La dégradation des monuments historiques : une affaire qui concerne tout le monde ?
La République tchèque rassemble des joyaux architecturaux uniques en son genre. Que ce soient des châteaux, des châteaux-forts ou d’autres bijoux architecturaux ou botaniques, la République tchèque possède près de 40 000 monuments historiques déclarés. Or la liste des monuments menacés, reste quant à elle malheureusement toujours importante.
« Il s’agit par exemple de la grange située à Krušovice, près de la brasserie, ou de la citadelle de Mlékovice, ou du château de Byšice. Mais ce qui nous tracasse à propos de cette liste ce sont les 881 autres bâtiments et monuments historiques qui y apparaissent de longue date. »
D’autres lieux nouvellement apparus sous le statut de 'menacés' sont, entre autres, la maison de campagne de l’écrivain Antal Stašek à Semily ou le château de Košumberk. Simona Juráčková toujours :« L’état de certains monuments historiques ne s’améliore pas, mais d’autres au contraire, nous font plaisir. Par exemple, certains monuments disparaissent de la liste, à partir du moment où les propriétaires commencent à s’y intéresser, et à les rénover, dans le respect des exigences et des conditions de l’Institut national du patrimoine. Lorsqu’on arrive à faire sortir les monuments de leur état de délabrement initial, alors ils sont rayés de cette liste. »
Toutefois, si ce répertoire de monuments est constamment mis à jour par les bureaux territoriaux de l’Institut national du patrimoine, et ce dans le cadre du projet de Renouvellement de l’identification des monuments culturels en République tchèque, il sert uniquement d’avertissement. Précisons que l’inscription des monuments sur cette liste, qui se fait sur la base d’une évaluation d’experts en termes de menaces pour les valeurs du patrimoine, n’est pas préalablement discutée avec le propriétaire, qui reste dans l’anonymat. Simona Juráčková poursuit :« Bien sûr, il s’agit d’un avertissement. Mais lorsque le monument se retrouve sur la liste, alors, en tant qu’institution qui préserve le patrimoine national, nous en informons la commune ou la région, qui réclament par elles-mêmes aux propriétaires des mesures à prendre. Si une personne possède un monument historique protégé, il en découle logiquement des obligations légales. La personne est censée en prendre soin. Et si elle manifeste effectivement la volonté de s’en occuper alors il existe un grand nombre d’aides financières. Je peux nommer, entre autres, le Fond tchéco-allemand de l’avenir. Ensuite le ministère de l’Agriculture possède un programme de développement de la ruralité, et le ministère du Développement régional ainsi que les bureaux régionaux proposent également des subventions. Pour ces cas-là, l’avis de l’Institut national du patrimoine ainsi que le plan approuvé de rénovation du monument sont nécessaires. »
L’intérêt de cette liste ne réside pas dans la volonté de critiquer les propriétaires de ces lieux, qui pour, la plupart d’entre eux, ne portent pas la faute de l’état délabré. Mais dans le cas où quiconque souhaiterait apporter son aide pour sauver tel ou tel monument, c’est à lui de prendre l’initiative et contacter les propriétaires. De plus, certains monuments menacés sont déjà pris en charge par des volontaires appartenant à des organisations à but non lucratif, créées dans le but de s’en occuper. Mais à qui appartiennent ces monuments ? Simona Juráčková développe :« Il s’agit d’un grand mélange. Dans la plupart des cas il s’agit de monuments historiques privés, mais il y a également des monuments religieux, des monuments appartenant aux communes, ainsi que des monuments appartenant à l’Etat. Malheureusement on peut trouver sur cette liste également plusieurs monuments historiques appartenant à l’Institut national du patrimoine, mais ce n’est pas de notre faute si ces monuments se sont retrouvés sur cette liste. J’aimerais mentionner par exemple le château de Uherčice, lequel a été saccagé pendant près de trente ans sous le régime communiste. En effet, la Coopérative agricole communiste (Jednotné zemědělské družstvo) ainsi que d’autres institutions de ce type n’en prenaient pas assez soin. Au milieu des années 1990, la gestion du château de Uherčice a été attribuée à l’Institut national du patrimoine, et nous nous efforçons de le remettre en bon état. Néanmoins, il figure toujours sur la liste des monuments menacés, parce que tous les critères nécessaires n’ont pas été remplis. » En raison de la situation déplorable de l’après-guerre, suivie d’une mauvaise gestion de l’Etat, le château de Uherčice a été complètement délabré à la fin des années 1980. Passé