La découverte d’une sépulture vieille de 2000 ans met en lumière l’histoire de l’est de la Tchéquie
Cela faisait deux millénaires qu’il reposait sous terre, intact, au creux de ce qui fut sa tombe intouchée depuis son inhumation. Il aura suffi d’un coup de pelleteuse et d’un ouvrier attentif dont le regard a été attiré par la présence d’un objet brillant dans la terre retournée, pour que soit mise au jour à Uherský Brod (sud-est de la Moravie), près de la frontière slovaque, la sépulture d’un haut dignitaire germanique remontant à la seconde moitié du Ier siècle de notre ère. Une découverte particulièrement rare selon les archéologues chargés du chantier, et qui devrait leur en apprendre davantage sur cette région au pied des Carpates blanches, située à environ 200 kilomètres du limes romain.
« Il faut replacer cette découverte dans son contexte historique. La datation la fait remonter à l’époque romaine, mais il faut rappeler qu’à cette époque, les territoires tchèques et moraves, celui de l’actuelle République tchèque, donc, se trouvaient dans une zone appelée le Barbaricum, donc au-delà du limes de l’empire romain. »
Tomáš Chrástek est le directeur du Département d’archéologie et d’histoire du Musée de la Slovaquie morave à Uherské hradiště, à l’est de la République tchèque, non loin de la frontière slovaque. Il est un des archéologues qui s’est occupé de la fouille de la sépulture découverte à Uherský Brod à l’automne dernier, ainsi que de son analyse, dont il a livré les premières conclusions à la Radio publique tchèque :« Il s’agit de la sépulture d’un seigneur local d’origine germanique. Ce n’est pas un Romain comme on a pu le lire çà et là dans certains articles. Quand on parle d’époque romaine, cela ne signifie pas automatiquement qu’il y ait eu une présence romaine sur notre territoire. Il y a en effet eu des unités de l’armée romaine sur notre territoire, mais c’est beaucoup plus tardif : c’est au moment des guerres marcomanes qui se sont déroulées pendant la seconde moitié du IIe siècle. Des découvertes archéologiques témoignent de cette présence. Mais concernant notre découverte à Uherský Brod, nous nous situons un siècle plus tôt et la situation dans cette région de la Moravie était alors différente. »
Autour de l’an 20 de notre ère se forme un royaume entre la rivière Morava et le Váh, un affluent du Danube, soit un territoire à cheval entre la Moravie, la Slovaquie et la Basse-Autriche actuelles. Tacite évoque dans ses Annales la naissance de ce qui est considéré comme le premier ensemble politique de la région. Il est dirigé jusqu’en l’an 50 par un certain Vannius, chef issu de la tribu germanique des Quades, qui est directement intronisé par Rome.Après sa destitution et son exil, le royaume s’effondre mais les différents centres de pouvoir qui se trouvent dans la région restent en place. Comme le précise Tomáš Chrástek, des recherches achéologiques récentes montrent qu’un de ces centres aurait pu se trouver justement à l’est de la rivière Morava. Donc dans la zone où a été récemment découverte la dépouille d’un haut dignitaire germanique.
En regardant plus en détail cette période, et à la lumière de cette découverte récente, plusieurs choses s’avèrent intéressantes. D’une part, si le fameux limes existe bel et bien, ces frontières, naturelles ou artificielles, de l’Empire romain sont poreuses, et les contacts existent des deux côtés. En témoigne d’abord la création « romaine » du royaume de Vannius, mais aussi la présence de nombreux objets de facture romaine retrouvés dans la sépulture d’Uherský Brod.
