La francophilie à la tchèque

Stéphane Reznikow
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En 2002 paraissait aux éditions Honoré Champion une étude intitulée «Francophilie et identité tchèque». Son auteur, Stéphane Reznikow, se penche sur ce phénomène important qui a marqué la société tchèque au XIXe siècle et a préparé l’alliance de la Première Guerre mondiale. Aujourd’hui, le livre traduit en tchèque par Alena Lhotová paraît aux éditions Karolinum. Stéphane Reznikow a lui-même présenté aux auditeurs de Radio Prague cet ouvrage retraçant la perception de la culture, de la civilisation et de la politique françaises dans le milieu tchèque entre les années 1848 et 1914.

«En octobre 1990, je venais d’arriver à Prague et j’ai travaillé à l’Institut français après les années noires. Et un nombre incroyable de personnes âgées, de vieux francophiles, de gens qui n’étaient plus allés à l’Institut depuis des années, sont venus pour la réouverture de l’Institut. Et parfois ils venaient avec une très grande émotion, avec les larmes aux yeux. (…) J’étais historien de formation et j’ai trouvé dans les caves de l’Institut des archives de l’Alliance française, ce qui me permettait de créer un lien entre cette francophilie que je voyais et les archives. D’où l’idée d’écrire cette thèse qui a été publiée et qui est maintenant traduite en tchèque.»

Votre livre couvre la période entre 1848 et 1914. Pourquoi avez-vous choisi justement cette période ?

«Parce qu’il n’y avait, historiquement, presque rien sur cette période. Les relations franco-tchèques sont plus étudiées depuis la Première Guerre mondiale. Tout le monde sait que la France et la Tchécoslovaquie étaient alliées pendant la Première Guerre mondiale. Tout le monde sait ce qui s’est passé à Munich en 1938. On sait mais on oublie que l’an 1948 a représenté une coupure importante dans les relations franco-tchèques. Mais la période d’avant 1914 était vraiment la plus méconnue. (…) Le sujet n’a quasiment pas été traité sinon par les travaux de Pavla Horská mais qui ne portait pas sur l’ensemble de la période.»

Qu’était donc la francophilie tchèque ? Comment se manifestait-elle ?

«Elle se manifestait presque partout, c’est ça qui est amusant. L’homme de la rue se déclarait volontiers francophile, l’homme politique, surtout celui du Parti Jeune Tchèque, se déclarait volontiers francophile, mais ce qui est plus étonnant, c’est qu’il se déclarait ouvertement francophile de manière presque militante. Et je me souviens avoir lu dans les papiers de l’Alliance française, quand elle a avait été fondée à Prague en 1886, c’est une des premières Alliances françaises du monde, je me souviens de la question d’un membre qui avait demandé au président de l’Alliance, le peintre Soběslav Pinkas, s’il était nécessaire de parler français pour être membre de l’Alliance française. Et Soběslav Pinkas a répondu : ‘Non, il suffit simplement d’être patriote tchèque’. Donc, cette francophilie, et c’est sa vraie originalité, était un moyen de s’affirmer à la fois comme Tchèque et comme occidental, un moyen de ne pas s’affirmer Allemand, un moyen de s’affirmer réellement Européen. A mon avis, souvent la francophilie, en fait, pourrait être une autre forme d’europhilie. Sinon, ces relations se manifestaient souvent par des rencontres entre gymnastes dans le cadre du mouvement Sokol ou entre la marie de Paris et la mairie de Prague. Comme, avant 1914, les Pays tchèques n’étaient pas un Etat indépendant, ces relations ne pouvaient pas avoir un caractère véritablement officiel, même si la France a ouvert un consulat à Prague dès 1897.»

Vous pouvez entendre l’intégralité de cet entretien, samedi, dans la rubrique «Rencontres littéraires».