La Galerie nationale dans la tourmente après le limogeage de son directeur

Jiří Fajt, photo: ČTK/ Vít Šimánek

L’annonce a fait l’effet d’une petite bombe, jeudi dernier, juste avant le week-end prolongé de Pâques : le ministre de la Culture a annoncé qu’il limogeait le directeur de la Galerie nationale, Jiří Fajt (ainsi que celui du Musée des Arts d’Olomouc). La nouvelle a aussi suscité la consternation chez certains politiques tchèques et les experts du monde de l’art, mais également à l’étranger, où plusieurs collègues ont exprimé leur « stupéfaction » dans une lettre ouverte.

Jiří Fajt,  photo: ČTK/ Vít Šimánek
Ce ne sont pas moins de douze représentants de prestigieuses institutions culturelles qui ont affirmé leur soutien à leur collègue tchèque Jiří Fajt, à l’annonce de son limogeage. Parmi eux, notamment les directeurs de la Tate Galery à Londres, du Met à New York, ou encore de collections et musées de Lyon, Dresde, Vienne et d’autres villes européennes.

Jeudi dernier, lors d’une conférence de presse, le ministre de la Culture, Antonín Staněk, a justifié sa décision par les résultats d’un audit de la Galerie nationale. Il a précisé qu'il allait d’ailleurs déposer deux plaintes contre Jiří Fajt pour « des contrats douteux ».

Ces soupçons de malversation ont surpris l’ancien ministre de la Culture, Daniel Herman, à l’origine de la nomination de Jiří Fajt à son poste. L’idée de ce limogeage viendrait de plus haut, du président Miloš Zeman en personne. En 2014 déjà, il avait vu d’un mauvais œil - toujours selon l’ancien ministre -, cette nomination. A l’époque, Daniel Herman avait estimé qu’il n’était pas dans les prérogatives du chef de l’Etat d’intervenir dans les compétences ministérielles de ce type. Pour Daniel Herman, l’animosité personnelle du président Zeman est claire :

Daniel Herman,  photo: Ondřej Tomšů
« Le président Zeman ne parle plus avec moi depuis ma rencontre avec le dalaï-lama, donc je n’en sais pas plus. Mais je pense que le fait qu’il refuse de manière répétée, aujourd’hui encore, de nommer Jiří Fajt professeur d’université, est une autre preuve très claire de son animosité. »

Jiří Fajt est à l’origine un historien de l’art spécialiste du Moyen-Âge. En tant que curateur, on lui doit, à Prague, plusieurs grandes expositions consacrées à Maître Théodoric ou au mécénat du roi de Bohême et empereur Charles IV. Reconnu par ses pairs, Jiří Fajt est considéré par beaucoup comme l’artisan de la renaissance de la Galerie nationale, au niveau local et international, et de la fin d’une forme de provincialisme de l’institution, comme le souligne l’historien de l’art Jiří Machalický :

« Ces dernières années, sous la direction de Jiří Fajt, la Galerie nationale était une institution qui, selon moi, était vraiment en train de décoller. De mon point de vue de spécialiste, je peux dire qu’elle avait un programme toujours de meilleure qualité. Après la révolution de velours, la Galerie nationale a souffert du fait d’avoir à sa tête des directeurs qui ne restaient en place qu’un temps avant d’être révoqués, alors que là, Jiří Fajt semblait avoir une vision précise de ce que devait être le programme de cette institution. »

Parmi les quelques événements notables qui ont scandé la vie culturelle pragoise ces derniers temps : les expositions consacrées au Douanier Rousseau « Bonjour Monsieur Gauguin », aux artistes tchèques inspirés par la Bretagne ou encore la grande rétrospective František Kupka, organisée avec le Centre Pompidou.

C’est d’ailleurs l’une des interrogations majeures qui a suivi l’annonce du limogeage de Jiří Fajt : qu’adviendra-t-il du projet de partenariat avec le célèbre musée parisien ? Pour le principal intéressé, qui a récemment signé à Paris le mémorandum de coopération entre les deux institutions, la chose est entendue :

« Je pense que le projet de collaboration avec le Centre Pompidou est menacé. Ce n’est pas un secret : nos collègues en France ont clairement donné leur accord parce que j’étais le seul garant de ce projet, chargé de mettre en œuvre une certaine vision, le seul gage de qualité de ce qui doit être réalisé. C’est évidemment à eux maintenant d’exprimer leur position sur la question. Mais je ne pense pas que le projet puisse avancer comme cela a été le cas jusqu’à présent. »

Le Premier ministre Andrej Babiš, qui s’était fait le porte-voix du projet, s’est, pour sa part, voulu rassurant, estimant que le projet allait se poursuivre « quel que soit le directeur de la Galerie nationale. »

Quoiqu’il en soit, après près de cinq ans de stabilité à la Galerie nationale, s’ouvre une période d’incertitude pour l’institution : un directeur temporaire a d’ores et déjà été choisi pour, officiellement, assurer la transition. Le CV d’Ivan Morávek en a fait tiquer plus d’un : l’ancien adjoint aux affaires économiques de la Bibliothèque nationale a aussi été directeur général de la société Penam Slovakia, qui fait partie du groupe agro-alimentaire Agrofert, dont l’ancien propriétaire n’est nul autre que le Premier ministre en personne. De là à y voir une incarnation des ambitions de ce dernier à privatiser l’Etat, il n’y a qu’un pas que nombreux ont déjà aisément franchi.