L’activiste Kryštof Stupka face à la « banalisation de l’homophobie en Tchéquie »
L’activiste Kryštof Stupka, 23 ans, reçoit régulièrement des menaces sur les réseaux sociaux en raison de son engagement pour les droits des personnes LGBTQIA+. Mais les diverses plaintes qu’il a déposées pour propos haineux n’ont pas abouti. Il explique pour Radio Prague International en quoi la banalisation de l’homophobie en Tchéquie ralentit ces processus juridiques.
« Pas assez gay » : c’est ce qu’a laissé entendre le procureur général dans une lettre adressée mi-janvier à Kryštof Stupka. En effet, l’activiste a déposé plainte il y a quelques semaines après avoir lu « mort aux pédés » en réponse à un de ses tweets. L’enquête est rapidement lancée et l’auteur des faits est interrogé, mais Stupka n’est pas considéré comme partie civile. Selon la justice, ce commentaire ne lui serait pas adressé mais ferait plutôt référence à l’attentat homophobe qui s’est produit à Bratislava (Slovaquie) en octobre dernier.
« Même si la menace a été écrite sous mon tweet je ne suis pas considéré, dans cette affaire, comme victime. Quand nous avons demandé au procureur pourquoi, il m’a répondu avec une lettre de quatre pages - que j’ai trouvée lundi - expliquant ’que mon compte Twitter ne permet de savoir si je suis gay’. Il y a pourtant un drapeau arc-en-ciel présent sur chaque tweet puisqu’il est accolé à mon nom. Et je suis probablement un des activistes LGBTQIA+ les plus connus de Tchéquie, sur Twitter au moins. »
« Dans la lettre, il est dit que même si la personne a écrit ’mort aux pédés’ ce n’est pas, dans le contexte de l’entièreté du message, une menace dangereuse. Et ça je veux le combattre, parce que si tout le monde pouvait faire une chose pareille… La communauté ne devrait pas être exclue de la protection juridique. Et dans ce cas, c’est écrit noir sur blanc : ils n’en ont rien à faire. C’est une banalisation totale du sujet. »
Effectivement, Kryštof Stupka a déjà plusieurs fois fait appel à la police. Et étant donné les violences dont il fait fréquemment l’objet, cette dernière garde un œil sur ses réseaux sociaux afin de pouvoir réagir en cas de menace.
« J’ai déjà porté plainte cinq fois. Dans quatre ’cas, il s’agissait de purs discours de haine, la cinquième est celle dont nous parlons. Que s’est-il passé avec les quatre premières plaintes ? Rien. Donc jusqu’à présent, tout le monde s’en fiche. Bien sûr, les institutions ont encore le temps de les traiter, mais elles n’ont pour l’instant rien fait suivre à mes avocats. Cela montre quand même que les plaintes pour incitation à la haine ne sont pas une priorité, en République tchèque. »
Pendant deux ans, l’activiste n’a pas porté plainte. Mais après l’attentat de Bratislava, il s’est rendu compte que de telles menaces pouvaient véritablement être mises à exécution. Être considéré comme victime dans cette affaire est selon lui primordial pour ’pouvoir demander des explications. Prendre en compte sa plainte, ou au moins accepter de le reconnaître comme « partie civile » et ainsi lui donner la possibilité de demander réparation devant un tribunal, permettrait de créer un précédent donnant aux autres victimes de harcèlement plus de chance de succès dans leur démarche et, en tout cas, plus de confiance en la justice. Kryštof Stupka :
Banalisation des violences
« C’est tellement décourageant… Mais ça ne devrait pas freiner les autres personnes de le faire. Parce que plus nous porterons plainte, plus le cadre juridique sera susceptible de changer. Il est important de dire que, contrairement à la France, nous ’n’avons pas de loi qui protège spécifiquement les personnes LGBTQIA+ contre les crimes de haine. Des mesures de protection sont prévues pour d’autres types d’agressions, mais pas pour celles en rapport avec l’identité de genre ou l’orientation sexuelle. »
Selon Kryštof Stupka, l’un des principaux catalyseurs de discours haineux est la banalisation de l’homophobie au sein de la société. Car même si de nombreux activistes LGBTQIA+ militent et réussissent à capter l’attention du public, certains politiciens, influents au sein de l’opinion publique, ont ouvert la voie aux discours homophobes.
