La Crimée : une leçon pour les Tchèques
L’escalade de la tension en Ukraine, en rapport avec l’intervention russe en Crimée, a donné lieu, pendant toute cette semaine, à tout un éventail de commentaires, d’analyses et d’observations dans la presse, parmi lesquels la voix controversée de l’ex-président tchèque, Václav Klaus, s’est fait également entendre. Nous consacrerons une grande partie de cette revue de la presse à ce conflit. Nous avons également retenu un article intéressant, dans lequel son auteur s’interroge sur les foyers de crise qui pourraient éventuellement s’enflammer et prendre une dimension mondiale.
« En ce qui concerne les chars, les avions et les missiles, ce sont des choses contre lesquelles on peut se défendre efficacement. Mais il faut redouter la Russie à cause de ce que l’on ne peut pas voir et sur quoi s’appuie principalement la force intérieure du régime Poutine (et de son attrait pour l’espace postcommuniste). C’est l’inexistence d’une discussion et des procédures démocratiques, une répression systématique de l’opposition et la falsification de l’histoire. »
Retraçant certains chapitres clés de l’histoire russe, l’auteur de l’article constate que dans le passé, contrairement à ce qui est souvent prétendu, la Russie n’était pas une victime d’agression, mais l’agresseur, comme c’est le cas maintenant avec l’Ukraine. Et il conclut :
« Une nouvelle fois, Moscou a choisi, seule et de son propre gré, un chemin qui l’éloigne de celui qu’emprunte l’Europe. Nous ne pouvons que nous féliciter de ce que, aujourd’hui, nous ne soyons plus contraints à suivre la voie dictée par Moscou. »
« La Crimée est une leçon pour les Tchèques », estime l’éditorialiste Martin Fendrych qui a publié sur le serveur aktuálně.cz un long commentaire à ce sujet, dans lequel nous avons pu lire :
« L’unique avantage de l’occupation de la Crimée réside dans le fait qu’elle montre à quel point la Russie de Poutine est antidémocratique et inacceptable. Nous n’avons qu’à espérer que la ‘vague orientale’, actuellement en vogue en Tchéquie, s’arrête et que la Tchéquie se dégrise. Depuis des années, la position des représentants tchèques à l’égard de la Russie a tendance à changer. C’est en rapport étroit avec le rôle croissant des communistes dans la politique tchèque. Concernant la Russie et les communistes, seul Václav Havel était sur ses gardes. Depuis son départ du Château, cette approche a changé. Être ‘pro-russe’, se rendre à l’est, évoquer une Russie démocratique et amicale, se référer à Vladimir Poutine et à ses méthodes, voilà ce qui est devenu en Tchéquie une mode politique. »
Comment une éventuelle intervention militaire de la Russie en Ukraine pourrait-elle menacer la sécurité européenne et mondiale ? Sur le serveur du quotidien Lidové noviny, le politologue Petr Suchý répond :
« Il existe plusieurs niveaux de ce problème, depuis la fragilisation de la sécurité globale suite à l’escalade de la tension jusqu’à un conflit intensif et ouvert. Il existe en outre toute une série de variantes d’autres menaces plus nuancées. J’entends par là, par exemple, la situation où le comportement des minorités russes se répéterait dans d’autres pays postsoviétiques, ou la possibilité de voir freiner les processus de leur rapprochement avec l’Union européenne. A cela s’ajoute le risque d’affaiblissement de l’ONU qui montre déjà maintenant qu’elle est peu efficace. »
Václav Klaus critiqué pour ses positions prétendument pro-moscovites
