La nostalgie s’appelle François-Joseph Ier
Ces jours-ci, 180 ans se sont écoulés depuis la naissance de François-Joseph Ier, l’homme qui a régné pendant plus de soixante ans sur un tiers de l’Europe. Plusieurs périodiques tchèques évoquent cette dernière figure importante de la dynastie des Habsbourg et la resituent dans son contexte historique.
« Durant son règne, deuxième plus long règne que l’histoire européenne ait connu, l’empereur François-Joseph Ie n’a pu réaliser que peu de choses de ce que les Habsbourg attendaient de lui. Il a connu une vie marquée par des tragédies personnelles et se mourrait au milieu d’une guerre qu’il avait lui-même déclenchée et qui ne pouvait que déboucher sur l’éclatement de l’empire qu’il cherchait à sauver ».
L’article paru sous le titre « Tatíček (Papa) de Vienne » dessine les étapes importantes du parcours de François-Joseph Ier, à commencer par l’éducation sévère et minutieuse assurée par une pléiade de spécialistes sur laquelle veillait sa mère dominante, en passant par son intronisation à l’âge de dix-neuf ans, par ses plus importantes décisions et démarches politiques jusqu’à sa mort.Son auteur rappelle que la Première république tchécoslovaque avait tendance à décrire l’Autriche-Hongrie comme « une geôle des nations », dans laquelle les Tchèques auraient souffert sous la botte de Vienne. La vérité est pourtant plus complexe, car « sous le geôlier François-Joseph Ie, les Tchèques ont probablement connu la période la plus heureuse de leur histoire moderne, dont l’héritage se fait sentir encore aujourd’hui ». Plus loin, il écrit :
« Pendant la période de l’absolutisme de Bach, la censure, les dénonciations, les arrestations se multipliaient, les libertés se voyaient étouffer… Mais d’un autre côté, comme le confirme l’historien Luboš Velek, le régime qui supprimait les libertés civiques, a introduit un libéralisme économique absolu, grâce à quoi, sur le plan économique, la monarchie vivait une ère d’or ». Et de continuer :
« L’industrie et le système bancaire se développent, les villes grandissent et fleurissent, le gouvernement de Vienne met sur pied une réforme de l’enseignement et les principes à la base desquels les universités de l’Europe centrale fonctionnent encore aujourd’hui. L’administration publique se modernise radicalement, le système des districts qui est mis en place restera en vigueur pendant les 150 prochaines années ».
Selon Petr Třešňák, les Tchèques se rendaient compte que la force de la monarchie était source de leur sécurité et de ce fait, assez longtemps, ils n’aspiraient pas à leur indépendance. D’un autre côté, ils cherchaient à atteindre le maximum d’autonomie dans le cadre de la monarchie, leurs tentatives menant à des conflits incessants et au sentiment que dans la monarchie, rien ne pouvait bouger. Nous citons :« Le combat national auquel les Tchèques ont voué tout leur intérêt a écarté une chose essentielle, à savoir le fait que la société tchèque ait vécu sous le patronage de l’empereur une transformation de fond en comble. Une nation de paysans qui, après la bataille de la Montagne blanche a perdu sa noblesse et qui, dans la première moitié du XIXe siècle ne possédait aucune école secondaire tchèque, est devenue au cours d’un demi-siècle la deuxième nation de la monarchie sur les plans économique, social et culturel (derrière les Allemands autrichiens), un pays pouvant s’enorgueillir du plus bas taux d’analphabétisme à l’échelle de toute l’Europe. »
« Il est intéressant de voir à quel point, la Tchécoslovaquie d’après guerre ressemblait à la monarchie hongroise détestée », peut-on lire dans l’article publié dans l’hebdomadaire Respekt qui explique : « Dès le début, elle devait affronter des problèmes avec les minorités nationales, les communistes, les séparatistes slovaques. Voilà un Etat dont l’existence était dénoncée par près de la moitié de ses habitants. Et parfois, l’élite au pouvoir de la république indépendante se comportait à l’égard de sa minorité allemande comptant quelques trois millions de personnes, même moins bien que le vieil empereur à l’égard des Tchèques ». L’article cite le très connu historien tchèque, Josef Pekař qui, après le décès de François-Joseph Ier, se plaignait en disant : « Malgré toutes les difficultés, c’était une époque heureuse, une époque tellement grande et extraordinaire qu’il faudra peut-être voir s’écouler des siècles avant que l’humanité ne connaisse une époque semblable ».Selon le journal, l’image officiellement démonisée de l’empire allait se mêler au fur et à mesure avec des souvenirs d’une monarchie en tant que symbole d’une longue période de quiétude et de sécurité. Il conclut en évoquant l’anecdote selon laquelle « les Tchèques n’ont jamais cessé de désirer d’avoir un empereur » et en constatant que « ce n’est pas un hasard que Tomáš Garrigue Masaryk, intellectuel et pacifiste, ait aimé se présenter en public au cheval, en habit rappelant une uniforme militaire et qu’il régnait sur la république du Château des rois tchèques ».
La dernière édition de l’hebdomadaire littéraire Literární noviny consacre elle aussi deux pages entières à François-Joseph Ier. L’auteur de l’article, l’historien Jiří Rak a écrit :
« Le nationalisme moderne était une chose qui lui était étrangère. Il a imposé l’allemand en tant que langue officielle, il est vrai, mais cela ne veut pas dire qu’il se serait senti comme Allemand. Pour lui, la langue était un moyen de communication permettant d’administrer l’empire, point un outil servant à l’identification politique… En plus, il parlait l’ensemble des principales langues de la monarchie ».
Comme le constate le journal, « le large public tchèque avait de maintes occasions de rencontrer le souverain, grâce à ses nombreux voyages effectués dans le pays ». Et de souligner qu’il voyageait souvent dans un carrosse ouvert et que de ce fait, les gens pouvaient l’approcher de très près ».
Jiří Rak conclut :
« Il est assez compréhensible que nous ayons tendance à nous rappeler assez souvent le « vieux monarque ». La nostalgie y joue un grand rôle, c´est la nostalgie des temps révolus où la civilisation moderne n’était qu´au berceau et où personne ne s’attendait à ce qu’elle puisse faire dès qu’elle aura grandi. Les dernières décennies de l’Autriche-Hongrie sont certes idéalisées. Cela peut se comprendre, car au milieu d’un monde globalisé et en pleine transformation, nous aimerions posséder un tel symbole de stabilité et de continuité que François-Joseph Ie représentait pour ses nations ».