« Brno a toujours eu un comportement parfait avec Milan Kundera, contrairement à Prague ! »
Le deuxième et dernier chargement des archives des époux Kundera est arrivé cette semaine de Paris à Brno où doit bientôt être ouverte la Bibliothèque Milan Kundera, écrivain natif de cette ville aujourd’hui âgé de 93 ans et qui vit toujours en France avec son épouse Věra Kundera (Kunderová ici). Composées notamment des exemplaires d’auteurs des très nombreuses traductions, de critiques et recensements publiés dans la presse, de prix et bien d’autres choses encore, ces archives doivent être mises à la disposition du public l’année prochaine. Věra Kunderová a répondu aux questions de RPI.
Věra Kunderová, quel sentiment domine chez vous en ce moment, le soulagement d’avoir enfin fini de trier ces archives ou la tristesse de les avoir vues partir ?
« C’est la tristesse profonde, parce que ce sont deux vies qui sont en train de finir… Mais en même temps c’est un calme lié au fait que quelque chose de nouveau va commencer là où tout a commencé, à Brno, la ville natale de Milan.
Pendant mes nuits parfois sans sommeil, je me suis souvenue que notre ami Philip Roth, même s’il vivait à New York, avait tout donné à sa ville natale. Cela m’a inspirée et j’ai pris la décision de demander à Tomáš Kubíček s’il était intéressé et cela a commencé comme ça. »
Tomáš Kubíček, directeur de la Bibliothèque de Moravie à Brno.
« Oui, avec lequel on a travaillé trois jours pour le transfert des livres après avoir envoyé un premier chargement en juin. C’est rigolo, parce que maintenant il a tout mais je viens de recevoir aujourd’hui la traduction islandaise du 17e livre de Milan, Les Testaments trahis, donc cela continue d’arriver… »
Essais de Montaigne; Rabelais préfacé par Milan Kundera
Il faut souligner que vous-même vous êtes originaire de Prague et non de Brno. Avez-vous hésité à envoyer toutes ces archives dans la deuxième ville de Tchéquie ?
« Non je n’ai pas hésité. J’ai vécu 15 ans à Brno, même si je suis née à Prague, et Brno a toujours eu un comportement parfait avec Milan, contrairement à ma ville natale pendant des dizaines d’années. Donc c’était clair. Il est né à Brno, ses parents sont là, il rentre à la maison, les gens peuvent le lire et discuter de ses livres – il est là où il fallait qu’il soit. »
Il y a des pièces rares dans ces archives qui sont arrivées à Brno, notamment des exemplaires remarquables de Montaigne et de Rabelais. Y a-t-il eu plus d’hésitation sur certaines choses à envoyer à Brno de votre côté ?
« 17 livres en tout dans leur version traduite dans 50 pays, cela fait déjà beaucoup ! Mon travail de 40 ans d’archiviste a consisté à essayer de mettre de l’ordre, même s’ils vont avoir encore du travail à Brno. Milan a reçu le Prix Montaigne et il a reçu une édition originale des Essais de Montaigne, un vrai trésor qui fera partie de la Bibliothèque Milan Kundera à Brno. Oxford a également magnifiquement publié Rabelais avec la préface de Milan, le très beau texte intitulé Le jour où Panurge ne fera plus rire. Donc vraiment deux trésors de la littérature française sont désormais à Brno. »
Vous avez également envoyé des archives audio datant de votre collaboration avec la radio publique tchèque…
« J’ai travaillé à partir des années 1990 avec Tomáš Sedláček de la radio tchèque, mais il a apparemment tout détruit, donc il me reste quelques archives mais pas beaucoup. Peut-être y en a-t-il davantage à Prague parce que c’était pour la station Vltava. »
« A Brno, Milan n’a jamais été attaqué ni culpabilisé »
Les rapports parfois compliqués entre votre mari et son pays natal ont fait l’objet d’une certaine attention. Ce déménagement des archives de Milan Kundera est-il un geste de rapprochement entre lui et la Tchéquie ?
« Bien sûr. Il n’a jamais été contre sa patrie. Tout est faux, il n’a jamais eu de sentiment hostile envers son pays, beaucoup de gens pourront vous le dire, pas seulement moi ! »
Comment percevez-vous la différence sur le sujet entre Brno et Prague, que vous évoquiez juste avant ?
« A Brno, Milan n’a jamais été attaqué ni culpabilisé, tandis que pendant quarante ans il a été culpabilisé et attaqué par mes compatriotes pragois. C’est vraiment triste mais c’est comme ça, on a survécu finalement. Tout est désormais chez Tomáš Kubíček, pour les chercheurs, pour le futur. Pas encore à disposition pour le public car l’énorme travail de tri et de numérisation doit encore être fait. Mais la bibliothèque doit ouvrir en janvier si tout va bien. »
Et si d’ici quelques années une place de Brno ou l’aéroport de Brno portait le nom de Milan Kundera ?
« Il y a désormais une place Kundera à Brno ! Mais pour son père Ludvík Kundera qui était un grand pianiste (náměstí Ludvíka Kundery) et il y a aussi une salle de concert qui va porter son nom. Et il y aura la Biliothèque Milan Kundera, donc deux Kundera s’accaparent Brno, c’est pas beau ça ?! »