« Je leur en veux vraiment. Qu’ils soient de droite, de gauche, d’extrême-droite ou d’extrême-gauche, des politiciens ont non seulement déconsidéré le danger qu’est l’homophobie, mais ont également été ouvertement homophobes. Il y a deux ans, le président Miloš Zeman considérait les personnes trans comme dégoûtantes, l’ancien Premier ministre Andrej Babiš a dit plusieurs choses aussi, l’actuel chef du gouvernement Petr Fiala également - il a clamé qu’être gay était un mode de vie et que la seule famille normale était la famille hétéro-normative. »
« Et les médias ne se sont pas penchés sur l’impact qu’ont ces discours sur la société et sur la façon dont la haine est utilisée à des fins politiques. C’est pour cela que je dis souvent que les médias ne devraient pas diffuser ce genre de discours homophobes. Ce n’est que comme cela qu’on créera une société plus inclusive dans laquelle tout le monde sera heureux et se sentira en sécurité. Je me fiche que la personne qui a écrit ce tweet et le procureur me respectent. Je veux juste qu’ils respectent la loi comme ils devraient le faire. C’est insensé que ces propos haineux soient encore ignorés alors qu’on sait pertinemment qu’ils détruisent des vies. »
Pour Kryštof Stupka, la récente élection de Petr Pavel à la tête de la République tchèque porte en elle l’espoir de voir émerger des politiques en faveur de la communauté queer. Le nouveau président élu a en effet déclaré, pendant la campagne électorale, être en faveur du mariage pour tous.
Homophobie et hétéro-normativité
« Petr Pavel a développé depuis quelques années un positionnement libéral sur ce sujet. Initialement, je favorisais une autre candidate à l’élection présidentielle, Danuše Nerudová, qui soutient l’activisme queer, le mariage pour tous et la fin de la stérilisation forcée des personnes trans. Mais je pense qu’il est aussi intéressant d’analyser l’impopularité de Pavel Fischer, un sénateur qui s’était déjà présenté à l’élection présidentielle il y a quelques années. À l’époque, il avait tenu un discours très homophobe. Il nous comparait à des pédophiles et disait qu’il ne nommerait jamais un juge constitutionnel gay. Même s’il s’est excusé, il est resté fidèle à ses positions extrêmement hétéro-normatives, voire clairement homophobes. Le fait qu’il soit critiqué pour ses positions montre peut-être que la société a évolué vers une nouvelle forme de tolérance. »
Selon SOS Homophobie, l’hétéro-normativité fait référence à « l’ensemble des normes qui font apparaître l’hétérosexualité comme cohérente, naturelle et privilégiée. Elle implique la présomption que toute personne est hétérosexuelle et la considération que l’hétérosexualité est idéale et supérieure à tout autre orientation sexuelle. » Selon Kryštof Stupka, les sociétés dont le cadre légal est favorable aux personnes LGBTQIA+ (légalisation du mariage pour tous, par exemple) sont moins enclines à être hétéro-normatives, et tendent donc à être potentiellement moins violentes envers les personnes queer. Kryštof Stupka :
« L’interdiction du mariage pour tous consolide l’hétéro-normativité. On peut le voir avec l’exemple de la France. Marine Le Pen était farouchement opposée au mariage pour tous quand ont eu lieu les manifestations de 2013 pour revendiquer ce droit. Mais maintenant, elle est obligée d’être en sa faveur, parce que sa légalisation a changé la conception qu’ont les gens de la famille. Grâce à ça, je pense que les Français ont compris que l’homophobie était dangereuse. »
« Je pense que le lien entre l’hétéro-normativité et l’homophobie est précisément là : celle-ci empêche les gens de voir l’homophobie comme une menace parce qu’elle dicte ce qui est correct, la façon dont il faut comprendre la société, les relations entre les gens, leur existence. Et pour quelqu’un qui est extrêmement hétéro-normatif, l’homophobie est dans un sens normalisée, parce que c’est juste quelque chose qui protège ce qu’elle juge normal. »