La fusion-pop en français d’Annabelle Fárová

Annabelle Fárová, photo: Magdalena Hrozínková

Annabelle Fárová porte le nom d’une lignée de femmes à la forte personnalité en Tchéquie. Une grand-mère d’origine française devenue spécialiste de la photographie suite à sa rencontre avec Henri Cartier-Bresson, une mère artiste, une tante photographe. Un tel curriculum familial n’a guère fait peur à cette jeune femme brune et énergique qui a choisi la musique, histoire de varier les plaisirs. Quand on la rencontre, tatouée et volubile, on l’imaginerait volontiers chanteuse rebelle de hard rock ou de metal. Pourtant il n’en est rien…

Annabelle Fárová,  photo: Magdalena Hrozínková
Annabelle Fárová, bonjour. Vous êtes chanteuse, auteure et compositrice, mais avant de parler de votre travail, j’aurais aimé revenir sur l’histoire de votre famille. Vous venez en effet d’une famille d’artistes. Rappelons que votre grand-mère était Anna Fárová, historienne de la photographie que nous avons eu la chance et l’honneur d’interviewer sur Radio Prague avant son décès. Votre mère, Isabella Fárová, est artiste-sculptrice…

« En effet, ma mère est en effet sculptrice et mon père est photographe. Donc ça fait plusieurs générations d’artistes… »

Mais vous avez un peu dévié de route, de ces arts visuels, puisque vous avez choisi de vous consacrer à la chanson et à la musique…

« Oui, mais ça je l’ai su depuis toujours. Ma mère l’a senti quand j’étais dans son ventre. Elle voulait me prénommer Melody. Elle savait instinctivement que je voudrais faire de la musique et moi-même je l’ai su depuis toute petite. Finalement, pour mon prénom, elle a rassemblé le prénom de ma grand-mère, Anna et la fin de son prénom, Isabella, pour donner Annabella ou Annabelle. »

Anna Fárová,  photo: Kristin Jacobson
Comme je le disais, vous n’avez pas échappé à une vocation artistique même si vous avez choisi une autre voie. J’aimerais approfondir ce sujet. Pourquoi avoir choisi le chant et la musique ? Je rappelle que vous avez fait le Conservatoire à Prague, donc ce n’était pas ‘juste’ pour le plaisir…

« Je savais de toute petite que je me destinais au chant. A quatre ans, je me dessinais moi-même, debout sur une scène en train de chanter… Pourtant je ne savais même pas chanter à quatre ans ! C’était juste une vision qui a été plus forte en grandissant. »

Rappelons, puisque vous parlez français, que vous n’avez pas grandi en République tchèque…

« Exactement, je suis née en Belgique, à Bruxelles. J’y ai vécu jusqu’à l’âge de dix ans. J’y suis allée à l’école maternelle et primaire. Ensuite on a déménagé en Tchécoslovaquie avec mes parents. »

Dix ans, c’est un âge où on n’est plus tout à fait petit, mais encore grand non plus. Ce changement a-t-il était difficile pour vous ?

Isabela Fárová,  photo: ČT
« Oui. Pour moi et ma famille c’était une grande aventure parce que nous avons coupé les ponts avec la grande ville et nous nous sommes allés nous installer dans un tout petit village à la campagne, dans une ferme. Ma mère a d’ailleurs deux chevaux. Donc c’était vraiment une vie en lien avec la nature. Pour les enfants de ma classe c’était aussi une nouvelle expérience : c’était la première fois qu’ils voyaient une ‘étrangère’. Pour moi, ça a été dur aussi parce que j’ai dû apprendre le tchèque, la grammaire, le vocabulaire etc. »

Donc vous êtes passée de la grande ville à la campagne, et vous êtes passée d’une langue à l’autre de manière radicale…

« C’est exactement ça. »

Et les enfants de la classe vous considéraient comment ? Ils vous regardaient avec suspicion ?

« C’était un peu dur. Mais ensuite, les années passent, vous êtes dans le collectif et les enfants ont fini par me considérer comme l’une d’entre eux. »

Pourquoi avoir choisi de chanter en français ?

« Parce que j’adore la langue française. Elle m’inspire énormément. Mais j’écris aussi des choses en anglais. En fait, ça dépend du style de musique que je fais. Quand il y a besoin de faire plus ‘dance music’, alors c’est l’anglais… »

Ça marche moins avec le français ?

