Là-haut : Amos Chapple immortalise les œuvres qui dominent Prague

Le Pont Svatopluk Čech, photo: Amos Chapple

Perchées bien au-dessus des rues, des dizaines de statues magnifiques contemplent le centre historique de Prague. Ces beautés suspendues, qui passent habituellement quasi inaperçues, sont aussi la clé de voûte d’un projet d’Amos Chapple, un photographe néo-zélandais habitant la capitale tchèque. Au cours des dernières semaines, les stupéfiants clichés de Chapple ont été partagés des centaines de fois sur les réseaux sociaux et ont attiré le regard des médias étrangers. Rencontre.

Le Pont Svatopluk Čech,  photo: Amos Chapple

Vous avez réalisé cette superbe série photos de sculptures et statues perchées au-dessus de la ville, ici à Prague. Qu’est-ce qui vous a inspiré ?

Amos Chapple,  photo: Archives d’Amos Chapple
« C’est comme une lettre d’amour à la ville. Cela fait quatre ans que je vis ici - ma femme trois ans - et nous aimons juste arpenter les rues de la ville. Mais je crois qu’il est difficile de photographier une ville d’un œil nouveau. Je suis photographe de voyage, ainsi je passe la moitié de mon temps à l’étranger. Quand je suis en Tchéquie, je n’ai pas nécessairement la force de me balader en ville pour prendre des photos. À présent, je suis « bloqué » dans le pays puisque les frontières sont fermées. Cela me donne l’opportunité d’explorer la ville et de la photographier d’une nouvelle façon. Donc oui, c’est juste la traduction de mon amour pour la ville et, j’espère, quelque chose que les Tchèques aimeront. C’est une façon d’apprécier la ville, je crois. »

Il y a vraiment une grande variété de sujets dans vos photos, des bébés noirs de David Černý sur la tour de télévision de Žižkov à une figure ailée de Bohuslav Schnirch au-dessus du Musée national. L'une de ces images a-t-elle suscité des réactions particulièrement importantes sur internet ?

La place Wenceslas de Musée national,  photo: Amos Chapple
« Je crois que l’échange le plus intéressant a été quand j’ai posté une photo d’un personnage ailé sur le Pont Svatopluk Čech. Il y a aussi quelqu’un qui a commenté sur Facebook que l’actuel lieu où se trouve l’Hôtel Continental est l’endroit où Kafka a écrit La Métamorphose et d’autres ouvrages. Il regardait depuis sa fenêtre, vers un bâtiment qui est aujourd’hui celui de l’hôtel, celui-ci a dû être construit sur les ruines de l’ancien. Kafka regardait la construction de ce pont. C’est sûrement l’un des retours les plus sympas que j’ai eus sur les photos. Et j'espérais que cela se produise - que j’apprenne ces petits détails sur Prague. »

Est-ce que des personnes vous ont donné des informations sur quelques statues auxquelles vous n’auriez pas forcément prêté attention ?

« Oui. J’ai trouvé les statues seul mais je n’étais pas capable d’accéder à toutes les informations les concernant. Ainsi, il y a une paire de clichés en ligne vierge de tout commentaire - je dis juste que je ne connais rien sur eux and que je ne trouve pas d’information. Et c’est ainsi qu’une personne m’a donné des informations sur les monuments du Musée National et d’autres monuments au bout de la Place Venceslas. Il m’a dévoilé l’histoire derrière, ses sources et j’ai été en mesure de vérifier cela. C’était sympa, d’expérimenter ce sentiment de communauté d’apprentissage qui s’est développé autour des images, ce qui était vraiment satisfaisant. »

Les pompiers de l’ancien immeuble d’assurance de la place de la Vieille-ville,  photo: Amos Chapple

Les sculptures ont été faites par une multitude d’artistes sculpteurs. Est-ce qu’il y en a une d’entre elles vraiment impressionnante quand vous la voyez de près ? Laquelle préférez-vous ?