sous la gestion de l’Institut national du patrimoine de Brno, il a été réhabilité en 1995, et les travaux de rénovation ont commencé dès l’année suivante. Et c’est à partir de ce moment-là et ce d’une façon assez unique en son genre, que les visiteurs curieux ont pu évaluer par eux-mêmes à la fois l’ampleur de la dégradation architecturale ainsi que l’avancée des travaux de rénovation. Arrêtons-nous maintenant auprès d’un autre monument menacé : les ruines du château de Krakovec. Situé à 15 km de la ville de Rakovník, et ce précisément sur la frontière de la zone naturelle protégée de Křivoklátsko, appartenant à la réserve mondiale de la biosphère de l’UNESCO, le château de Krakovec datant du XIVe siècle est l’un des rares châteaux construit sous le règne du roi Venceslas Ier du Saint-Empire. Le châtelain de Krakovec, Jiří Sobek, nous dévoile son caractère unique :« Le château de Krakovec peut être considéré comme le premier château du Royaume de Bohême, avec une date de construction devançant de près de 200 ans tous les autres châteaux. A son époque il s’agissait d’un des endroits les plus luxueux des Pays de la Couronne de Bohème, et il fait toujours partie d’une des architectures les plus particulières et les plus intéressantes en Europe. »
Le château de Krakovec est l’un des rares édifices qui englobe à la fois des éléments de construction d’un château-fort que ceux d’un château classique. Exemple d’un développement inouï de l’architecture, la structure de ses ruines, illustre les hautes exigences de la noblesse de l’époque sur la façon d’habiter. Jiří Sobek nous livre plus de détails sur la structure originale de Krakovec:« Afin de ne pas avoir de cheminée dans chacune des vingt-sept pièces habitables du château - car des cheminées placées un peu partout auraient un impact négatif sur l’aspect architectonique du château- alors il n’y avait que quelques systèmes de chauffage, et c’est à travers des soupiraux que la chaleur circulait sans arrêt dans toute la propriété. Si les constructeurs avaient conçu un plan sur la base d’un simple rectangle, alors ils se seraient simplifiés énormément la tâche. Et même d’un point de vue financier, ce type de construction aurait été bien plus économe, par rapport à ce qu’a impliqué ce type de construction lequel a effectivement vu le jour. »
Si nous ignorons le nom de l’architecte du château de Krakovec, nous savons que sa construction a été commandée par le burgrave du château de Křivoklát et le principal conseiller du roi, Jíra de Roztoky. Mais rappelons que Krakovec est essentiellement connu pour avoir été le dernier lieu habité par le réformateur religieux tchèque Jan Hus, avant qu’il ne quitte la Bohême pour Constance. Le propriétaire du château de Krakovec de l’époque, Jindřich Lefl de Lažany, étant partisan de la réforme de l’enseignement, avait invité Jan Hus à Krakovec, lequel y était resté sous sa protection jusqu’en 1414. L’année dernière, le sculpteur Milan Vácha a façonné Jan Hus dans toute sa véracité, à savoir de taille un peu plus corpulente, loin de l’image svelte et maigre que les Tchèques ont tendance à avoir de lui. Au pied du château de Krakovec, il est désormais possible d’admirer un Jan Hus assis, en pleine méditation, avec un livre appuyé contre son cœur. Milan Vácha a expliqué cet aspect réaliste de la statue :« Jan Huse était un individu petit et gros, qui disait de lui-même qu’il ne pouvait pas monter à cheval, mais seulement sur un mulet. Il disait de lui-même: ‘Je suis gras’. »
Le châtelain de Krakovec, Jiří Sobek, confirme qu’outre la ville de Husinec et la chapelle de Bethléem de Prague, Krakovec a bel et bien fait partie des endroits où Jan Hus a passé la dernière année de sa vie.
« C’est ici que Jan Hus a écrit cette formidable défense, que l’on connait sous le nom de ‘Knížky proti knězi kuchmistrovi’ – ‘Les livres contre le chef cuisinier devenu prêtre' ; il s'agit d'un essai polémique par lequel il a prouvé de façon vigoureuse que même l’homme le plus mauvais est meilleur que le diable, et qu’en fait l’excommunication pontificale ne peut pas lui faire du mal, si elle n’est pas en accord avec la providence de Dieu. Et c’est ici à Krakovec, que Jan Hus a obtenu l’invitation au concile de Constance. »Le 11 juillet 1414, Jan Hus se rend de Krakovec au concile de Constance, où il sera jugé, puis condamné comme hérétique à être brûlé vif près d’un an plus tard. Il reste à savoir si le grand public doit contribuer davantage à la sauvegarde de ces monuments historiques menacés, et malgré le fait qu'ils soient de propriété privée, dans la mesure où ils font partie intégrante du patrimoine national.