Photographie : Lucia Moholy exposée « comme elle ne l’a jamais été » dans sa ville natale de Prague
Depuis ce jeudi est ouverte dans la Kunsthalle de Prague une exposition consacrée à Lucia Moholy, grande photographe longtemps restée dans l’ombre des hommes du Bauhaus.
Christelle Havranek est la commissaire responsable des expositions dans cette institution privée de Prague, la ville natale de Lucia Moholy, née Lucia Schulz en 1894 dans une famille juive du quartier de Karlín.
Christelle Havranek : « Ce titre donné à l’exposition, Exposures, a plusieurs sens : c’est lié à la technologie photographique, l’exposition, c’est l’exposition de l’œuvre de cette artiste mais c’est aussi la présentation de son travail pour la première fois. On l’expose au monde comme elle ne l’a jamais été. »
Ce qui frappe dans le parcours de cette femme juive pragoise de langue allemande, c’est qu’elle est restée trop souvent dans l’ombre jusqu’ici.
« Oui comme beaucoup de femmes de sa génération. Une femme née à la fin du XIXe siècle, passionnée par l’art et la littérature, qui n’a pas pu étudier dans ces domaines mais elle a participé à des groupes expérimentaux et très novateurs dans différents pays. D’abord en Allemagne, à Weimar, au Bauhaus. Elle était l’épouse de Laszlo Moholy-Nagy et a beaucoup contribué en co-écrivant des livres fondamentaux comme Production-Reproduction. Elle parlait couramment allemand, contrairement à lui. Elle a fait des expériences photographiques, comme les photogrammes, avec Laszlo Moholy-Nagy. »
« La tragique histoire de la persécution nazie des juifs a fait qu’elle a dû partir précipitamment d’Allemagne. Elle s’est retrouvée à Londres, espérant pouvoir rejoidre les Etats-Unis comme l’ont fait beaucoup d’anciens du Bauhaus, dont Walter Gropius, Josef Albers et Laszlo Moholy-Nagy. Mais elle, femme et non diplômée, n’a pas rempli les critères pour émigrer. »
« Elle a dû se réinventer totalement à Londres dans les années 1930 et 1940. Pour gagner sa vie elle a photographié la haute-société londonienne et a créé son propre atelier de photographie. »
Lucia Moholy a également publié un livre qui a marqué l’histoire de la photographie (A hundred years of photography 1839-1939).
« Tout à fait, elle a été approchée par les éditions Penguin, elle était déjà reconnue comme personne ayant une connaissance approfondie de l’histoire de la photographie et pour le centenaire des premiers exemples de photographies par Daguerre elle a écrit ce livre qu’on a réédité en tchèque pour la première fois à l’occasion de cette exposition. »
Cette exposition marque le retour de cette Pragoise – qui est morte en Suisse en 1989 – dans sa ville natale et il a fallu plusieurs années pour la mettre en place.
« Cela a pris sept ans à partir du moment où on a eu l’idée de retracer sa vie et pas juste une petite partie de sa vie. Aucune recherche n’avait été faite sur son enfance et adolescence dans la communauté juive de langue allemande Prague – un travail réalisé par une historienne de la photographie tchèque, Hana Budeus – jusqu’aux années 1980 dans sa ville de choix, Zürich. »
Contemporaine de Franz Kafka, qui est née un peu moins de dix ans avant elle, on retrouve Lucia Moholy au Café Arco, proche notamment de Franz Werfel et Milena Jesenska, qui l’a aidée à publier ici à Prague avant-guerre…
« Oui et c’est intéressant de se dire qu’au moment où Kafka écrivait, cette jeune femme a même vécu dans sa rue je crois à un moment. Difficile de savoir quels étaient leurs liens, mais c’était la même communauté avec des amis communs. »
Cette exposition sera ensuite montrée en Suisse
« A Winterthur, tout près de Zürich, où beaucoup de ses œuvres se trouvent car elle n’avait pas d’héritier. Notre exposition est plus grande que celle prévue là-bas qui se concentrera davantage sur sa période suisse. »
https://www.kunsthallepraha.org/en/events/lucia-moholy-exposures