« Je dirais que les pompiers de l'immeuble d'assurance de la place de la vieille ville (n°6, le bâtiment abrite désormais le ministère du Développement régional, ndlr). J’avais dit en ligne, que depuis le sol, on ne pouvait pas voir le détail des flammes et la fumée derrière les pompiers, mais j’ai remarqué il y a peu qu’en fait si, on peut le voir. Mais ce que l’on ne peut pas voir depuis le sol, c’est le niveau de détail. Ce que je veux dire, c’est que vous avez là un ouvrage a une vingtaine de mètres au-dessus des gens et pourtant le détail est tel que si vous l'étudiez à seulement un mètre de distance, chaque détail est sublimé : le niveau de soin qui est donné aux flammes, la fumée, les expressions du pompier et les badges - c'est tout simplement magnifique. »

« Je lisais une biographie de Steve Jobs et il se remémorait un souvenir de son enfance quand il peignait une clôture. Son père lui a appris à peindre même dans les endroits où les gens ne regarderaient pas, où un passant ne remarquerait jamais. C’est le même niveau de soin et d’amour porté à ces œuvres. C’est juste génial de les voir de si près. »

Je lisais récemment que vous avez un penchant pour le Palais Koruna, situé au bout de la Place Venceslas, avec ses statues et sa couronne en haut.

Le Palais Koruna,  photo: Amos Chapple
« Oui. Je crois que l’une des raisons qui font que j’adore vivre en République tchèque est que le pays a une histoire nationale très inspirante. Je viens de Nouvelle-Zélande, où nous n’avons pas à proprement parler d’histoire nationale. »

« Notre histoire nationale est celle du commerce, effectivement, où Anglais et Européens venaient en Nouvelle-Zélande, ils achetaient les terres des Maoris et la divisait en de petits lopins avant de la vendre. Voilà les germes de notre histoire. Alors quand vous la comparez aux légions tchèques, à la lutte contre les nazis lors de la Seconde Guerre mondiale puis contre les soviétiques - tant d’aspects de l’histoire tchèque que je trouve inspirants... Ainsi de voir cette image, celle d’une femme entourée de deux guerriers, cela illustre vraiment selon moi l’histoire tchèque et la culture du pays. C’est une culture à la fois belle et fragile, délicate et qui a été protégée par ses guerriers, dès les origines. J’adore ce que cette statue véhicule. »

Pouvez-vous aussi évoquer la statue d’Atlas tenant une sphère céleste sur le Klementinum, statue que j’avoue ne jamais avoir remarqué auparavant ?

« Eh bien, la première fois que je l’ai vue, j’étais de l’autre côté de la rivière à un endroit où il est difficile de la voir. Vous pouvez l’apercevoir de peu d’endroits, ce qui est dommage, car c’est une œuvre très belle. Je l'ai repérée, un jour, de l'autre côté de la rivière. J'avais un appareil photo avec un téléobjectif, j’ai zoomé et j'ai pensé, Wow, je n'avais jamais vu ça auparavant - j'adorerais la voir de près. Et bien sûr, quand vous vous en approchez et que toute la ville se dévoile en dessous ... et d'apprendre qu'elle est là depuis le XVIIIe siècle. Elle a été le témoin de l’histoire moderne tchèque, l’a vue se produire dans les rues, sous elle. C’est juste tellement enthousiasmant. »

La statue d’Atlas tenant une sphère céleste sur le Klementinum,  photo: Amos Chapple

On en déjà parlé un peu, mais dans beaucoup de ces œuvres le souci du détail est tout simplement incroyable mais quasiment personne ne peut s’en rendre compte. Quelle était selon vous la motivation des sculpteurs et peut-être de ceux qui ont commandé ces ouvrages ?

