Presse : l’invasion russe en Ukraine – du « déjà vu » pour les Tchèques ?

Un pompier inspecte les dégâts d'un bâtiment à la suite d'une attaque de missiles contre la ville de Kiev, en Ukraine, vendredi 25 février 2022

Cette nouvelle revue de la presse s’intéresse évidemment à l'invasion russe de l'Ukraine qui fait la Une de tous les journaux tchèques.

« La Russie de Poutine a envahi l’Ukraine. C’est une guerre authentique, où le sang coule, et pas ‘seulement’ une guerre hybride », constate un commentaire publié sur le site Seznam Zprávy dans lequel on peut lire également :

« Le fait que 32 ans après la chute du rideau de fer on voit un Etat en attaquer un autre est terrifiant... Pour y parvenir, Vladimir Poutine a eu recours à des acrobaties verbales, à un discours relevant des tréfonds du passé. La prétendue ‘dénazification de l’Ukraine’  pour justifier l’invasion russe en est un exemple typique. En 1968, l’invasion des troupes du Pacte de Varsovie dans l’ancienne Tchécoslovaquie avait pour but de liquider la prétendue ‘contre-révolution’ dans le pays. Riches de leur expérience historique, les Tchèques n’ont pas tardé à repérer la véritable nature de l’actuelle invasion russe et ses circonstances. »

« L’histoire se rejoue d’une façon malheureuse et cruelle, mais elle est aussi une importante source de leçons », ajoute à ce propos le commentateur du site Seznam Zprávy.

Attaque russe dans la ville de Marioupol,  Ukraine | Photo: Evgeniy Maloletka,  ČTK/AP

Selon l’auteur d’une analyse publiée dans le journal Deník N, la décision de Vladimir Poutine de renverser l’arrangement géopolitique et sécuritaire en Europe ne peut guère étonner. Cette agression a été préparée, selon lui, depuis longtemps. Son ton est catégorique :

« Que cela nous plaise ou non, l’invasion d’un pays souverain et Etat membre de l’ONU signifie la fin de l’actuel système des relations internationales en Europe et probablement, aussi, à l’échelle globale. Tout comme il était évident depuis le début que Poutine ne visait pas seulement les régions du Donbass et de Louhansk, il est tout aussi clair que son intention va au-delà de la frontière ukrainienne. Comme Hitler dans les années 1930, Poutine est déterminé à renouveler la position de superpuissance de son pays, même au prix de centaines de milliers, voire de millions de victimes ».

Pour un commentateur du quotidien Lidové noviny, la question clé est de savoir si la Russie entend renouveler la grandeur qu’elle avait sous Staline. L’occasion également de remarquer que, pendant de longues années,  l’Occident n’a pas pris la Russie et ses menaces au sérieux. « Mais outre la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine, il existe d’autres pays où les minorités russes sont importantes et que la Russie considère comme  appartenant à sa sphère d’influence », remarque-t-il avant de conclure :

« Nous devons espérer le meilleur, tout en étant prêts au pire. »

« L’Occident est trop passif, sa volonté de défense est faible. Poutine peut faire tout ce qu’il veut », titre un commentaire publié dans le quotidien Hospodářské noviny. Son auteur explique :

« Le monde démocratique est uni en ce qui concerne la condamnation de la violation du droit international. Les Etats-Unis et l’Union européenne ont adopté des sanctions à l’égard de la Russie. Mais il faut se demander jusqu’à quand l’Occident va persévérer dans sa détermination et quels seront les effets réels de ces sanctions. La Russie, comme on le sait, y est habituée. L’idée que des sanctions puissent ébranler la position de Poutine est dérisoire. En plus, ces mesures vont toucher non seulement la Russie, mais aussi les pays occidentaux. Les exportations limitées, la hausse du chômage, l’augmentation du prix des énergies, autant de retombées parmi beaucoup d’autres auxquelles il faut s’attendre. »

Le problème, selon le commentateur, c’est que les démocraties occidentales, à la différence de la Russie autoritaire, ne pourront pas ignorer pendant longtemps la voix de leurs populations mécontentes.