« Evidemment nous n’avons pas de preuves directes de la présence de citoyens romains dans cette région. Mais à cette époque, de nombreux objets d’importation circulent et se retrouvent ainsi chez nous. Le royaume de Vannius s’effondre en l’an 50, mais les centres de pouvoir qui existaient continuent de fonctionner. Et nous savons, grâce aux sources écrites,que des troupes armées germaniques ont combattu aux côtés de l’empereur Vespasien près de Crémone (bataille de Bedriacum en 69, ndlr). Donc on peut supposer qu’en guise de solde, ces combattants aient pu recevoir des objets originaires des provinces romaines. On peut tout à fait imaginer que ces objets aient pu se retrouver ainsi dans la tombe de notre dignitaire germanique. »Quelle était la sépulture et quels sont donc les différents objets avec lesquels a été inhumé ce chef de tribu germanique pour son dernier voyage ? Réponse de Tomáš Chrástek :
« On a d’abord supposé qu’il avait été enterré dans un cercueil en bois parce qu’il y avait des empreintes de planches autour de la fosse d’inhumation. Mais après consultation avec un anthropologue, on pense plutôt que la fosse a été coffrée. Le défunt a été inhumé vêtu de son costume complet, avec des éperons en bronze aux pieds. Ses vêtements étaient fermés par quatre agrafes de bronze. Autour de la taille, il portait une ceinture décorée, avec une grande fin de sangle en bronze assez représentative. Ce même genre d’objets a d’ailleurs été retrouvé dans une nécropole à Prague. Au niveau de la taille, on a également retrouvé une épingle en os et un couteau en bronze. Celui-ci est particulièrement intéressant parce qu’à cette époque, on fabriquait bien entendu les armes et les instruments avec du fer. Les objets en bronze étaient utilisés bien avant, à l’ère du bronze. Donc la présence du couteau en bronze ici signifie quelque chose d’autre, sa fonction est plutôt symbolique, d’autant qu’on n’a retrouvé aucune arme en fer dans la sépulture. »L’archéologue du Musée de la Slovaquie morave rappelle ainsi que dans toutes les sépultures princières découvertes sur le territoire du Barbaricum, on ne retrouve en général pas d’armes, mais plutôt des objets représentatifs du statut de la personne défunte et dont la fonction est davantage symbolique :
« Nous avons observé en détail les éperons au microscope et il est intéressant de voir qu’ils n’ont probablement jamais été portés ou utilisés. C’étaient donc des objets destinés essentiellement à être des offrandes déposées dans la tombe. D’ailleurs, des offrandes se trouvaient également à ses pieds, mais une bonne partie d’entre elles ont été malheureusement détruites au moment où la pelleteuse a creusé la terre et mis au jour la sépulture. »
Jusqu’à présent les archéologues avaient connaissance d’une dizaine de localités autour d’Uherský Brod, liées à cette période de la seconde moitié et du tournant du Ier siècle de notre ère. Mais les spécialistes pensaient que le peuplement germanique de la région était plutôt sporadique. La découverte de la sépulture d’un chef permet de supposer toutefois l’existence d’un vrai centre de pouvoir local, exerçant son autorité sur un réseau de villages dont certaines traces sont connues aux alentours d’Uherský Brod, mais qui pourrait être bien plus important et plus dense que ne l’imaginaient les historiens.Au-delà de ces premières conclusions, c’est désormais l’analyse détaillée de la dépouille et des objets mis au jour qui va occuper les chercheurs : une analyse qui devrait permettre de révéler de nouveaux éléments afin d’affiner les connaissances sur la période et l’histoire de la région, comme le précise encore Tomáš Chrástek :
« Nous avons déjà documenté les différents objets avec des photos et des dessins. Ceux-ci sont désormais entre les mains des conservateurs et nous allons essayer de restaurer ceux qui ont été abîmés. Je n’ose pas trop m’avancer là-dessus car certains objets ont été sérieusement endommagés. En ce qui concerne la dépouille, elle va faire l’objet d’une analyse anthropologique qui devrait permettre d’esquisser, au moins en partie, les raisons du décès, l’âge du défunt, etc. Nous verrons ce que les ossements vont révéler car le terrain où ils se trouvaient était particulièrement agressif et la dépouille est en mauvais état. »A terme, une fois la phase de restauration et d’analyses achevée, le Musée de la Slovaquie morave d’Uherské Hradiště prévoit d’exposer au public les trouvailles de la sépulture de ce dignitaire germanique du Ier siècle de notre ère dont la découverte pourrait permettre de jeter un regard neuf sur l’histoire antique de cette région frontalière, théâtre d’échanges peut-être bien plus importants qu’on ne l’imaginait.