler à deux endroits simultanément, dans des endroits industriels, en collaboration avec les gens qui travaillent sur place pour ne pas envahir les endroits désaffectés. Pour cette dixième édition, je suis très heureuse de lier des anniversaires, le centenaire d’une des entreprises partenaire et des projets complètement artistiques, du nouveau cirque et de la danse contemporaine, qui associe les ouvriers aux équipes techniques de production et administratives des entreprises. Nous fêtons donc avec les gens les dix ans de leur entreprise et du festival. »
L’originalité du festival est qu’il se déploie en ‘site specific’, quels sont les défis organisationnels de cette approche ? Cela doit être difficile de monter un spectacle dans un lieu donné, il faut que les artistes puissent venir s’imprégner du lieu etc…
« Alors cette année nous avons encore augmenté le défi car le site specific se déroule à Prague et a Žďár sur plusieurs types de lieux différents et nous espérons des lieux dans la ville industrielle de Žďár mais aussi deux lieux industriels, un qui fabrique des câbles et l’autre des cadenas : d’ailleurs en tchèque, le mot cadenas est le même que le mot château, zámek, et le troisième lieu que nous espérons est un château, un lieu historique qui date du XIIIe siècle et renouvelé au XVIIIe et dont l’histoire est révélé par les artistes. En parallèle, nous utilisons aussi le thème de l’eau, qui est très présent en Vysočina et ce, avec l’écologie. Nous avons donc beaucoup de lieux différents qui résonnent grâce à la programmation.
Pour la question organisationnelle, il faut séparer deux thèmes, les spectacles ‘site specific’ et le ‘in situ’ et c’est le travail de la programmation de choisir des spectacles en lien avec les lieux. Ensuite, nous avons un travail avec les équipes techniques et artistiques pour que, soit en allant voir le lieu, soit en ayant des vidéos, les artistes puissent adapter la scénographie ou des éléments du spectacle pour créer un dialogue avec le lieu. Donc ça c’est plus du travail de production en amont. L’autre chose qui demande beaucoup de travail passionnant c’est le travail ‘site specific’ qui nous fait produire des spectacles. Nous ne sommes donc plus dans l’accueil mais dans la production d’œuvres faites pour le festival. Cette année, nous produisons cinq spectacles différents qui regroupent des équipes d’artistes internationaux et des locaux, tout cela a Žďár, sur le lieu même. »
Comment vous envisagez les dix années à venir ?
« Je pense que nous avons trouvé une identité très forte au festival et je pense continuer dans cette triple direction tout en diversifiant nos partenariats internationaux qui sont déjà riches et les cibler encore plus sur les thématiques que nous développons à l’intérieur du festival. Je suis également très heureuse de développer les partenariats, non seulement avec des lieux tchèques à Žďár mais aussi grâce à des envies de collaborer avec nous de la part de partenaires autour de Žďár pour développer ensemble le festival.
Je voudrais également garder une autre caractéristique du festival, son côté intime. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de grande production mais nous voulons garder une ambiance familiale, avec de la communication intense. Nous allons donc augmenter le nombre de petits modules qui seront aussi dans d’autres lieux en Vysočina. »