Ukraine : « L’aide humanitaire tchèque pourrait être encore renforcée »

Un militaire ukrainien indique la direction du bombardement à côté d'un bâtiment touché par un obus de mortier de gros calibre dans le village de Krymske, dans la région de Louhansk, dans l'est de l'Ukraine, samedi 19 février 2022

En reconnaissant les deux républiques autoproclamées du Donbass ukrainien, Moscou a placé le monde devant le fait accompli. A Prague, comme ailleurs, la décision de Vladimir Poutine a été vivement condamnée, non sans rappeler des souvenirs liés à l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie en 1968. Pour parler de la situation en Ukraine, Radio Prague Int. a interrogé Pavel Havlíček, analyste à l’Association pour les questions internationales (AMO) et spécialiste de la Russie. Pour lui, la reconnaissance des deux territoires séparatistes a définitivement enterré les accords de Minsk :

Pavel Havlíček | Photo: Archives de Pavel Havlíček

« C'est en effet la fin du format de paix issu des accords de Minsk. Le fait est que l'aspect clé de ce format de coopération et de dialogue visant à trouver une solution aux problèmes de l'est de l'Ukraine était la question du statut de ces entités dites séparatistes. Ces territoires étaient censés être rendus à l'Ukraine dans le cadre des accords de Minsk. Certaines étapes de ce processus ont été définies par le format de Minsk : élections, amnistie pour les séparatistes, etc. Tout cela s’est évaporé en un instant.

Il ne faut pas oublier que le mécanisme de sanctions de l'UE contre la Russie, ainsi que la mise en œuvre de la mission de surveillance de l'OSCE, sont également liés aux accords de Minsk. Par conséquent, le format de Minsk conserve une petite signification, mais plus indirectement comme moyen de mettre en œuvre les négociations entre la France, l'Allemagne, la Russie et l'Ukraine. Mais les accords de Minsk sont en train de perdre leur signification fondamentale. »

La République tchèque a immédiatement parlé d’augmenter son aide à l'Ukraine. Dans quelle mesure le soutien de l'Europe à l'Ukraine peut-il être étendu, étant donné sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie ? Dans quelle mesure l'Europe, et la République tchèque également, sont-elles contraintes dans leurs actions ?

« Je pense que les questions énergétiques seront mises de côté. L'Europe négocie actuellement un soutien énergétique avec les Etats-Unis, le Qatar, l'Azerbaïdjan et d'autres pays, ce qui lui donne une plus grande marge de manœuvre. Je pense que l'aide à l'Ukraine sera étendue tant du côté tchèque que du côté européen. Cette question a déjà été abordée dimanche par les ministres européens des Affaires étrangères lorsqu'ils ont annoncé leur intention d'envoyer une mission de conseil militaire en Ukraine. Cette question est discutée depuis longtemps au sein de l’UE, c'est maintenant le bon moment pour la mettre en œuvre. Il est question qu'en plus de l'aide financière de 1,2 milliard d'euros qui a déjà été allouée, un nouveau paquet financier soit créé. »

Des gens attendent de passer du territoire contrôlé par les séparatistes prorusses aux zones contrôlées par le gouvernement ukrainien à Stanytsia Luhanska,  le seul point de passage ouvert tous les jours,  dans la région de Louhansk,  dans l'est de l'Ukraine | Photo: Vadim Ghirda,  ČTK/AP

« L'aide humanitaire, à laquelle la République tchèque participe déjà, pourrait être renforcée. Nous pouvons nous attendre à ce que des gens quittent les territoires séparatistes. Et je ne parle pas de l'étrange option d'une sorte d'évacuation de la population vers le territoire de la Fédération de Russie telle que nous le voyons actuellement. Je parle d’une réinstallation sur la partie du pays entièrement contrôlée par le gouvernement ukrainien. Le fait est qu'il y aura des changements plus sérieux et qu'il ne sera plus possible, comme c'était le cas jusqu'à présent, de vivre dans les entités séparatistes et de continuer à recevoir des pensions de l'Etat ukrainien. Les citoyens vivant dans ces territoires vont devoir choisir de quel côté des barricades ils veulent être. Comme c'est le cas en Géorgie, où il existe une frontière claire qui n'est pas si facile à franchir. A cet égard, les questions humanitaires vont se retrouver au-devant de la scène et seront plus importantes que par le passé, notamment en lien avec de possibles mouvements de population dans ces régions. »

Des gardes-frontières ukrainiens à un poste de contrôle du territoire contrôlé par les séparatistes soutenus par la Russie au territoire contrôlé par les forces ukrainiennes à Novotroitske,  dans l'est de l'Ukraine,  lundi 21 février 2022 | Photo: Jevgenij Maloletka,  ČTK/AP

Dans la situation actuelle autour de la reconnaissance de ces deux républiques autoproclamées, République tchèque qui comme les Etats-Unis, figurent sur la liste russe des Etats « inamicaux », n’a sans doute pas beaucoup de possibilité de discuter avec Moscou de ses propres problèmes bilatéraux : on pense à l’affaire de Vrbětice, celle des monuments à des personnages de l’armée soviétique ou encore la réduction drastique de son personnel diplomatique ?

Le président russe Vladimir Poutine au Kremlin à Moscou,  Russie,  mardi 22 février 2022 | Photo: ČTK/AP/Uncredited

« En effet, non ! Et en étant un peu cynique, je dirais que c’est en fait une bonne chose que nous ne le fassions pas. C'est la Russie et non la République tchèque qui est responsable des tensions sans précédent dans les relations bilatérales. C’est la Fédération de Russie, et non la République tchèque, qui a envoyé ses agents faire exploser des entrepôts sur le territoire d’un autre Etat.

En ce qui concerne la crise ukrainienne et les fortes pressions exercées par la Russie, les diplomates tchèques ont désormais plus de marge pour préparer et mettre en œuvre des projets humanitaires. Puisque nous n'avons essentiellement aucune relation avec la Fédération de Russie à l'heure actuelle, Prague peut réagir plus rapidement, de manière plus fluide et même plus sévèrement aux développements autour de l'Ukraine. En fait, nous n'avons rien à perdre. »