La littérature tchèque au miroir de la Pologne

« Les Polonais sont emballés par la littérature tchèque, c’est une tendance durable ces dernières années, » dit l’éditrice polonaise Kama Margielska et ses paroles ne sont pas qu’une formule de politesse à l’égard de ses interlocuteurs tchèques. L’engouement des lecteurs polonais pour notre littérature s’est manifesté aussi lors du festival littéraire de Sopot qui a eu lieu du 20 au 23 août dans cette station balnéaire sur le littoral de la Baltique.

Rencontre littéraire au bord de la mer

La littérature tchèque a été le thème majeur de ce festival et les organisateurs ont réussi à réunir à cette occasion plusieurs auteurs importants dont les œuvres sont présentées d’ailleurs aussi assez souvent dans cette rubrique. Parmi ceux qui ont participé à des rencontres et des débats organisés dans le cadre du festival, on trouve entre autres les écrivains Petra Hůlová, Jaroslav Rudiš et Radka Denemarková, mais aussi le traducteur et diplomate Michael Žantovský, le journaliste Josef Pazderka et les réalisateurs de cinéma Jiří Menzel et Petr Zelenka. Les auteurs se sont présentés dans une série de manifestations qui ont été très suivies par le public polonais. Un débat entre écrivains organisé sur l’embarcadère de Sopot a été retransmis par la télévision. Sur la liste des participants, il y avait également des traducteurs polonais de la littérature tchèque et des éditeurs qui réservent aux ouvrages de nos écrivains une place importante dans leur catalogue. Parmi eux Aleksander Kaczorowski, traducteur de plusieurs livres de Bohumil Hrabal et auteur d’un ouvrage sur Václav Havel. Interrogé sur les causes des sympathies des Polonais pour leurs voisins tchèques et de leur intérêt pour notre culture, il a constaté que la tchécophilie polonaise n’est pas un phénomène nouveau :

« C’est déjà la troisième vague de tchécophilie en Pologne, vague d’intérêt des Polonais pour les Tchèques. La première vague est arrivée dans les années 1960 et c’était surtout l’intérêt pour le cinéma tchèque mais il y a eu aussi évidement un facteur politique, le Printemps de Prague et l’espoir lié à ce mouvement. La deuxième vague d’intérêt pour la culture tchèque a déferlé sur la Pologne vers la fin des années 1980. A cette époque les Polonais, les lecteurs des livres et périodiques indépendants qui faisaient partie des milieux underground, ont manifesté un grand intérêt pour les auteurs comme Bohumil Hrabal, Milan Kundera, Václav Havel, Josef Škvorecký, etc. Nous dévorions littéralement les livres de ces géants. »

Photo: Dokořán / Jaroslava Jiskrová - Máj
Et Aleksander Kaczorowski ajoute que la troisième vague d’intérêt pour la République tchèque en Pologne a été lancée par la série des reportages écrite par le journaliste Mariusz Szcygiel pour le journal Gazeta Wyborcza et réunis en 2006 dans le recueil intitulé Gottland :

« Il a attiré beaucoup de lecteurs polonais qui ne savaient pratiquement rien sur la République tchèque, sa culture et son histoire. Et c’est grâce à lui, à ses reportages et son livre que cet intérêt pour la Tchéquie a été relancé. En Pologne, ce livre a été un grand succès éditorial comme d’ailleurs plus tard en République tchèque. »

Mariusz Szcygiel, médiateur entre les cultures polonaise et tchèque

Mariusz Szcygiel,  photo: Šárka Ševčíková,  ČRo
Evidemment, Mariusz Szcygiel ne pouvait pas manquer ce festival consacré à la littérature tchèque. Ce journaliste célèbre en Pologne est sans doute aussi un des Polonais les plus connus en Tchéquie. Depuis des années, il jette infatigablement des ponts entre Polonais et Tchèques. Son livre Gottland, qui ne manque ni d’humour ni d’ironie, est une plongée dans l’histoire moderne du peuple tchèque vue à travers les destins de plusieurs personnalités dont les vies reflètent en quelque sorte la situation de leur pays. Ce n’est pas d’ailleurs le seul livre que Mariusz Szcygiel a consacré à notre pays, à sa culture et à sa littérature. Les auteurs tchèques ne cessent de l’attirer et il cherche à les faire connaître à ses compatriotes :