« Oui ! Alors que pour les chansons plus classiques, le français est la langue idéale. »

Quelle place avait le français à la maison ? Dans quelle mesure était-il présent ? Par les livres, les films ?

« A l’école je parlais français, et à la maison on regardait des films, on écoutait la radio en français… Mon arrière-grand-mère habitait à Nice et on y a passé quelques vacances aussi. »

Au niveau de vos inspirations musicales, est-ce que vous allez chercher votre inspiration dans la musique française ou bien dans d’autres musiques ?

« Côté musique, je suis une grande fan de Maître Gims, Stromae ou Zaz. Mais dans le fond, je ne crois pas être influencée par quelqu’un. J’essaye de faire mon style. La musique vient de moi-même. »

Justement, comment vous qualifiez votre style ?

Annabelle Fárová,  photo: Magdalena Hrozínková
« Mon style est mix de styles. J’appelle ça fusion-pop ! Tout le monde me pose la question sur mon style et c’est difficile de dire si c’est tel ou tel style. Donc j’ai moi-même donné un nom à ce que je fais. ‘Fusion’ parce qu’il y a un peu de tout dedans. »

Cette fusion on la retrouve en vous de manière presque physique. Il y a un contraste, en vous voyant, entre votre apparence et ce que vous chantez. Vous êtes une jeune femme dont le physique contredit un peu vos chansons. Ce sont souvent des chansons assez romantiques et vous, au contraire, avez des tatouages partout, des bijoux, des piercings… C’est un contraste intéressant !

« Pour moi, le tatouage est comme une deuxième peau. C’est une sorte de protection. J’ai une nouvelle chanson, qui s’appelle Tatouée et qui explique mes états d’âme sur la question du tatouage. Je crois que si mes fans sont patients, ils pourront bientôt entendre cette chanson où je dirai ce que je ressens. »

Est-ce que c’est gênant que les Tchèques ne comprennent pas vos textes ?

« J’ai justement mis récemment des sous-titres sur YouTube. En effet, il y avait des fans tchèques qui me disaient qu’ils ne comprenaient pas ce que je chante. Les sous-titres sont là pour les aider maintenant. Mais je crois que les Tchèques aiment beaucoup la langue française donc ils n’ont pas de problème avec le français en tant que tel, juste avec le fait de ne pas comprendre. »

Pour l’instant, vos chansons sont sur YouTube. Avez-vous un album en préparation ?

« Cette année je l’espère ! Cela fait déjà trois ans que j’en parle mais j’espère que 2019 sera enfin l’année de mon album. Je suis perfectionniste. Une chanson me prend du temps. J’y mets le cœur etc. C’est ma faute au final. Je suis capable de passer deux, trois, quatre mois sur une chanson. »

Vos chansons ont-elles été diffusées dans des pays francophones ?

« Oui, je suis très contente qu’en France, une station de radio, One Air, joue toutes mes chansons qui sont sur YouTube. Grâce à cela, un poète français, Didier Floch m’a envoyé son texte et j’ai fait une chanson ‘Je t’aime’ qui est la toute dernière postée sur YouTube. Le clip est, je crois, vraiment très réussi ! »

Vous avez été candidate pour représenter la République tchèque à l’Eurovision. Sans succès pour le coup. Mais qu’est-ce que cette expérience vous a-t-elle apporté ?

« Cette année, c’est la deuxième fois que j’envoie mes chansons pour la République tchèque. L’année dernière, j’ai donc aussi participé. Et sur 400 candidats, j’ai fini dans les dix derniers. C’est quand même pas mal, je trouve ! Cette année, ce n’était pas aussi bien, puisque j’ai été refusée. L’an prochain, je voudrais réessayer, mais cette fois-ci en Belgique. Je suis belge aussi. Ici, les Tchèques ont des problèmes à envoyer une chanson en français à l’Eurovision. Donc je vais essayer aussi dans ma deuxième patrie ! »

Ce serait une façon de renouer avec votre deuxième pays…

« Exactement ! »

C’est étonnant quand même, car l’an dernier, la Tchéquie a envoyé un chanteur qui chantait en anglais à l’Eurovision…

« Oui, en anglais ! Ils n’ont pas de problème avec l’anglais, mais avec le français oui. »