La gourmandise n’est pas un vilain défaut

Photo: Archives de Radio Prague

Vous qui êtes francophones savez tous ce qu’est un « gourmand », ou du moins pensez le savoir. Pour les Tchèques, même si la gourmandise existe bien entendu chez eux aussi et dans leur langue, la chose est parfois un peu moins évidente, du moins pour ce qui est du mot qui tire son origine du français… Ainsi, elle ne serait pas un péché mignon.

Un conseil, amis francophones : si, un jour, en vous aventurant dans un restaurant ou une brasserie tchèque, vous voyez « Gordon bleu », « Cordon blue » ou même « Gordon blue » inscrit au menu, ne vous étonnez pas trop. Il ne s’agit certainement pas d’une spécialité locale préparée avec amour par un fin cordon-bleu, autrement dit un cuisinier très habile et doué, mais bien d’un cordon bleu tel que vous le connaissez, dans le sens de plat à base d’une escalope, le plus souvent de poulet en République tchèque, roulée de jambon et de fromage avant d’être panée. Néanmoins, pour être certain de bien voir arriver dans votre assiette ce que vous souhaitiez, prenez votre plus bel accent anglais au moment de passer votre commande auprès du serveur ou de la serveuse. S’ils savent bien qu’il ne s’agit pas d’une spécialité appartenant à leur chère gastronomie nationale, peu de Tchèques savent que sinon le plat, du moins l’appellation de celui-ci, est française. Ceci dit, ne soyons pas trop méchante langue non plus et reconnaissons que, bien préparé, un cordon bleu, qui semble être plutôt une spécialité autrichienne, sortant de la cuisine d’un resto tchèque vaut souvent bien mieux que l’horrible plat tout préparé et congelé qui est vendu en France ou en Belgique et avec lequel certains nourrissent leurs enfants.

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Mais ça, donc, un grand nombre de Tchèques ne le savent pas encore, sauf celui parmi eux qui est ou se considère comme un « gurmán » (ou une « gurmánka »à la forme féminine). Un mot intéressant et un peu curieux, ce « gurmán » (prononcez « gourmane »). D’abord parce qu’il provient bien entendu du français « gourmand ». Or, on le sait, la gourmandise est un vilain défaut. En français, le gourmand, dans son sens le plus usité, est une personne qui aime changer des bonnes choses mais en quantité, avec excès. C’est là un sens péjoratif, celui de glouton, goinfre ou gueulard (et pas celui qui crie fort et beaucoup). Mais on peut aussi être « gourmand comme un chat », c’est-à-dire non seulement aimer la bonne nourriture, et alors pourquoi pas en quantité, tout en l’appréciant, et donc a priori sans excès. Et c’est ce second sens, et lui seul, que l’on retrouve en tchèque, où l’équivalent, le synonyme, est « labužník ». Là aussi, il s’agit d’un mot très intéressant pour les francophones dans la mesure où, si l’on prête attention à sa prononciation (« laboujnique »), on se rend compte qu’il pourrait exister un rapport avec le mot français « la bouche », une origine qui, sans trop entrer dans les détails et si l’on s’en tient aux explications compliquées de l’Institut pour la langue tchèque, remonterait au Moyen-âge.

En tchèque, un « gourmand » dans le sens de « labužník » ou de fine gueule, connaisseur de bonne bouffe, voire de bon vivant, se dit aussi « mlsoun », même si, dans les faits, on entendra plus communément parler de « mlsný jazyk », littéralement « une langue gourmande (ou friande) », bref « une fine langue » en quelque sorte, voire même, mieux encore, de « mlsný jazýček » - « une petite langue gourmande » dont la connotation d’ailleurs, pour l’esprit « bien » tourné que nous avons, serait presque érotique.

Au point où nous nous en sommes, et puisqu’il est ici question de gourmandise et de « petite langue » (bien pendue ?), ouvrons une parenthèse pour préciser que les Tchèques, dans leur argot et comme d’autres peuples en Europe, parlent de « francouzák » pour désigner ce qu’ils considèrent comme un « baiser à la française » – « francouzský polibek », c’est-à-dire embrasser une personne sur la bouche en se servant de la langue, et bien entendu avec les lèvres gourmandes, bref rouler non pas une tranche de jambon autour d’une escalope, mais rouler une pelle, un palot, un patin ou une galoche…

Mais revenons à nos moutons, et ce n’est rien de le dire, pour ajouter encore que si un Français peut être « gourmand comme un chat », un Tchèque, lui, sera « gourmand comme une chèvre » - « mlsný jako koza ». Et ne nous ne demandez pas pourquoi ! Contentons-nous de savoir que cela n’a (très probablement) plus aucun rapport avec le « francouzák » et le baiser français…

Néanmoins, le sens principal qui est celui de « gurmán », autrement dit du « gourmand tchèque » qui aime faire bonne chère mais sans trop exagérer non plus, nous fait forcément penser aussi à ce que l’on appelle un « gourmet », une personne qui sait distinguer et apprécier la fine cuisine et les bons vins. En tchèque, l’équivalent est donc… « gurmet » (prononcez ici « gourmette » comme le bracelet), un autre mot qui provient bien entendu du français et qui désigne un gastronome. Attention cependant, même si les Tchèques, comme les Français d’ailleurs, confondent parfois les deux mots, certaines sources nous précisent bien que « gourmet » et « gourmand » ne sont pas interchangeables. Car si un gastronome est un gourmet, un gourmand n'en est pas nécessairement un. On peut ainsi être gourmand de chocolat et de sucreries et n'être en aucune façon connaisseur pour les autres éléments qui constituent les plaisirs de la table. Mais cette version (c’est ce que nous nous tuons à vous expliquer depuis le début de cette rubrique) ne vaut alors qu’en français. Car, on le sait désormais, en tchèque, un « gurmán », même avec parfois le vilain petit défaut de la gourmandise telle que nous la connaissons en français, est d’abord… un « gourmet » !

C’est ainsi que s’achève ce « Tchèque du bout de la langue » qui nous amènera à évoquer la prochaine fois, et ce avec la même gourmandise, certains des faux amis qui existent en tchèque et en français, à savoir ces mots qui appartiennent à deux langues différentes, qui ont entre eux une grande similitude de forme mais dont les significations sont différentes. Un peu finalement comme pour « gourmand » et « gurmán ». Mais ça, ce sera donc dans quinze jours. En attendant, on se quitte sans « francouzák », mais portez-vous quand même du mieux possible – mějte se co nejlíp!, portez le soleil en vous – slunce v duši, salut et à bientôt – zatím ahoj !