« La littérature tchèque – c’est aujourd’hui une marque de prestige exceptionnelle. Je peux dire beaucoup de choses sur la littérature tchèque mais j’aimerais dire surtout ceci : la littérature tchèque est comme de la crème Chantilly. Vous mangez cette crème fouettée et sucrée et pourtant vous avez finalement l’impression d’avoir mangé un steak. Les auteurs comme Karel Čapek, Pavel Kohout ou bien le jeune Petr Měrka écrivent d’une façon légère. Nous les lisons et tout à coup nous sentons que ces textes, qui semblent légers, ont du poids, qu’ils pèsent lourd, qu’il s’agit de quelque chose d’important et de sérieux. »

Les sympathies littéraires de Mariuzs Szygiel se sont manifestées déjà dans ses propres livres mais aussi dans son travail éditorial. Dans une série spéciale, il a publié plusieurs livres tchèques traduits en polonais dont « L’Usine de l’absolu » de Karel Čapek, « L’Exécutrice » de Pavel Kohout et « L’Ingénieur des âmes humaines » de Josef Škvorecký. Lors du festival de Sopot, il a présenté la traduction polonaise encore inédite d’un autre livre de Karel Čapek, « Les entretiens avec Masaryk », dans lequel l’auteur présente d’une façon très accessible au grand public la vie et l’œuvre du premier président tchécoslovaque. « Ce qui m’intéresse dans la littérature tchèque, dit-il, c’est ce qui nous manque - la sincérité. »

Un courant de sympathies assez unilatéral

L’intérêt des Polonais pour la littérature tchèque reflète sans doute leurs sympathies pour les Tchèques en général. Les sondages d’opinion démontrent que les Tchèques sont considérés en Pologne comme le peuple le plus sympathique du monde. Cependant, ce courant de sympathies est encore assez unilatéral. Le rapport des Tchèques vis-à-vis de leurs voisins du nord est plutôt tiède. On a beaucoup discuté de ce déséquilibre dans les rapports mutuels. Le réalisateur de cinéma tchèque Jiří Menzel, un des participants au festival de Sopot, a une opinion arrêtée sur les caractères des Tchèques et des Polonais, caractères qui se manifestent entre autres dans leur création artistiques et jouent un rôle important dans leurs rapports mutuels :

Jiří Menzel,  photo: Martin Špelda,  ČRo
« Les Polonais pensent que l’humour donne à l’art un caractère un peu gratuit, superficiel. Mais nous en Tchéquie, nous avons la tradition de nous moquer un peu de tout. Chez nous, l’art n’est pas pris tellement au sérieux. Et j’ai l’impression que c’est cela qui fascine les Polonais. C’est comme ça. Souvent la vie n’est pas aussi sérieuse comme nous voulons la présenter. Et l’art n’est pas plus grand pour la simple raison qu’il est sérieux. C’est la tradition tchèque depuis le Moyen Âge. Nous ne nous prenons pas au sérieux et nous savons que nous pouvons surmonter tout, ou plus au moins tout, par la rigolade. Parfois cela nous humilie. Les Polonais, eux, ils sont fiers, c’est une grande nation. Il y a des moments où je les envie parce que parfois nous ne sommes que des clowns. »

Quoi qu’il en soit il est évident que la littérature est un facteur important du rapprochement entre Tchèques et Polonais. Oui, les Polonais sont une grande nation et leur marché du livre s’ouvre aux auteurs tchèques qui n’écrivent que pour leurs dix millions de compatriotes. Avec une population de 38 millions d’habitants, la Pologne offre un débouché formidable pour leur création qui y est reçue avec compréhension et sympathie.