La fille de Milada Horakova : « Impossible de raconter ma dernière rencontre avec ma mère ».

Milada Horakova
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La fille de Milada Horakova cherche la tombe de sa mère... C'est sous ce titre que le quotidien Hospodarske noviny a rappelé, dans l'une de ses récentes éditions, que 103 ans se sont écoulés, il y a quelques jours, depuis la naissance de l'une des femmes tchèques les plus remarquables du XXe siècle. Milada Horakova, une des centaines de victimes du régime communiste, a été exécutée en 1950. Une occasion pour nous d'évoquer quelques moments clés de la vie de ce personnage extraordinaire.

... « Je suis humble et résignée à la volonté de Dieu. C'est lui qui m'a imposé cette épreuve et je la subis, animée par le voeu d'accomplir les lois divines et d'être digne du nom humain qui est le mien. Ne pleurez pas. Ne vous laissez pas aller à la nostalgie. C'est mieux comme ça que de mourir lentement. Mon coeur ne supporterait plus trop longtemps d'être dépourvu de liberté.

Les oiseaux se réveillent. Le jour se lève. Allez-vous promener dans les prairies et dans les forêts. Vivez. Vivez.

Observez tout ce qui est beau, autour de vous, c'est ainsi que l'on restera toujours ensemble. En regardant ceux qui vous entourent, vous verrez que chacun porte une petite trace de moi... Je ne suis désemparée ni désespérée. Je suis calme, car il y a du calme dans ma conscience. »

La lettre d'adieux que Milada Horakova avait écrite dans la nuit du 27 juin 1950, avant son exécution dans la cour de la prison de Pankrac, à Prague, et adressée à sa soeur, ne cesse d'émouvoir. C'est cette même nuit qu'elle a eu l'occasion de recevoir l'ultime visite de sa fille, Jana, alors âgée de seize ans.

La fille de Milada Horakova qui s'appelle Jana Kanska vit depuis une quarantaine d'années aux Etats-Unis, entourée de sa famille. Elevée après la mort de sa mère par sa tante, elle a pu prendre, vers la fin des années soixante, le chemin de l'émigration.

Une photo publiée dans le journal Hospodarske noviny montre une septuagénaire souriante, au visage intelligent et ses traits trahissent une grande ressemblance avec sa mère. « Chaque année, le 25 décembre, je rappelle à mes petits-enfants que c'est le jour anniversaire de leur arrière grand'mère », se confie Jana Kanska, dans les pages du journal.

Au printemps prochain, elle compte visiter Prague, avec un but très précis : mettre fin aux spéculations se rapportant au lieu du dernier repos de sa mère. Dans les années cinquante, la perfidie des autorités communistes est allée jusqu'à refuser de délivrer à la famille de Milada Horakova l'urne avec ses cendres. « On n'a jamais su où celle-ci se trouve. Selon les témoins, elle aurait été mise dans une tombe commune », dit Jana Kanska.

Sur le tombeau qui est consacré à Milada Horakova dans le cimetière de Vysehrad où reposent les grandes personnalité de l'histoire tchèque, on peut lire : « Exécutée et non enterrée ».

Pour l'historien Petr Zidek, Milada Horakova est un martyre de la démocratie... Née à Prague en 1901, dans la famille d'un commerçant, elle est élevée dans l'esprit des principes patriotiques et démocratiques. Avant la Deuxième Guerre mondiale, elle fait des études en droit et se marie. Même si elle devient membre du Parti socialiste, elle n'entre pas pour autant réellement dans la politique active. Le social et la défense des droits des femmes sont alors au centre de son intérêt.

Pendant l'occupation nazie de la Tchécoslovaquie, elle s'engage avec son mari dans la résistance. Arrêtée par la gestapo en 1940, elle est mise en prison, d'abord à Prague, puis, dans la petite forteresse de Terezin. Elle est torturée et échappe de justesse à la mort : le tribunal de Dresde devant lequel elle est traduite quelques mois avant la fin de la guerre, rejette la proposition de peine capitale, la condamnant à huit ans de réclusion.

La guerre une fois terminée, Milada Horakova participe activement et avec un grand engouement au renouvellement de la démocratie dans le pays et se lance dans la politique. Présidente du Conseil des femmes tchécoslovaque, elle est élue députée du Parlement.

Le souffle de liberté dans la Tchécoslovaquie d'après-guerre n'est, hélas, que de très courte durée. Le putsch communiste de février 1948 approche et Milada Horakova, lucide, fait tout pour mettre en garde devant le danger qui guette le pays et qui vient de Moscou.

Au lendemain du putsch, la politicienne se voit démise de toutes ses fonctions. Le jour de la mort de Jan Masaryk, ministre des Affaires étrangères, quinze jours plus tard, elle renonce à son mandat parlementaire. Dès lors, elle s'engage, en commun avec un groupe d'anciens députés et autres personnalités, dans ce que l'on appelle la « troisième résistance anti-communiste » et qui cherche à renverser, par ses activités politiques, l'évolution dans le pays. Elle est arrêtée en septembre 1949. Un procès monté de toutes pièces, sous l'égide des « conseillers » soviétiques, commence. Une immense campagne médiatique est lancée, on ne comptera pas les résolutions et pétitions de gens simples réclamant les peines les plus sévères pour les accusés.

« Milada Horakova est incorrigible. Sa haine envers le système démocratique populaire est sans borne », dira dans son plaidoyer, d'une voix glaciale et fanatisée, le procureur tristement célèbre, Josef Urvalek. Quel contraste avec la sérénité et le calme qu'a gardés, pendant tout le procès, Milada Horakova, forte de sa vérité et fidèle aux principes et aux idéaux qu'elle chérissait.

4 peines capitales. 4 peines à perpétuité. 5 peines de longue réclusion. Voilà les verdicts qui tombent à la fin du procès. Milada Horakova est condamnée à mort.

L'opinion internationale proteste : Albert Einstein, Winston Churchill et beaucoup d'autres élèvent leurs voix. En vain. La pitié envers la politicienne qu'il connaissait personnellement, ne fait pas partie du vocabulaire du « premier président ouvrier », Klement Gotwald.

La vie de Milada Horakova s'achève, dans la cour de la prison de Pankrac, le 27 juin 1950, à 5h35. Trois exécutions étant effectuées, ce matin-là, elle est la dernière à passer à l'échafaud...

« Je ne peux toujours pas raconter ma dernière rencontre avec ma mère. J'aimerais bien l'écrire, j'ai déjà essayé, mais je n'ai jamais réussi », dit la fille de Milada Horakova, dans Hospodarske noviny ».