Marie Kinsky : « La danse contemporaine, une approche avant tout sensible »
Du 3 au 5 juillet se déroule le festival de danse contemporaine KoresponDance. Depuis quelques années, il a quitté Prague pour aller creuser son trou dans la très jolie petite ville de Žďar nad Sázavou, profitant d’un site baroque unique pour se déployer dans et hors les murs. Rencontre avec Marie Kinsky, directrice du festival.
« La première fois que nous nous étions rencontrées, le festival KoresponDance était l’aboutissement d’un projet européen que nous avions monté. C’était un festival itinérant entre différentes villes d’Europe partenaires de ce projet. C’était une étape du festival. Nous avons décidé de poursuivre l’aventure au-delà du projet européen, de garder les partenaires que nous avions et en même temps d’en faire un festival en région. C’est ce que nous avons fait depuis trois ans, en gardant l’internationalité, la qualité artistique et en augmentant tout ce qui est travail de territoire, travail avec les habitants du lieu. Il s’agit de faire travailler ensemble des artistes de renommée internationale et des amateurs ou des professionnels locaux. »
En région, cela veut dire à Žďar nad Sázavou. Pour ceux qui ne connaissent pas, pouvez-vous nous dire où ça se trouve en République tchèque et pourquoi vous avez choisi ce lieu ?
« Žďar nad Sázavou est à la frontière entre la Moravie et la Bohême, dans la région de la Vysočina. C’est un lieu un peu en hauteur avec un climat un peu rigoureux, mais d’une extrême beauté. Le festival a lieu dans une ancienne abbaye de fondateur, donc à la fois une abbaye cistercienne et un château, les deux sont combinés, ce qui est assez fréquent dans les lieux cisterciens. Nous avons décidé de le revitaliser. Il existe évidemment une vie locale, mais l’idée était de le transformer et d’en faire vraiment quelque chose d’internationale, d’augmenter la fréquence et la qualité des activités culturelles, de faire vivre ce lieu par l’art et la présence d’artistes, que ce soit par le festival, ou par des résidences d’artistes, par une fédération d’entreprises autour de la culture. Il y a donc vraiment un gros travail autour de la culture dans cette région pour rendre ce lieu vivant et visible au niveau régional, national et international. »C’est intéressant, car souvent les événements culturels se concentrent à Prague, dans la capitale, même si évidemment il y a des choses qui se passent en région. Comment les gens de Žďar nad Sázavou ont-ils réagi à ce projet complet ?
« J’ai oublié de parler de quelque chose qui est important : cet été nous allons ouvrir le premier centre d’interprétation sur des bases historiques, de République tchèque. C’est un gros musée avec un concept complètement novateur par rapport à ce qui se fait en République tchèque. Nous avons donc une approche de la culture qui est assez complète. Les habitants de Žďar nad Sázavou commencent doucement à comprendre où nous allons, avec eux. Bien évidemment, la population est toujours partagée. Il y a ceux qui pensent que la culture est quelque chose de parfaitement inutile, dispendieux et inintéressant. Et il y a ceux qui suivent, dont la mairie de Žďar. C’est une très grande chance. Dans toutes les actions que nous faisons, nous essayons vraiment de les faire avec la population locale, avec des bénévoles, des amateurs, des professionnels du lieu, pour qu’ils soient impliqués, que ce soit leur projet. Ce n’est pas notre projet, c’est le projet de Žďar. »
Comment fait-on suivre le public jusqu’à Žďar nad Sázavou? J’imagine que vous aviez un public à Prague auparavant…« Nous essayons de parler notamment, autant que possible, de la spécificité du festival. Il est hors théâtre. Nous avons décidé de garder ce lieu d’architecture baroque et un des principes des arts vivants à l’époque baroque qui est de ne pas confiner dans un lieu particulier surtout lorsqu’il s’agit de public. L’écrin du festival, c’est le château dans son ensemble, pas une salle de théâtre. »
Vous faites donc vivre tout le lieu pendant le festival…
« C’est faire vivre tout le lieu en effet. C’est utiliser les cours, les caves, les garages, les écuries. Il y aura quand même deux spectacles qui seront en salle de théâtre. Mais sur les neuf spectacles du programme principal et la dizaine de petits programmes d’accompagnement, il n’y a que deux événements qui seront dans une condition de théâtre. Tout le reste se passe en extérieurs, dans des lieux non-traditionnels et en ville aussi. Ce n’est pas le festival du château, c’est le festival de Žďar nad Sázavou avant tout. »
Venons-en au festival en tant que tel. Il se déroule cette année du 3 au 5 juillet. Au programme, vous avez notamment les frères Forman, avec leur magnifique spectacle Obludarium. Comment liez-vous ce spectacle avec la danse, même s’il y a des chorégraphies dans leur spectacle ? Comment est venue cette envie de collaborer avec ces deux artistes ?
