La caravane enchantée sur les routes cinématographiques tchèques
C’est une caravane pas tout à fait comme les autres qui a sillonné la République tchèque ces derniers temps, la caravane ensorcelée. Cet étrange véhicule venu de la lointaine région de Champagne-Ardenne contient en effet en son sein un cinéma. La caravane et son équipage se sont notamment arrêtés en Vysočina à la fin du mois d’octobre, où se déroulait la 18e édition du Festival international du film documentaire de Jihlava. C’est là que Radio Prague a pu rencontrer certains des caravaniers cinéphiles champenois à l’origine de ce projet, Christophe Liabeuf et Jérôme Descamps.
Et pourquoi donc la caravane est-elle ensorcelée ?
« Parce que l’association s’appelle La Pellicule ensorcelée, donc tout est ensorcelé chez nous ! »
Mais alors pourquoi la pellicule est ensorcelée ?
« C’est une phrase d’un réalisateur français qui s’appelait Robert Bresson. Ce qu’il appelait la pellicule ensorcelée, c’était quand la magie des images et des sons était vraiment au summum. La rencontre était un peu magique et rendait la pellicule ensorcelée… »
Elle voyage depuis combien de temps cette caravane ensorcelée ? Elle a déjà connu d’autres pays étrangers ?
« Etonnamment non mais nous avons été cette année en Suisse juste avant la République tchèque. C’est la première année. Sinon, nous nous baladons beaucoup en France, dans notre région d’origine, la Champagne-Ardenne, mais aussi dans pas mal de festivals de cinéma, un peu partout en France, des festivals de courts métrages, d’animation ou encore d’arts de la rue. Si mes souvenirs sont bons, elle a été créée en 2006. Cela fait donc maintenant huit ans, ce n’est pas mal quand même ! »En Tchéquie vous ne restez pas seulement à Jihlava…
« Nous avons fait Ostrava, nous irons à Prague, à Pardubice, à Plzeň, à Žďár nad Sázavou. En fait la région Champagne-Ardenne d’où nous venons est jumelée avec la région Vysocina. Et grâce au travail de Christophe Liabeuf, nous avons pu élargir le cercle et visiter d’autres villes. On finira par Prague et puis on repartira en France. L’idée est vraiment d’amener des films français ici, dont certains ont été sous-titrés en tchèque, et de repartir avec des films tchèques, que nous allons sous-titrer en France, pour des projections au printemps prochain. »
Vous avez eu l’occasion de voir certains films tchèques qui peuvent vous intéresser ?
« Ce n’est pas définitif encore mais nous avons déjà vu des films tchèques, car nous sommes venus à Jihlava l’année dernière. Donc, nous avions déjà pris beaucoup de notes. Nous travaillons avec la cinémathèque tchèque, qui a déjà fait des sélections. Nous allons donc avoir une dizaine de films documentaires, une dizaine de films de fiction et puis une dizaine de films pour enfants. Il y a quand même beaucoup d’enfants qui tournent autour de la caravane. Donc on a besoin d’avoir un grand panel de films. »
Comment le public tchèque réagit à l’expérience de cette caravane ?
Christophe : « Passée la frontière de la langue, l’appréhension au début, je pense qu’il y a quand même une réaction qui est très similaire au public français. A partir du moment où les gens entrent dans la caravane, découvrent des films, il y a une vraie curiosité et une vraie satisfaction de la proposition qu’on leur fait. »J. : « Il y a aussi les craintes, des craintes légitimes, on se dit " Oh là là, on va être coincés dans la caravane, ils vont nous vendre quelque chose ! ". »
C. : « Mais ce n’est pas spécifique au public tchèque, c’est pareil partout. On sent vraiment que les gens sont contents de la proposition que nous faisons et qui est différente justement de ce que les gens voient au festival. Nous sommes sur un cinéma français qui n’est pas représenté à Jihlava, avec la possibilité de voir les films sous-titrés. »
Comment vous sélectionnez vos films ?
J. : « Nous avons fait une sélection tous les deux, Christophe et moi, qu’on a soumise ici. »
C. : « C’est le directeur du festival de Jihlava, Marek Hovorka, qui a fait une partie du choix. »
J. : « Vous avez vu des films plutôt nouveaux. Or nous avons également quelques films du patrimoine, notamment un des premiers films d’Alain Resnais, lequel bénéficie à Jihlava d’une rétrospective. Le film est Toute la mémoire du monde, sur l’ancienne Bibliothèque Nationale. Nous avons également des films d’Alain Cavalier qui est pour nous un grand cinéaste qui a fait notamment des fictions. Il a fait des portraits de femmes et nous en diffusons deux. »C. : « Nous sommes quand même remontés aux frères Lumière. Le catalogue de la caravane ensorcelée, le reste du temps, hors le tour tchèque, va de 1895 à 2012 à peu près. Des frères Lumière, nous avons une sortie d’usine, ce qui fait sens encore par rapport au thème du festival de Jihlava cette année qui est l’usine, la factory. »
Au-delà de votre activité avec la caravane, avez-vous pu profiter du festival ?