Le commentateur du journal en ligne Deník Referendum avoue s’être trompé en considérant les précédentes manœuvres à la frontière ukrainienne et le discours du Kremlin réclamant le retour à l’arrangement géopolitique d’avant 1997, comme une preuve de la diplomatie de la force. Et d’ajouter que les aspects humanitaires mis à part, « l’opération militaire russe constitue un tournant politique plus important que l’invasion en Irak ».

Un commentateur du site novinky.cz renchérit prétendant qu’« on voit se rétablir sur la carte du monde l’Union soviétique » :

« Tous ceux qui auraient pu espérer que la Russie allait se transformer en une puissance, pas forcément démocratique mais paisible et raisonnable, sont désormais définitivement déçus. Le président russe l’a déjà confirmé dans son discours télévisé prononcé lundi, en déplorant la ‘trahison’ des anciens pays satellites de l’empire soviétique. »

L’invasion russe en Ukraine dans le contexte tchèque

« L’opération militaire russe en Ukraine marque la fin du courant politique qui servait les intérêts de la Russie en Tchéquie  et qui était représenté notamment par le président Miloš Zeman ». C’est ce que signalait ce jeudi le site de l’hebdomadaire Respekt avant de rapporter que le chef de l’Etat a finalement vigoureusement condamné, par le biais d’un discours télévisé, l’agression russe qualifiée de « crime contre la paix » :

« Ce courant politique orienté à l’est ne va pas pour autant entièrement disparaître. Il y aura toujours des gens prêts à croire ce que l’on leur raconte. On peut s’attendre à une immense vague de désinformation et de manipulations. Toutefois, il n’y a aucun doute que cette stratégie a échoué. »

« La Tchéquie occupe dans les  événements sombres en Ukraine une place spécifique ». L’auteur de ce constat qui introduit un texte publié sur le site aktualne.cz explique :

Vladimir Poutine | Photo: Alexei Nikolsky,  ČTK/AP

« Il ne faut pas oublier qu’il n’y a que deux Etats, les Etats-Unis et la République tchèque, que le président russe a désignés comme pays ‘inamicaux’.  Pour lui, l’adhésion des Etats de l’ancien bloc de l’Est à l’OTAN représente une trahison et à la fois une défaite de la Russie. Trêve d’illusions. Poutine a des exigences à l’égard de notre pays et de ceux qui font partie de ce bloc. C’est un point dont nous devons tenir compte. Il faut notamment lutter plus efficacement contre les fake news. »

Le site aktualne.cz observe également qu’il a fallu une guerre, un immense désastre pour unir les citoyens tchèques et leur faire comprendre que « l’Occident, si souvent critiqué, a des avantages incontestables ».

Pour un commentateur du magazine Reflex, Poutine cherche à instaurer un nouvel ordre mondial. « Les retombées de l’opération militaire de la Russie en Ukraine sont inimaginables », écrit-il. Et de souligner :

« Aujourd’hui, nous pouvons apprécier le fait que le pays soit devenu membre de l’OTAN et que le président tchèque de l’époque, Václav Havel, ait fait cette démarche. Sinon, nous serions à la merci des Russes. »

Sommet d’OTAN | Photo: U.S. Department of State,  Flickr,  public domain

« Il faut le dire clairement. La situation en Ukraine nous concerne directement. Ce n’est pas un drame qui se déroule à 2 000 kilomètres de chez nous et dont les conséquences pour nous ne seraient que d’ordre économique », confirme l’auteur d’une note publiée dans le quotidien Hospodářské noviny, déjà cité. Il écrit :

« La Russie considère notre pays comme faisant partie de son espace d’intérêt, elle revendique un retour à la période d’avant 1997 où la Tchéquie n’était pas encore membre de l’OTAN. Elle entend nous ordonner ce que nous devons et ne devons pas faire. Il y a donc lieu de rendre hommage aux dirigeants des années 1990 qui ont permis l’entrée de la Tchéquie dans l’OTAN. Václav Havel, rappelons-le, prévoyait que la Russie n’allait pas se contenter de son rôle affaibli après l’éclatement de l’URSS et qu’elle voudrait de nouveau se déployer. »