La Peste dans les Pays tchèques

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Il y a quelques jours, deux personnes sont décédées en Espagne, après avoir contracté la variante humaine de la maladie de la vache folle. La nouvelle a sans doute frappé l’opinion publique car la transmission de cette maladie de l’animal à l’homme n’est pas sans rappeler la peste. A cette différence près que la Mort noire, comme on l’appelait, était une véritable épidémie et qu’elle constitua, pendant des siècles, le quotidien des Européens… et des Tchèques.

Si la peste de 1348 épargne la Bohême, celle de 1380 s’impose, dans les mémoires, comme celle de la « grande pestilence ». Elle emportera avec elle un dixième de la population et sera suivie d’une série d’autres épidémies dévastatrices dans les années suivantes : en 1390, 1403 et 1414. Ces épidémies ne causent pas seulement d’importantes pertes humaines et d’indicibles souffrances. Elles déstabilisent également la vie économique, interrompant brutalement les chantiers en cours, décimant les foires voire les récoltes dans les régions les plus touchées.

La peste
La répétition de pestes dans un cours laps de temps est, pour la population, le signe clair d’une punition divine. Plus que jamais, c’est, en Europe, la seule interprétation possible des épidémies. Les tournants des XIVe et XVe siècles sont des temps particulièrement troublés dans l’Occident chrétien. Le schisme touche la papauté qui se divise en deux puis bientôt trois papes. Pour les chrétiens, l’Antéchrist est arrivé sur terre et le jugement dernier est proche, la peste n’est qu’un avant goût de l’Apocalypse !

La peste de 1415 sera également à l’origine d’une caractéristique du hussitisme : l’égalité entre prêtres et laïcs. C’est en effet lors d’un enterrement de victimes du fléau que des laïcs s’attribuent les fonctions de prêtre.

Source: public domain
Mais la peste qui ravagera Prague un siècle et demi plus tard, en 1582, sera bien pire : elle aurait en effet vidé la capitale du royaume de la moitié de ses habitants, faisant 30 000 victimes ! Nous avons employé le conditionnel car le chiffre reste encore l’objet de doutes. Prague était déjà à cette époque un grand centre de consommation et aucune désorganisation majeure n’a été enregistrée à ce moment là, ce qui est étonnant vu l’ampleur de l’épidémie. Mais celle-ci devait en tout cas être sans précédent en Bohême.

Bien sûr, les dégâts de la peste sont encore plus parlants dans le cas des nombreux villages de Bohême, vu les populations assez réduites qu’elles abritent. Ainsi, le village de Holašovice, classé aujourd’hui à l’UNESCO, perd, au XVIe siècle, toute sa population suite à une épidémie de peste !

La présence – vécue ou pensée – de la maladie dans le quotidien tchèque des périodes médiévales et modernes est illustrée par les nombreuses colonnes de la peste qui couvrent tout le pays. Certaines sont de véritables œuvres d’art comme celles de Teplice, de Liberec et de Valeč, que l’on doit au maître de la sculpture baroque Matthias Braun. C’est aussi suite à la peste de 1715 qu’est construite la colonne de la Sainte-Trinité à Olomouc, en Moravie. Avec ses 35 mètres de hauteur, elle représente le plus grand ensemble de statues baroques en Europe centrale. En 2001, elle a été classée sur la liste du patrimoine de l’UNESCO.

On le voit, la peste a aussi permis de libérer les énergies créatrices ! De toute manière, tout est sublimé dans le catholicisme baroque, et bien sûr d’abord la souffrance...

En Bohême comme ailleurs en Europe, la peste façonne les représentations collectives et reste des siècles durant une véritable source de terreur. Une peur d’autant plus grande que le mal se répand vite et provoque la mort dans d’atroces souffrances, la sienne et celle des autres que l’on voit quotidiennement lors des épidémies. Alors, pour citer l’historien français Pierre Goubert, « le seuil de l’intolérable est atteint, la mort cesse d’être spectacle ou éventualité, elle devient menace immédiate et personnelle, un climat de terreur s’installe et d’égoïsme viscéral. »

La peste à Marseille en 1720
Bien sûr, il faut se garder de transposer hâtivement nos propres sentiments à l’époque moderne, qui désigne la période allant du XVe au XVIIIe siècle. La familiarité des hommes d’alors avec la mort est bien plus grande qu’aujourd’hui. Mais la fin des épidémies de peste en Europe, vers le XVIIIe siècle, si elle ne met pas fin à toutes les épidémies, marque une rupture symbolique.

Car cette maladie venue d’Orient et longtemps inconnue avant qu’on en identifie le bacille lors de la grande peste de Marseille en 1722, avait toujours eu en Occident une connotation symbolique forte, héritée de la Chrétienté médiévale. Aujourd’hui, la menace semble avoir disparu du continent. Pourtant, en 2003, c’est aux portes de l’Europe, en Algérie, que la Mort noire a refait son apparition…