Presse : la guerre en Ukraine, un moment qui permet à la politique européenne de s’affirmer

Cette nouvelle revue de la presse propose d’abord un regard sur la politique européenne eu égard à la guerre en Ukraine. Quelques détails ensuite sur la « cinquième colonne » pro-Poutine en Tchéquie et sur ce qu’elle représente. Que se passera-t-il lorsque l’euphorie et la vague de solidarité avec les réfugiés ukrainiens auront tendance à s’affaiblir ?, s’interroge-t-elle également. Une remarque enfin au sujet des appréciations que le Festival international du film de Karlovy Vary a dans le passé accordées à des stars internationales controversées, parmi lesquelles se distingue le réalisateur russe Nikita Mikhalkov, grand défenseur de l’invasion russe en Ukraine.

Au début de l’offensive russe en Ukraine, les attentes de la part du public et des politiciens liées aux démarches de l’Union européenne ont été assez modestes, observe le chroniqueur du quotidien Hospodářské noviny. Pourtant, ce regard sceptique a promptement changé. Il explique :

« L’Union européenne a agi rapidement et, tant que possible, avec détermination. Elle a confirmé le fonctionnement raisonnable de son système politique. Il s’est avéré, par exemple, que ce sont la spécialisation et la crédibilité qui sont décisives, et pas la taille des Etats. Ainsi, les pays comme la Pologne et la Tchéquie ont pu mettre en valeur leur ‘capital de connaissances’ concernant la Russie pour imposer dès le début de l’invasion des sanctions sévères. Tant que l’Union européenne veut tenir face à l’agression russe et à d’autres défis qu’elle aura à l’avenir à relever, elle doit rester telle qu’elle est maintenant. »

« Peu importe que cela soit une situation grave qui a réussi à réanimer les institutions de l’Union, car c’est justement en temps de crise que la force d’un système politique peut faire ses preuves », prétend le chroniqueur du quotidien avant d’augurer :

« On peut estimer que dès que la situation se calmera – dans l’éventualité, bien sûr, de la réalisation d’un scénario optimiste – on verra s’élever, au sein de l’Union européenne, des voix réclamant sa réforme radicale. Très probablement, elle devrait toucher également sa politique de défense et de sécurité commune. Mais ce serait une immense erreur, car celle-ci joue dans la crise actuelle un rôle clé. C’est une des leçons importantes à tirer de l’agression russe. »

Une nouvelle donne pour la « cinquième colonne » pro-Poutine en Tchéquie

« Il faut stopper la cinquième colonne de Poutine en Tchéquie et garder en mémoire qu’il y a des politiciens et leurs sympathisants qui ont servi le président russe ». Tel est le titre d’un texte publié dans le journal en ligne Forum24. Son auteur explique :

« Les deux dernières semaines, au cours desquelles on a pu suivre en direct les barbaries incroyables et les crimes contre l’humanité de l’Etat russe, ont ébranlé le monde et, en même temps, la partie prorusse de notre scène politique et médiatique. Les promoteurs de ce courant se sont mis à dissimuler leurs positions pour ne pas être pris pour des traîtres de leur pays. Certains d’entre eux ont probablement compris qu’un soutien ouvert de Vladimir Poutine était impensable dans une société normale. En plus, compte tenu de l’ampleur des crimes de ce dernier, ils réalisent de risquer des sanctions pénales. »

Tomio Okamura | Photo: Luboš Vedral,  ČRo

Le publiciste rapporte que c’est Tomio Okamura, le leader du parti nationaliste SPD (Liberté et démocratie directe) et partisan de la sortie de la Tchéquie de l’Union européenne et de l’OTAN, qui est la principale figure de ce courant. Ce sont aussi les communistes, désormais absents au Parlement, ainsi que certaines petites formations à caractère nationaliste qui défendent ouvertement des positions prorusses. « Ce caractère est d’ailleurs propre à l’ensemble du front pro-Poutine sur la scène tchèque », peut-on lire dans le texte sur Forum24 qui précise :

« Ce camp compte en outre des ‘raisonnables’ qui, tels des esprits critiques, s’opposent à Bruxelles et à l’Occident. Mentalement, ils étaient jusqu’ici liés soit au président Miloš Zeman, soit à son prédécesseur, Václav Klaus. Les deux chefs d’Etat ont déployés beaucoup d’efforts pour excuser différentes démarches de Poutine, pour nous rapprocher de son idéologie et pour saper notre appartenance au monde libre. »

Lorsque le mythe d’un réfugié idéal tombe

On pouvait s’attendre à ce que la solidarité admirable des Tchèques avec les Ukrainiens s’affaiblisse au fur et à mesure, du moins en partie. L’auteur d’une note publiée sur le site Seznam Zprávy exprime toute de même une certaine surprise à voir certaines personnes dénoncer l’aide tchèque au moment même où les premiers réfugiés ont franchi la frontière :

