La chasse en Tchéquie

L'édition de cette semaine de La Tchéquie au quotidien sera consacrée à un sujet d'actualité qui a fait bouger la France, d'autres pays, mais aussi la République tchèque. Je vous l'avais promis, il y a un certain temps. Je vais donc vous parler de la chasse.

Depuis la Révolution de velours, en 1989, beaucoup de choses ont changé, dans la société. Les Tchèques se sont habitués à leurs libertés individuelles retrouvées - liberté d'opinion, de voyager dans le monde, d'entreprise ou d'accumulation de biens et propriétés. Ils se sont habitués au fait que la police n'est pas seulement une institution de répression, mais qu'elle sert, en premier lieu, à les protéger. Dans tous les domaines, on a assisté à des changements importants. Dans tous, sauf un : la chasse. Cela ne concerne pas seulement le droit de chasse, les dates d'ouverture ou les sortes de gibier. Le problème est beaucoup plus profond et est du ressort, surtout, du législateur.

La chasse, comme toute autre activité humaine, dans un Etat de droit, est réglementée par une loi. Malheureusement, le législateur tchèque n'a pas réussi à transformer cette loi. Elle a conservé son caractère totalitaire, en dépit d'efforts divers pour un changement de la vision même de cette passion, qu'est la chasse. Que peut-on reprocher à cette loi ' Par exemple : Si vous êtes propriétaire d'un terrain, vous ne pouvez pas décider, vous-même, si l'on chassera ou non le gibier qui y vit. Ce n'est pas vous qui vous occupez de ce gibier. Vous ne pouvez déléguer le droit de prendre soin du gibier ou le droit de chasse à personne. Dans le monde démocratique, la chasse est une sorte de service au paysage, aux agriculteurs, aux responsables des eaux et forêts. C'est un service qui s'occupe de la protection du gibier - il existe des quotas qui fixent le nombre de bête, qui peuvent être tirées - mais qui défend, aussi, les intérêts des agriculteurs et de la population, en général, tout comme les cultures forestières. Il n'en est pas de même en Tchéquie. La loi sur la chasse permet de se cacher derrière le droit de chasse, pour réaliser un élevage intensif du gibier et concentrer, ainsi, les activités sur l'abattage des bêtes. La loi transforme la chasse en un droit qui supplante toutes les autres activités d'intérêt des citoyens, qui supplante même, dans certains cas, les intérêts économiques de l'Etat.

Quels sont donc les pouvoirs des chasseurs, disons plutôt des institutions qui regroupent les chasseurs ' Disons, tout d'abord qu'ils sont, en quelque sorte des titulaires de la fonction publique. En effet, leur organisation, la politique du personnel et le financement sont du ressort de l'Etat, voire des régions. Leurs pouvoirs ' Ils sont des plus larges : les organisations des chasseurs peuvent interdire l'entrée dans les localités de chasse, champs, bois et forêts. Ils peuvent interdire la cueillette de champignons, des fruits des bois, interdire les activités courantes des agriculteurs, même des propriétaires des terrains. L'agriculteur ne peut pas dire à un chasseur : « Vous ne pouvez pas aller à la chasse au lièvre, aujourd'hui, car je commence la moisson ». En fait, c'est le droit à la propriété qui est bafoué... Avec, malheureusement, la bénédiction du législateur. Plus encore, les chasseurs peuvent construire des bâtiments, des miradors, par exemple, sans l'accord du propriétaire du terrain. Le chasseur peut tranquillement utiliser son arme en terrain ouvert, au contact direct avec les autres habitants. Il n'est pas obligé de passer des tests psychologiques sur son aptitude à porter et utiliser une arme. Pire encore, le gibier, à partir du moment où il est abattu, devient la propriété exclusive du chasseur. Personne ne se préoccupe des dommages que les sangliers, par exemple, ont causés aux champs de blé de l'agriculteur. Ce dernier ne peut, très souvent, demander des dommages et intérêts dans le délai fixé par la loi, car il est trop court, et l'agriculteur n'entre pas au milieu d'un champ de blé mur, avant la récolte. Les dommages créés pourraient être encore plus importants.

Vous vous direz : comment est-il possible qu'une telle loi existe encore, dans une Tchéquie démocratique, une loi emprunte des principes du communisme ' Vous n'êtes pas les seuls à vous le demander. En effet, la communauté des chasseurs était des plus privilégiés aux temps du système communiste. Elle se recrutait, surtout, parmi les membres haut placés du PCT. Le président de l'association villageoise des chasseurs était, le plus souvent, le président du Comité national ou de la cellule locale du parti. Ces personnes, et d'autres fonctionnaires, possédaient le droit de chasse. En effet, dans un système totalitaire, comment aurait-on pu tolérer que n'importe qui possède une arme, en l'occurrence un fusil de chasse ? Les hauts fonctionnaires du PCT et de l'Etat - c'étaient un peu les mêmes, de toute manière - ne se cassait pas la tête. Un ministre voulait tirer un ours, en Slovaquie. Pas de problème, on lui trouvait un ours, même si cet animal était en voie de disparition, à l'époque, ce qui n'est plus le cas, aujourd'hui, des ours en Slovaquie, il y en a trop. Ils deviennent, même, des plus téméraires, se rapprochant des chalets et de l'homme et faisant ses poubelles ! Une partie du gibier était réservée aux clients étrangers, surtout Allemands, qui payaient en devises fortes. Là aussi, les organisations de chasseurs, relativement indépendantes, ne se cassaient pas la tête. Le monsieur de Munich veut un cerf capital. Pas de problème, même si c'était le seul dans la localité, un reproducteur. Le principal, on encaissait les marks allemands du monsieur.

Malheureusement, encore une fois, les temps ont changé, mais pas dans la sphère de la chasse. Les anciennes organisations communistes se sont transformées, mais les membres sont les mêmes, la plupart du temps. Elles sont très puissantes et leurs tentacules sont longs. D'un autre côté, il n'est pas question de mettre tous les chasseurs dans le même sac, mais leurs représentants ne se conduisent pas tellement comme dans un pays de droit, du moins ceux qui oeuvrent pour que la loi sur la chasse reste en leur faveur. Ils argumentent, souvent, avec leurs activités diverses : reboisement, approvisionnement en nourriture du gibier, les soins divers qu'ils lui apportent. Ils oublient un principe démocratique fondamental : la propriété individuelle est intouchable. Les terrains où vit le gibier, à part ceux qui font partie des biens publics, appartiennent toujours à un propriétaire bien concret. Ce dernier, selon la loi sur la chasse, ne peut réaliser pleinement ces droits. Il n'est, même pas, propriétaire de ce qui s'y trouve, le gibier par exemple. Les associations des chasseurs peuvent bien dire que toutes leurs activités sont dans l'intérêt du gibier, de la nature, que les chasseurs se mettent d'accord avec les propriétaires, mais elles oublient qu'une loi est une loi. La loi sur la propriété existe. Le problème est qu'elle ne donne pas le plein droit au propriétaire de faire ce qu'il veut sur ses terrains, par exemple. Une lacune qu'il sera, certainement, nécessaire de combler, car l'harmonisation de la législation tchèque à l'européenne le demande. Et la chasse est un gros problème aussi, bien que pour des raisons différentes, dans beaucoup de pays membres de l'Union européenne.