L’ex-président tchèque Václav Klaus a provoqué une nouvelle fois la polémique en publiant dans la presse deux commentaires concernant la situation en Ukraine et dans lesquels il montre, selon une note publiée dans l’édition de ce jeudi du quotidien Mladá fronta Dnes, « plus de compréhension pour la partie russe que pour les Ukrainiens ». Jiří Leschtina, du quotidien économique Hospodářské noviny, estime que commenter les propos et les actes de plus en plus « excentriques » de l’ex-président tchèque ne vaut plus la peine et que, néanmoins, pour une fois, il faut faire figure d’exception, car « l’intervention russe sur le territoire de l’Ukraine dévoile pleinement à quel point la carte russe jouée par Klaus était dangereuse à l’époque où il était au pouvoir et où il pouvait influencer les pensées et les positions d’une grande partie de la société ». Il écrit plus loin :« L’entente entre Klaus et Poutine est fascinante. Par leurs déclarations si semblables, les deux veulent nous faire croire que ce sont les manifestants soutenus par l’Occident, et point les ambitions de puissance du Kremlin, qui sont responsables de l’invasion en Crimée... Cette entente est d’ailleurs de longue date. Klaus la cultivait systématiquement, en tant que Premier ministre, en tant que président du Parlement et, aussi, en tant que président de la République, s’opposant à l’opération militaire de l’OTAN en Bosnie-Herzégovine, au bombardement de la Serbie ou à l’invasion en Irak... Avec la même envergure, il a torpillé notre appartenance à l’Union européenne, allant jusqu’à construire la prétendue nouvelle idéologie de l’européisme, plus dangereuse à ses yeux que le communisme. »
Dans cette logique, l’auteur de l’article remarque que pendant de longues années, Klaus voulait nous faire croire que la Russie était une démocratie normale souffrant d’une maladie infantile. Bruxelles, en revanche, était présenté comme un usurpateur de libertés, dont il faut s’éloigner. Considérant cette politique comme irresponsable et cynique, repoussant la Tchéquie à la périphérie, il conclut :
« Le jeu est désormais fini. Poutine a abattu les cartes faisant dévoiler la folie de la ligne pro-moscovite de Klaus. On peut saluer avec soulagement le fait que l’actuel ministre des Affaires étrangères, Lubomír Zaorálek, et le Premier ministre, Bohuslav Sobotka, aient condamné l’agression russe et qu’ils aient changé le discours du pays à l’égard de l’Union européenne. »
Jiří Leschtina rappelle en conclusion, avec une certaine ironie, qu’à l’époque, Václav Klaus s’est vu décerner par Vladimir Poutine la médaille pour la diffusion de la langue russe et le rapprochement des cultures.
Il n’y a pas que l’Ukraine : la liste des foyers de crise est longue
« D’emblée, il existe dans le monde beaucoup de foyers de crise qui risquent de s’enflammer et de se transformer en conflit mondial, il ne suffit pour cela que d’une étincelle ». C’est ce que signale Jan Macháček dans un article publié sur le serveur de l’hebdomadaire Respekt. Il précise :« Rarement superstitieux, j’ai songé à établir des parallèles entre l’année 1914 et l’année 2014, si souvent évoqués, comme intéressants mais inopportuns. Depuis l’éclatement des événements en Ukraine, je change d’avis, car on peut avoir désormais le sentiment d’être assis sur un tonneau d’explosifs. »
L’auteur de l’article constate qu’il est difficile d’évaluer comment évoluera la situation en Ukraine. Toutefois, il n’est pas selon lui déplacé de s’interroger sur les conséquences d’une éventuelle confrontation militaire dans lequel serait engagé l’OTAN et qui pourrait donner une impulsion à des conflits de l’autre côté du globe, dans lesquels seraient impliqués les pays comme la Corée du nord, le Japon, la Chine ou l’Iran. La liste des régions à risque est selon lui longue. Il poursuit :
« Une guerre civile ravage la Syrie. En Irak et en Egypte, la situation n’est pas très bonne, la tension persiste en Israël. La situation est actuellement très tendue en Turquie, pendant que le Venezuela est au bord d’une guerre civile. Et il faut tenir compte de la menace de voir la Grande-Bretagne quitter l’Union européenne ce qui affaiblirait l’Europe, une menace qui est tout à fait réelle. Il faut y ajouter l’éventualité d’émeutes sociales dans le sud de l’Europe. L’Afghanistan et le Pakistan sont également en jeu. »
Jan Macháček termine sa réflexion qui sonne quelque peu « alarmiste » en mentionnant également les Etats-Unis pour constater que les voix isolationnistes s’y font entendre de plus en plus fort.