C. : « Nous étions déjà venus l’année dernière… »
J. : « Et c’était mieux car on voyait des films… »
C. : « (rires) Moi, j’ai quand même pu m’échapper cette après-midi. J’ai déjà vu une petite dizaine de films courts, dont un que j’ai beaucoup aimé sur la communauté vietnamienne à Prague. C’est le deuxième film que je vois sur cette communauté donc je me dis que non seulement il y a une communauté active mais en plus ils fournissent des cinéastes ! »
Les spectateurs qui sortaient vivants de la caravane étaient plutôt bien traités puisque parfois accueillis par un buffet de produits gastronomiques typiquement champenois accompagnés d’un verre de cidre ou de vin. Ils avaient pu auparavant apprécier des courts-métrages tels que Plastic and Glass, un film de Tessa Joosse sur une usine de recyclage du nord de la France, ou encore Madagascar, carnet de voyages, qui a valu à son auteur, Bastien Dubois, d’être nommé aux oscars en 2011.Entre deux gorgées de cidre, on pouvait également discuter avec Marie Gourdain. Diplômée de l’ENSAD (École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs), la jeune femme vit désormais à Prague. Son film de fin d’études, L’Echappée, une œuvre d’animation intimiste qui évoque le décès de son père, était projeté dans la caravane. Voici comme Marie Gourdain le décrit :
« C’est un film qui parle du fait que souvent, quand on est dans une situation émotionnelle difficile, on ne veut pas regarder la réalité en face et on cherche à s’échapper. Le titre du film vient de là. Souvent, dans la vie du quotidien, on est dans sa tête, dans ses idées, dans ce qu’on aimerait vivre, dans l’imaginaire, et on n’est pas toujours en présence au moment où il faudrait l’être. Ce film est né du fait que j’avais commencé un voyage en Roumanie et que cela devait être un carnet de voyages. Une amie musicienne et moi étions parties. Elle devait prendre du son, je devais faire des croquis et on comptait utiliser cela pour mon projet de film de diplôme à l’ENSAD. Comme on le voit dans le film, j’ai dû rentrer avant que le carnet de voyages ne puisse être fait. »Vous avez tout de même continué à tenir un journal…
« J’ai continué à tenir un journal et surtout j’ai continué à chercher des Roumains à Paris en me disant, ‘ce n’est pas grave, je ne lâche pas mon thème’. Je me suis trouvée dans des situations absolument incongrues. Tout à coup, j’entendais parler des gens en roumain à la terrasse d’un café et je les abordais : ‘Vous êtes Roumain ! Vous êtes Roumain ! Est-ce qu’on peut se parler ?’ J’ai rencontré des gens formidables, des jeunes étudiants en architecture à Paris qui parlaient très bien français, qui m’ont invité à l’ambassade… Et puis l’infirmière qui s’occupait de mon père, qui est une personne formidable, qui est toujours infirmière en France. Elle m’a emmené chez elle à Saint-Denis où elles étaient cinq Roumaines à vivre dans 20 m2 pour manger de la mamaliga et danser sur des chants roumains. Tout cela m’a permis de tenir durant la période assez difficile où mon père est mort et où on s’est occupé de lui. »
En voyant le film, on sent un lien très fort entre vous et la Roumanie et cela fait maintenant cinq ans que vous vivez en République tchèque. Vous vous êtes arrêtée à Prague en chemin vers la Roumanie ?
« Après mes études, j’ai décidé de partir. Je me suis échappée de nouveau. Je me suis demandée où j’irais. Je pensais partir seulement pour une année, une année d’expérimentation après l’école. Je pensais partir en Roumanie mais la personne que j’ai rencontrée là-bas ne faisait plus partie de ma vie. A Prague, j’avais des contacts, j’y connaissais des gens car j’y avais étudié en Erasmus, des gens qui font de l’animation, qui sont intéressants, qui m’ont accueilli à bras ouverts. J’ai eu une chance incroyable et je me suis dit, ‘bon ben, je vais à Prague !’. »
Pour notre part nous retournerons une dernière fois cette année à Jihlava où Nicolas Philippert, cinéaste notamment connu pour son documentaire Etre et Avoir, nous a accordé un entretien à découvrir dans une prochaine rubrique culturelle.