La plume-caméra de Samuel Shimon

Samul Shimon, photo: Site officiel du festival des écrivains
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« J’ai toujours des images dans la tête, » dit l’écrivain Samuel Shimon. Jeune, il rêvait de devenir cinéaste et ce rêve de jeunesse ne l’a jamais tout à fait quitté. Auteur invité du Festival des écrivains qui s’est déroulé à Prague du 6 au 9 novembre dernier, Samuel Shimon a évoqué sa vie et son œuvre au micro de Radio Prague.

Un rêve avorté

Samul Shimon,  photo: Site officiel du festival des écrivains
La vie de Samuel Shimon est un grand roman d’aventures. D’origine irakienne, il quitte sa patrie en 1979, donc à l’âge de 23 ans, pour faire du cinéma à Hollywood et, à partir de ce moment, il mène une existence internationale et devient un véritable citoyen du monde. Ses rapports avec sa patrie irakienne se compliquent :

« Je ne suis pas Irakien parce que l’Irak, où je suis né, a changé. Je suis chrétien, je suis né dans une famille chrétienne, je suis Assyrien. L’Irak était d’abord un pays laïc, même si c’était une dictature. Aujourd’hui cet Irak n’existe plus. Aujourd’hui il faut être chiite, sunnite ou bien kurde. Sinon, il faut partir. »

Jeune et naïf, Samuel Shimon désire d’abord se rendre au Liban où il espère obtenir une aide matérielle pour son voyage en Amérique, mais lors d’une escale à Damas, il est arrêté par les services de sécurité syriens, interrogé et même torturé. On lui demande entre autres : « Etes-vous juif ? Pourquoi vous appelez-vous donc Samuel Shimon ? » Innocenté et libéré après quelque jours, il n’est pas au bout de ses peines. Il refuse de rentrer en Irak, se rend en Jordanie et finira de nouveau en prison parce qu’il se met à collaborer avec un marxiste opposé au roi Hussein. Son existence aventureuse se poursuit ensuite au Liban, à Chypre, en Egypte et en Tunisie.

Un Irakien à Paris

Photo: Actes Sud
Il n’arrive à mettre fin à cette vie pleine de voyages et d’épreuves qu’en 1985 lorsqu’il débarque à Paris où il obtient l’asile politique. L’étape parisienne sera une des plus fructueuses et des plus heureuses de sa biographie :

« Paris, c’était une ville qui était très gentille avec moi. J’ai appris beaucoup de choses en France. J’ai écrit quelques nouvelles avant, mais c’est à Paris que j’ai appris comment écrire mon roman. Je remercie le centre Pompidou. J’ai passé beaucoup de temps à Beaubourg à apprendre des langues, à lire la littérature. Au Centre Pompidou c’était tout à fait gratuit. Comme j’ai dit, toute ma vie a changé à Paris. »

C’est cette période parisienne qui est évoquée également dans le roman autobiographique « Un Irakien à Paris » que Samuel Shimon publie en arabe en 2005. La version arabe est bientôt suivie d’une traduction anglaise et le livre suscite un retentissement international. L’auteur y évoque d’une façon très vivante sa vie de « clochard heureux », ses fréquentations dans les bas-fonds parisiens, ses amitiés avec des garçons de café et des prostituées.

Un coup de fil de Costa Gavras

La vie semble à Samuel Shimon, et aussi au héros de son livre, comme un film et il décide finalement d’adapter son vécu à l’écran. Mais en écrivant le scénario du film de sa vie, il finit par écrire un roman. Le cinéaste en herbe et devenu écrivain :

« Ne soyez pas triste de ne pas être cinéaste parce que votre livre est un film, un très bon film. »

« Un jour, quand mon livre est sorti en anglais – avant de paraître en français, mon livre est sorti en anglais - j’ai reçu un coup de fil de Costa Gavras, le réalisateur franco-grec. Après avoir lu mon livre, il était un peu triste et m’a dit : ‘Les gens ne le savent pas, mais quand je suis venu de Grèce à Paris dans les années cinquante, en 1952-53, je voulais être romancier et je suis devenu cinéaste. Et vous, vous êtes venu pour être cinéaste et vous voilà écrivain.’ (rires.) Il a pris ma place et j’ai pris la sienne. C’est la vie, hein? »

En 2007 « Un Irakien à Paris » est traduit en suédois et en 2008 il sort en traduction française aux éditions Actes Sud. La critique qualifie cet ouvrage de « réplique arabe au Tropique du Cancer de Henry Miller ».