L’institut Goethe sur le quai Masaryk,  photo: Amos Chapple
« Je crois que c’est l’amour de leur ville, de leur pays, de leur culture et la volonté de laisser quelque chose en retour. Vous pouvez voir que pour la plupart d’entre eux, ce n’était pas un simple travail, mais un labeur où la passion est reine. C’est le même sentiment pour moi. Je ne prends pas des photos pour gagner de l’argent, c’est un don. Je veux représenter Prague d'une manière qui rend justice à sa beauté et à son histoire. »

Il y a quelques jours, je me baladais dans Pařížská et j’ai remarqué pour la première fois, ou du moins pour la première fois depuis longtemps, la statue de Saint George (ou Svatý Jiří) tuant le dragon, une scène que l’on retrouve dans l’un de vos clichés. Avez-vous eu des retours de personnes qui ont plus levé les yeux au ciel après avoir découvert vos photos ?

La statue de Saint George tuant le dragon,  photo: Amos Chapple
« (Rires) Oui, il y a eu plusieurs commentaires du style Wow, il faut qu’on regarde plus en l’air. C’était pareil pour moi. Je suis juste un habitant de la ville mais une fois que vous commencez à regarder, vous en voyez de plus en plus - pas seulement des figures et des personnages sur les toits, mais aussi les œuvres d'art sur les bâtiments. Prague est tellement riche du point de vue de l’architecture que je pourrais littéralement ne faire que cela le reste de ma vie. »

Avez-vous prévu d’en faire plus ? Je crois que vous en avez une vingtaine maintenant.

« J’adorerais oui. Et c'est quelque chose qui pourrait potentiellement être étendu à un thème plus large, peut-être - un thème à l'échelle de la République tchèque, voire à l'échelle européenne. Certaines de ces œuvres dans des pays comme l’Italie par exemple, se trouvent à 100, 200 mètres au-dessus du sol et personne ne peut distinguer les détails de là. Donc oui, c’est quelque chose qui pourrait s’inclure dans un projet plus large. »

Plus tôt, vous me disiez que vous aimiez les caractéristiques historiques du pays. Y a-t-il un aspect en particulier de l’histoire tchèque qui vous intéresse ?

L’église Saints-Cyrille-et-Méthode,  photo: Ondřej Tomšů
« Oui. Je crois que le moment où je suis vraiment tombé amoureux du pays est en apprenant cette histoire des parachutistes. Cette histoire, je l’ai en fait lu dans un très bon livre appelé HHhH (de Laurent Binet, ndlr). Je l’ai lu quand j’étais en Nouvelle-Zélande et je ne connaissais rien de la Tchécoslovaquie ou de la République tchèque, cela ne m’intéressait pas vraiment. Cette lecture a été comme un tournant dans ma jeunesse. Ensuite, quand je suis parti vivre en Tchéquie, en 2016, j’ai appris que l’église où s’est déroulée la dernière fusillade entre les parachutistes et les nazis était située juste à l’angle de mon appartement. Alors, quand je suis allé là-bas et que j'ai vu les impacts de balles des mitrailleuses qui avaient été tirées dans la crypte de l'église, c'était un moment où c'était comme, Wow, cet endroit a quelque chose de très, très spécial. Et c’était d’autant plus fort pour un Néo-zélandais qui vient, comme je l’ai dit, d’un jeune pays qui n’a pas une grande histoire pour inspirer son peuple. »

Je suppose que vous avez beaucoup appris sur Prague en réalisant ce projet…

« Absolument, oui. J’ai énormément appris en général. L'histoire des parachutistes m'a mis sur les rails et depuis - je suis moi-même journaliste - j'ai pu raconter des histoires sur des aspects de l'histoire tchèque, y compris les légions tchèques et d’autres histoires comme ça. Donc oui, j’adore tout simplement apprendre sur l’histoire. »


Pour voir tous les clichés, parcourez la collection d’Amos Chapple sur Facebook : https://www.facebook.com/680261930/posts/10157202700786931/?d=n

Théâtre Na Vinohradech,  photo: Amos Chapple