Des réfugiés d’Ukraine à Prague | Photo: Vít Šimánek,  ČTK

« Selon ce que ces gens diffusent sur les réseaux sociaux, les réfugiés ukrainiens sont trop bien habillés, certains disposant même de voitures et d’iPhones. Pour eux, un réfugié devrait porter un pantalon de survêtement moche, tandis que les enfants devraient évoquer le héros du roman Oliver Twist. En refusant les réfugiés africains, la population tchèque se déclarait prête à accueillir des réfugiés culturellement plus proches. Ceux qui arrivent maintenant le sont effectivement, mais apparemment beaucoup trop. Ils ne répondent pas au mythe d’un réfugié idéal. »

La journaliste du site Seznam Zprávy signale que dès que le nombre de réfugiés ukrainiens en Tchéquie va encore augmenter, le climat au sein de la société va s’aggraver, à mesure que la patience et l’enthousiasme initial vont s’amoindrir. Une tâche difficile incombera dès lors non seulement à ceux qui ne se laisseront pas décourager et qui poursuivront leur aide, mais surtout au gouvernement :

« En premier lieu, le cabinet sera appelé à prendre en compte l’impact de la hausse des prix de l’énergie et des carburants sur la vie des gens. En ce moment, l’entente sociale doit prévaloir sur la responsabilité budgétaire. Sinon, d’ici quelques mois, il faudra se préparer à un enfer difficilement imaginable et spécifiquement le ‘nôtre’. »

« L’euphorie pro-ukrainienne se dissipera tout comme celle qui avait envahi le pays après la chute du régime communiste », constate à son tour le commentateur du site aktualne.cz. Selon lui, la cherté et la pénurie peuvent facilement déboucher sur une hostilité à l’égard des personnes en fuite, auxquelles le gouvernement accorde son aide et pour lesquelles nous éprouvons à présent une immense compassion :

« La coalition gouvernementale, au sein de laquelle il y a également des politiciens qui avaient ‘protégé’ la Tchéquie contre des réfugiés syriens et autres, sera dans une position difficile. Ce sera une dure épreuve de son unité et de sa stabilité. »

Lauréat du FIF de Karlovy Vary, le réalisateur russe pro-Kremlin Nikita Mikhalkov sous le feu des critiques

Ne pas quitter ceux que l’on aime, même lorsqu’ils tombent en disgrâce. Tel est, selon le critique de cinéma du quotidien Lidové noviny, un des traits positifs du caractère tchèque qui, pourtant, se heurte souvent à des impératifs moraux. Le festival international du film de Karlovy Vary, qui n’a pas hésité à inviter dans le passé des stars controversées comme Mel Gibson ou Johnny Depp, en serait une preuve. L’auteur de la note consacrée à ce sujet en donne un autre exemple d’actualité :

Nikita Mikhalkov | Photo: Film Servis Festival Karlovy Vary

« En 2010, le festival a décerné un prix d’honneur au célèbre réalisateur russe Nikita Mikhalkov, un homme qui est aujourd’hui un des propagateurs acharnés de l’invasion russe en Ukraine. Certes, on peut objecter que la situation il y a douze ans de cela était foncièrement différente, et que l’appréciation concerne la création, et non des positions politiques. Mais il faut rappeler que le réalisateur a obtenu ce prix à Karlovy Vary au moment où des cinéastes et des critiques de cinéma, russes et mondiaux, signaient contre lui une pétition faisant part des attaches qui le liaient au Kremlin et qui dénonçaient ses activités à la tête de l’union des cinéastes russes. Force est d’ajouter que peu avant, c’est aussi le festival de Cannes qui avait favorisé le réalisateur en présentant en compétition son film peu réussi Soleil trompeur. Mais là, au moins, les réactions en lien avec l’inaptitude morale de son réalisateur ont été plus vigoureuses. »

Le chroniqueur de Lidové noviny rapporte dans ce contexte qu’un autre événement cinématographique local, le festival Febiofest de Prague, a agi différemment :

« Il a décidé de retirer au réalisateur serbe Emir Kusturica, connu pour ses sympathies avec les régimes totalitaires, le prix qu’il lui avait attribué pour honorer ses films qui, certes, étaient et demeurent excellents. Le Festival de Karlovy Vary, quant à lui, a désormais un nouveau choix à prendre. Jusqu’ici, en effet, il n’a fait que condamner l’agression russe et s’engager à ne pas collaborer avec ceux qui la soutiennent, sans pourtant lancer un appel à son lauréat Mikhalkov lui-même. »