La Légion d’honneur pour Marta Kubišová
L’ambassadeur de France en République tchèque Pierre Lévy a remis, lundi, à la chanteuse tchèque Marta Kubišová les insignes de Chevalier de l’Ordre National de la Légion d’honneur. Cette haute décoration est un hommage rendu par la France à l’art de Marta Kubišová mais aussi une reconnaissance de son autorité morale.
« Pour vous cependant, source d’espoir de tout un peuple, rayonnant de jeunesse et d’ardeur, vous avez juste vingt-cinq ans, les ténèbres demeurent épaisses. Lorsque vous recevez en 1970 votre troisième titre de Zlatý slavík, en l’occurrence le titre de meilleur artiste que vous décerne le public, c’est-à-dire le public tchèque et slovaque, vous êtes déjà une paria, une exilée intérieure, une bannie des scènes publiques. Vous serez dénigrée, outragée dans votre réputation par des accusations odieuses et des preuves fabriquées. Le lynchage médiatique et la répression quotidienne ne vous découragent pas et vous vous engagez dans l’opposition à ce régime absurde dans une même énergie vitale où j’ai l’impression que votre créativité artistique et votre amour de la liberté se rejoignent. »
Marta Kubišová ne se contente donc pas d’une résistance passive au régime qui a mis fin à son espoir de liberté. Elle signe la Charte 77, appel au respect des droits de l’homme qui provoque la furie des autorités communistes, et va encore plus loin. En 1977 et 1978, elle devient porte-parole du mouvement de la Charte 77 et attire sur elle les foudres du régime. Aujourd’hui elle explique son engagement sans emphase et avec sa lucidité naturelle :« Ce n’était pas une ardeur mais c’était une colère saine parce que je ne m’attendais pas à ce que ce magnifique régime socialiste puisse écraser une jeune personne. J’avais vingt-six ans et j’ai pu me dire : ‘D’accord je vais signer une autocritique et tout ira pour le mieux’, mais il est vrai qu’à cet âge on résiste plus facilement. C’était beaucoup plus facile pour moi que, par exemple, pour un chercheur ou un médecin qui approchaient déjà l’âge de la retraite. Quant à moi, ça m’était égal, je me disais que j’allais vivre différemment. »
En 1989, lors de la chute du régime communiste, c’est encore Marta Kubišová qui se retrouvera parmi les proches amis et collaborateurs de Václav Havel, artisan de la Révolution de velours. La chanteuse condamnée au mutisme recouvrera la voix et la foule émue de la place Venceslas entendra la Prière pour Marta, sa chanson qui symbolisait sous l’occupation soviétique l’espoir des jours meilleurs :
Aujourd’hui Marta Kubišová est toujours présente sur la scène tchèque. Elle chante, elle participe à des activités caritatives, elle s’occupe de la protection des animaux. Elle a déjà reçu plusieurs distinctions et parmi celles-ci la Légion d’honneur est, comme elle dit, la plus inattendue :
« Dans ma vie j’ai eu l’habitude de toute sorte de surprises mais je ne m’attendais absolument pas à cet honneur–là, notamment de la part de ma France adorée. Depuis ma première visite en France dans les années soixante, je m’y suis sentie très à l’aise et c’est pourquoi j’admettais devant mes proches amis, et seulement devant eux, pas devant les agents de la STB dans le courant des interrogatoires, que si j’étais amenée à quitter mon pays un jour, je ne pourrais vivre qu’en France. »
Heureusement, Marta Kubišová n’a pas quitté son pays. La chanteuse qui fêtera le 1er novembre prochain son 70e anniversaire, reste avec nous étonnement jeune et pleine d’énergie comme si elle ne faisait pas déjà partie de l’histoire tchèque.