« Effectivement, les frères Forman viennent présenter Obludarium. C’est d’ailleurs l’unique possibilité de voir ce spectacle en République tchèque cette année. Nous avons donc beaucoup de chance ! Notre festival est à cheval sur la danse, les arts du mouvement, le théâtre physique donc, et le nouveau cirque. Donc les frères Forman rentrent parfaitement dans ce cadre. D’autant plus qu’ils ont un spectacle relativement baroque avec éléments de marionnettes, de nouveau cirque, une façon de traiter avec le public qui est très directe. C’est absolument magique et merveilleux et c’est un spectacle qui correspond parfaitement à la dramaturgie du festival. Une dramaturgie faite pour les familles et accessible à tous. »Parmi les autres invités dont on peut parler, il y a le spectacle Lumen, de Dominique Boivin et son ensemble Beau geste. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce spectacle ?
« Cette année il vient avec un spectacle absolument extraordinaire, Lumen, donc… Une nacelle, soit ces grands instruments de 16 mètres de haut qui se déplient et qui sont fait pour laver les carreaux des immeubles, va à la fois danser et éclairer trois danseurs. Le duo est donc entre la machine et l’homme. Ce sont trois danseurs acrobates qui vont interférer avec la machine et en même temps être éclairés, comme un gigantesque cyclope. »Quelques autres idées de spectacles ?
« Il y aura la possibilité de découvrir la nouvelle création de Béatrice Massin qu’elle fait pour le festival. Cette création va lier le site baroque à la création contemporaine. Un de nos ‘mottos’, de nos mantras, dans ce lieu, c’est que l’histoire est la base notre créativité contemporaine aujourd’hui. Je vous parlais de Lumen avant, c’est la même chose. Quels sont les principes du baroque, de l’histoire ? Sur quels types de principes historiques nous appuyons-nous pour la créativité d’aujourd’hui ? La personne qui va faire le pont magnifique, c’est Béatrice Massin, avec six danseurs qui sont aussi des chorégraphes tchèques de renom comme Andrea Miltnerová, Bára Latalová… des gens qui ont une vraie place sur la scène tchèque. Il y aura aussi six amateurs qui ont eux aussi un bon niveau et qui sont de Žďar. Ils vont faire un spectacle qui va s’appuyer sur l’histoire baroque, sur une partition de danse baroque qui va être transformée et va évoluer vers la danse contemporaine. Le spectacle va faire sortir la partition du côté ‘référence historique’ pour en faire quelque chose de vivant aujourd’hui, et qui sera vivant dans le château. C’est quelque chose qui va être présenté en extérieurs. »Est-ce que vous voyez une évolution du rapport du public tchèque à la danse contemporaine au cours de ces dix dernières années ? Est-ce qu’elle est davantage rentrée dans le paysage culturel tchèque ? C’était sans doute moins le cas par le passé…
« C’était évidemment bien moins le cas autrefois. Je trouve que la relation à la danse contemporaine s’est simplifiée et on est en train de tout doucement élargir le public. Ce n’est pas forcément très rapide, mais ça se fait. Nous sommes beaucoup à travailler dessus. Nous arrivons petit à petit à organiser beaucoup d’événements dans les galeries, les rues, les villes, dans les écoles et à rompre cette barrière d’intimidation du public vers la danse contemporaine. La danse contemporaine n’est pas un art pour les spécialistes, c’est vraiment un art à la portée de tous. La première approche n’est jamais intellectuelle, elle est sensible, sensitive. L’approche intellectuelle ne vient que dans un deuxième temps. C’est ce qu’il faut essayer de faire comprendre. A partir du moment où on ne cherche pas à trouver le sens dès l’origine, qu’on se laisse porter, alors on trouve le sens. C’est ce qui est très riche… On commence à faire comprendre cela et à avoir des gens qui viennent nous dire des choses magnifiques, sept ans, dix ans après. Ça, c’est vraiment génial ! »