Ecrivain cinéaste, Samuel Shimon utilise l’écriture comme une caméra, il multiplie les images et introduit en littérature des procédés cinématographiques. Lorsque son livre paraît aux éditions Actes Sud les lecteurs français lui envoient des courriels lui disant : « Ne soyez pas triste de ne pas être cinéaste parce que votre livre est un film, un très bon film. » Et l’auteur lui-même considère son livre comme une œuvre située entre le roman et le scénario, comme une suite d’images.

Banipal, revue de littérature arabe

Aujourd’hui Samuel Shimon vit à Londres. Etabli dans la capitale britannique depuis 1996, il se lance dans la promotion de la littérature arabe dans le monde et fonde la revue littéraire Banipal et le site sur Internet Kikah, journal en ligne pour la liberté de la culture et la tolérance ouvert aux artistes de tous les pays arabes. La revue Banipal devient une source d’informations uniques sur la vie littéraire de ces pays :

« Moi et ma femme Margaret Obank, nous avons fondé ce magazine il y a dix-huit ans. Après avoir quitté Paris je suis parti pour Londres pour y travailler comme journaliste. Et en1998 nous avons créé le magazine Banipal parce que j’ai dit à Margaret :’Il n’y a pas un magazine sur la littérature arabe en anglais. On a donc fondé ce magazine qui a beaucoup de succès dans les universités en Amérique, et même en France, au Japon et en Corée. Pourquoi ne pas traduire des romans, des nouvelles et des poésies arabes en anglais ? On a vraiment fait une révolution dans la littérature arabe. Maintenant les gens divisent la littérature arabe en celle d’avant et celle d’après Banipal. »

Lutter contre la peur

Samul Shimon,  photo: Site officiel du festival des écrivains
Faire connaître la littérature arabe dans le monde c’est aussi la façon de Samuel Shimon de lutter contre la peur. Selon lui, nous avons peur de ce que nous ne connaissons pas, peur des pays islamiques, des refugiés venant de ces pays et c’est dans la lutte contre cette peur que la littérature peut jouer un rôle positif.

Au seuil de la soixantaine, Samuel Shimon se sent un peu fatigué par le journalisme et déplore de ne pas avoir assez de temps pour écrire son deuxième roman. Malgré ses succès littéraires, malgré le succès de la revue Banipal il continue à rêver de cinéma et il aimerait consacrer au moins une partie de son temps à la réalisation du rêve de sa jeunesse. « Avant de quitter ce monde, j’aimerais faire encore quelque chose, un petit court-métrage, » dit-il en riant. Il constate que les lecteurs tchèques qu’il a rencontrés lors du Festival des écrivains à Prague regrettaient de ne pas pouvoir lire « Un Irakien à Paris » et cherche un éditeur tchèque pour son livre tout en se préparant déjà à lancer son deuxième roman :

« J’ai écrit des poèmes et des nouvelles. Mais mon deuxième livre sortira en février. Et cette fois c’est aussi autobiographique mais c’est sur la guerre au Liban. Tous les romans sur la guerre au Liban que j’ai lus sont écrits par des chrétiens, par des musulmans ou par des Palestiniens. Il y a beaucoup d’idéologie. Et moi, j’ai écrit le livre d’un Irakien où il n’y pas d’idéologie, et qui n’est ni à gauche, ni à droite. Il dit comment il a vécu la guerre civile, comment étaient les relations entre les Palestiniens, les Libanais et les chrétiens. Je pense que c’est très intéressant parce qu’il y a encore beaucoup de choses qui ne sont pas écrites. »