La communauté juive en République tchèque, produit des remous de l’histoire

Ravagée à 90 % par le génocide nazi, la communauté juive tchèque a ensuite subi, sous le communisme, au mieux, chape de plomb, au pire antisémitisme d’Etat. Issus d’une histoire complexe, les Juifs tchèques d’aujourd’hui affronteraient-ils des questions identitaires plus ardues que leurs coreligionnaires français ?

Ce vendredi soir, à la synagogue du Jubilé dans la rue Jeruzalemská à Prague, se tient la cérémonie du shabbat. Elle réunit, comme chaque premier vendredi du mois, un cercle de familiers, actifs dans les domaines religieux et culturels. Parmi eux, Daniel Vaněk, chantre du Jubilé mais aussi d’autres synagogues en dehors de Prague. Daniel illustre bien les conséquences des remous de l’histoire tchèque sur l’identité des Juifs après guerre. Sujet tabou sous le nazisme puis sous le communisme, l’appartenance à la religion juive a souvent été oubliée dans certaines familles.

Daniel s’est converti, ou plutôt est revenu au judaïsme, après avoir découvert qu’il avait des ancêtres juifs :

« Mes parents me l’ont dit quand j’étais un petit garçon, c’était, je crois, en 1988. Mais ma mère fréquentait déjà la communauté juive et se rendait aux conférences du rabbin Daniel Mayer. On en parlait donc à la maison, et pour moi, c’était comme une évidence. Je ne me suis posé aucune question à ce sujet. »

Pourtant, les rapports de ses parents au judaïsme étaient moins tranchés :

« Lorsqu’ils parlaient du judaïsme, mes parents disaient parfois que c’était leur identité, et quelques fois, ils affirmaient que cela ne les concernait finalement pas tant que ça. Ils n’ont jamais été vraiment pratiquants. »

Dans la famille de Daniel, les origines juives sont restées longtemps méconnues. C’est aussi ce qui a sauvé sa famille durant la guerre :

« Quand la guerre a commencé, ma grand-mère était orpheline, elle n’avait plus aucune famille. Elle ne courait aucun risque d’être arrêtée par les nazis car elle n’était enregistrée nulle part, ni comme chrétienne, ni comme juive. Elle avait eu des membres de sa famille qui n’étaient pas juifs et d’autres qui l’étaient sans l’être… Comme ma famille n’avait aucuns grands-parents inscrits officiellement à la communauté juive, elle n’a pas eu à affronter les drames de cette histoire. »

Avant 1939, la Bohême-Moravie comptait environ 90 000 Juifs. 90 % d’entre eux disparaîtront durant la Shoah. Aujourd’hui, on compterait autour de 6 000 individus se déclarant de religion juive en République tchèque. Mais le chiffre exact du nombre de personnes ayant d'une manière ou d'une autre des origines juives reste inconnu.

Ex-président de l’Union de la Jeunesse juive tchèque (ČUŽM), David Kraus évoque le cas de personnes qui s’étaient adressées à lui pour établir des recherches sur de possibles ancêtres juifs.

« J’ai moi-même rencontré certaines personnes que j’ai - je ne dirais pas guidées - mais avec qui j’ai travaillé sur ce sujet. C’est d’après moi l’un des piliers de notre organisation. Nous nous trouvons en effet, en Bohême-Moravie, à un carrefour de l’Europe, où se sont mélangés des gens de tas de cultures différentes. Il est ici normal d’avoir, tout en ayant un père tchèque par exemple, qui une grand mère juive, qui une grand-mère allemande, qui un grand-père italien, etc… La République tchèque est un pays laïc et son histoire durant le siècle dernier fut assez compliquée. Les cartes ont pu être parfois brouillées et aujourd’hui, un certain nombre de gens s’intéressent aux origines de leur famille. »

L’Union de la Jeunesse Juive est une organisation très active dans les domaines religieux, mais aussi sportifs et culturels. Elle s’occupe notamment de l’entretien du patrimoine dans le pays (restauration de synagogues, entretien de cimetières…). Mais il s’agit aussi de conserver vivantes les traditions et la mémoire d’une époque révolue. Les chiffres parlent d’eux-mêmes.

« Je peux vous donner les chiffres de 1999, quand j’étais alors vice-président de l’Union. Nous comptions environ 400 membres venant de Prague mais aussi de Brno et d’autres villes. Logiquement, la plupart des membres, environ 60 %, sont des Pragois, qu’ils soient nés ou non dans la capitale. »

A notre demande, David évoque l’histoire récente de l’Union de la Jeunesse juive :

« L'Union de la Jeunesse juive tchèque a été créée en 1990, après le voyage d’un groupe de jeunes juifs tchèques et slovaques en Israël. Nous avons alors pensé qu’il serait bien de continuer à se rencontrer et de perpétuer une tradition qui avait disparu sous la période totalitaire. Au début, elle s’appelait l’Union de la Jeunesse juive tchécoslovaque. Puis, quand le pays s’est divisé en 1993, se sont créées, en parallèle, une Union tchèque et une Union slovaque. Mais nous considérons bien sûr que nous avons beaucoup en commun et nos relations restent étroites. »

Tomáš Kraus
Tomáš Kraus, le père de David, est quant à lui vice-président de la Fédération des communautés juives de République tchèque. Il s’occupe d’activités religieuses mais aussi d’activités sociales et culturelles. Car comme il l’avoue, il y a, en République tchèque, de nombreux Juifs à qui la religion ne dit pas grand chose. La famille Kraus, et c’est sans doute un cas assez rare chez les Juifs tchèques et même en général, a pu remonter assez loin dans son arbre généalogique.

« Nous avons pu retracer l’origine de nos ancêtres jusqu’à l’année 1720 pour ce qui est de la lignée paternelle. Ils se situaient tous autour de Prague, la plupart autour de la Sázava, en Bohême centrale. Concernant ma mère, elle venait d’une famille qui avait été forcée de partir en 1938 des Sudètes ; elle venait de Teplice. Au total, notre famille vient essentiellement de Bohême, nous avons aussi découvert qu’un arrière grand-parent était rabbin à Plzeň. »

Mais tout aussi unique fut le destin de ses parents durant la Shoah :

« Mes deux parents ont été déportés et ils ont tous les deux survécu. C’est finalement un cas assez rare car, dans la plupart des cas où un couple était déporté, l’un au moins ne revenait pas. Mes parents s’étaient mariés avant la guerre. Ils ont tous les deux survécu mais de manière séparée bien sûr. Ils furent déportés à Terezín et, de là, à Auschwitz, où ils furent chacun sélectionnés pour le camp de travail. »

Après guerre, le retour des Juifs survivants dans leur pays d’origine fut parfois difficile. Ainsi en Pologne ; on se souvient du pogrom de Kielce en 1946. Selon Tomáš Kraus, ce ne fut pas le cas en Tchécoslovaquie.

« Ici, il n’y a pas eu ce genre de problème, au contraire. Les gens, du moins dans le cas de mes parents, se sont comportés de manière très polie et leur ont plus ou moins rendu possible un nouveau départ dans la vie. Malheureusement, cela n’a duré que trois ou quatre ans car ensuite est venu le coup de Prague et surtout le procès Slánský. Pour les Juifs tchèques, c’était un coup dur car il s’accompagnait d’un antisémitisme d’Etat. Mon père n’y a perdu - entre guillemets - "que", son travail et son appartement, dont il a été expulsé. Il a donc dû ensuite habiter dans une garçonnière. »