La communauté LGBT+ « plutôt satisfaite » en Tchéquie, malgré des problèmes persistants de discrimination
Le 17 mai dernier, soit la Journée internationale contre l’homophobie et la transphobie, le bureau de la médiatrice de la République a rendu publique une vaste étude sur la situation des personnes LGBT+ en République tchèque. Pour évoquer les principales conclusions de cette étude, Radio Prague a interrogé la médiatrice de la République, Anna Šabatová :
Votre étude montre que la question du mariage pour tous est fondamentale pour une écrasante majorité de gays et lesbiennes en République tchèque. Une proposition de loi allant dans ce sens est en butte à l’opposition des députés chrétiens-démocrates et n’est même pas arrivée en seconde lecture au parlement. La société tchèque n’est-elle pas prête à rejoindre les pays ayant légalisé l’union des couples homosexuels ?
« Il est difficile de dire si l’on est prêt en République tchèque. Toutefois, j’ai personnellement tendance à croire qu’on est prêts à l’heure actuelle. D’après les résultats d’un sondage mené en 2018 par l’agence Median, 65% des Tchèques n’hésiteraient pas à ouvrir le mariage aux couples du même sexe. Il s’avère que ce changement est également très important pour les LGBT+ qui représentent quelques pourcents de la société tchèque. En outre, je souhaiterais souligner que dans la pratique les positions des politiciens ou des partis politiques ne reflètent pas toujours nécessairement l’opinion publique du moment. »Vous vous êtes exprimée en faveur de l’adoption d’une loi entérinant le mariage pour tous. Cette prise de position en tant que médiatrice de la République tchèque peut-elle avoir une incidence sur le débat ?
« Même là, je ne peux pas vous donner une réponse simple. Dans le cadre de mes compétences, j’ai rassemblé une certaine quantité d’informations sur cette question, évalué les attitudes au sein de la communauté LGBT+ et en ai fourni l’analyse à la Chambre des Députés comme base supplémentaire pour prendre la décision la plus responsable. Les prochaines étapes sont entre les mains des députés. »
Votre étude est sortie quelques jours après la publication de la Rainbow Map sortie par l’Ilga-Europe, la branche européenne de l’Association internationale lesbienne et gay, qui a classé la République tchèque à la 31e place sur 49 pays européens en ce qui concerne la situation des LGBT+ dans la société. En quoi ces études se complètent-elles, se recoupent-elles ou divergent-elles ?
« Je crois que notre recherche, la carte arc-en-ciel actuelle et l’indice arc-en-ciel établit par l’Ilga-Europe ne sont pas directement liés. Notre recherche a principalement porté sur les opinions et comportements subjectifs au sein de la communauté LGBT+, c’est-à-dire comment vivent les personnes LGBT+ en République tchèque. J’y ai travaillé depuis longtemps mais pour des raisons symboliques, je l’ai délibérément publiée le 17 mai dernier, soit la Journée internationale contre l’homophobie et la transphobie. L’Ilga-Europe, de son côté, surveille depuis dix ans des critères qui sont objectivement – ou non-inclus – dans la législation européenne. Par exemple : si la loi d’y pays reconnaît le mariage des couples de même sexe, si elle prévoit des droits parentaux pour les couples de même sexe, si les lois nationales garantissent une protection contre la discrimination etc. Cependant, j’étais surprise que la République tchèque soit tombée aussi bas parmi les pays européens. Ceci est peut-être dû au fait que d’autres pays européens progressent dans le domaine de la garantie des droits des personnes LGBT+, alors que la République tchèque stagne. »Quels sont les principaux enseignements de votre étude en matière de discrimination des personnes LGBT+ en République tchèque ?
« A mon avis, ce qui est essentiel, c’est que les personnes LGBT+ continuent de subir des préjugés et des comportements fondés sur ces derniers. Plus d’un tiers LGBT+ se sont senties victimes de discrimination ou de harcèlement au cours des cinq dernières années. Je suis préoccupée par le fait qu’un grand nombre de cas de ce type ont eu lieu dans des écoles et que ce sont des enfants ou adolescents qui en sont victimes. L’intimidation vient des camarades de classe mais aussi des enseignants. A l’avenir nous devons concentrer nos efforts sur cette question. La nouvelle positive, c’est que les manifestations les plus graves d’homophobie et de transphobie telles que les violences physiques ou sexuelles sont moins courantes. Les personnes LGBT+ considèrent elles-mêmes que leur situation en République tchèque est plutôt satisfaisante (sur une échelle de six points sur les dix possibles). »Replaçons la République tchèque dans le contexte de l’Europe centrale. On pense à la Pologne voisine, très empreinte par le catholicisme ou à la Hongrie qui connaît un important revirement conservateur. La société tchèque est-elle plus tolérante ? Ou y a-t-il plutôt une indifférence à la question des discriminations par la société majoritaire ?
« Je pense que la société tchèque est plus tolérantes vis-à-vis des personnes LGBT+ que la société polonaise par exemple. Paradoxalement, la Hongrie a été mieux classée par l’Ilga-Europe que la République tchèque. Ceci est dû au fait que certaines lois concernant le statut des personnes LGBT+ sont plus avancées. Surtout la législation concernant le changement de genre ou le crime de haine. Il peut toutefois s’agir d’un état de fait qui a été maintenu par le régime actuel, plus conservateur. On ne peut dire que la société tchèque soit indifférente aux manifestations de discrimination. Toutefois il est vrai que selon des sondages la société est convaincue qu’elle est plus tolérante envers les personnes LGBT+, ce qui ne correspond pas forcément au vécu de ces dernières. »Une des conclusions les plus préoccupantes de votre étude montre que dans les cas de discrimination ou de harcèlement, plus de 90% des personnes LGBT+ ne portent pas plainte ou choisissent de ne pas porter l’affaire à la connaissance d’une autorité publique. Pourquoi ?
« Oui, c’est vrai. Le fait que, souvent, les personnes ne signalent pas des discriminations a déjà été démontré dans notre recherche de 2015 qui portait sur les obstacles à l’accès à la justice des victimes de discrimination. Plusieurs facteurs jouent un rôle : souvent, les personnes LGBT+ ne pensent pas que signaler un incident va pouvoir changer quelque chose. Il y a du scepticisme ce qui peut être dû à des expériences négatives antérieures. Il y a aussi le fait que les personnes se sentent empêchées par la peur d’être accepté. De plus, les personnes ne savent pas nécessairement où aller pour obtenir une assistante ou des conseils. J’ai adopté plusieurs recommandations qui pourraient remédier à cela. Il faut sensibiliser la communauté LGBT+ ainsi que les fonctionnaires et policiers à qui ces personnes peuvent s’adresser avec leurs problèmes. »
Justement quels sont les autres mécanismes à mettre en place pour que les personnes LGBT+ puissent vivre une vie épanouie en République tchèque ?
« En conclusion de mon rapport, j’ai formulé plusieurs recommandations dont l’application pourrait permettre d’améliorer la vie des personnes LGBT+ en République tchèque. D’abord et avant tout, ce sont des changements dans la législation. Je pourrais mentionner le mariage pour tous, les changements officiels de genre sans stérilisation ou une protection plus cohérente des personnes LGBT+ contre les crimes de haine. Cependant changer seulement la loi ne garantit pas que tout le monde change immédiatement et se comporte avec respect et sans préjugés. C’est plutôt une question de d’évolution sur le long terme. Il faut davantage d’éducation sur la question, dès les années de scolarisation. Je recommande d’inclure des sujets liés aux personnes LGBT+ dans l’enseignement scolaire ainsi que dans la formation des enseignants. »