Une sale affaire, nouvelle évoquant les massacres de Sinjar
Sticky Bussines - Špinavá záležitost - Une sale affaire. C’est ainsi que Bianca Bellová a intitulé une nouvelle inspirée des massacres de Sinjar, un des chapitres les plus abominables de l’existence de l’Etat islamique. L’écrivaine et traductrice tchèque ne pouvait pas rester indifférente au sort de la communauté yézidie d’Irak que les djihadistes ont cherché à exterminer.
Le génocide du peuple yézidi
Il est pratiquement impossible de connaître le nombre de Yézidis dont la diaspora s’est répandue dans le monde à la suite de nombreux confits religieux. Avant le génocide qui les a frappés en 2014, ils étaient probablement 600 000 en Irak et 200 000 dans le reste du monde. Cette ethnie qui pratique un vieux culte monothéiste, est comme une épine dans l’œil des fondamentalistes musulmans qui estiment que le yézidisme doit disparaître, de même d’ailleurs que d’autres religions, y compris le christianisme. Déjà dans le passé, les Yézidis ont été la cible de nombreuses hostilités, mais c’est l’Etat islamique qui a mis à exécution le plan diabolique de leur extermination. Bianca Bellová a été bouleversée par les informations sur les massacres de Sinjar perpétrés en 2014 dans le nord-ouest de l’Irak :« J’ai appris ce qui s’était passé dans cette région comme tout le monde dans les médias. Nous savons comment s’est déroulé ce génocide. Les hommes ont été exécutés, les femmes ont été réduites en esclavage. Un groupe relativement important de Yézidis, 200 000 personnes environ, ont été détenus sur les monts Sinjar sans nourriture, ni boisson. Quand on apprend tout cela, il est difficile de rester indifférent. Cette affaire m’a touchée au cœur. »
Un conte sur les femmes et les jeunes filles martyrisées
Bianca Bellová (1970) est une écrivaine et traductrice tchèque aux racines bulgares. Elle est l’auteure de plusieurs livres, dont Jezero - Le Lac, proclamé Livre de l’année 2017 dans le cadre du prix Magnesia litera. Le même ouvrage a été distingué du Prix de littérature de l’Union européenne et du prix des étudiants Le Livre tchèque. Bianca Bellová est également l’auteure de toute une série de contes dont Une sale affaire écrit en anglais pour la revue Noir Nation :« Je me penche dans ce conte sur le sort des jeunes filles yézidies. Selon les estimations officielles 5 000 femmes yézidies ont été réduites en esclavage par les islamistes. Et si nous y ajoutons leurs enfants, leur nombre atteint 7 000. Les combattants de l’Etat islamique en ont fait leurs esclaves sexuelles. Certaines femmes sont devenues fiancées des islamistes, d’autres ont été vendues sur le marché mais aussi par l’intermédiaire des réseaux sociaux. Il y avait des petites annonces du genre : ‘Echange une fiancée pour une paire de bottes militaires’. On se les passait de main en main. Je raconte dans cette nouvelle la mission d’une unité militaire qui se lance sur les traces de ces jeunes filles disparues pour les retrouver et les libérer. »Certaines femmes ont réussi à s’évader, d’autres ont été libérées ou rachetées par leurs familles, mais beaucoup ne sont jamais rentrées chez elles ou sont revenues dans un tel état de santé qu’elles ne pouvaient plus vivre normalement. Beaucoup d’entre elles ont perdu la raison ou se sont suicidées.
Les traces dans une maison abandonnée
Dans son conte qui réagit aux massacres de Sinjar, Bianca Bellová n’évoque pas explicitement les atrocités commises par les djihadistes en Irak. Il est évident que ce serait insoutenable pour la majorité des lecteurs. Elle choisit des moyens beaucoup plus fins pour parler de ces horreurs indicibles. L’auteure amène le lecteur dans une maison délabrée de la région de Sinjar investie par une unité militaire qui cherche les femmes et les jeunes filles disparues pour les libérer. Les militaires sous le commandement du lieutenant Filipi parcourent la maison et y trouvent de nombreux petits détails indiquant que les femmes yézidies y étaient internées et maltraitées. Un lit défait, une odeur bizarre, des tâches de sang sur les murs, des lambeaux d’étoffe ne constituent cependant que des preuves indirectes des souffrances de ces femmes dans cette maison transformée en prison. Cependant, l’incertitude qui plane sur leur sort, se dissipe au moment où l’on trouve un papier froissé qui se révèle être une lettre que les esclaves des djihadistes n’ont pas réussi à envoyer aux combattants kurdes. C’est un cri de désespoir, une prière ardente et un appel au secours. En quelques phrases, une prisonnière décrit le martyre de ces femmes réduites à l’esclavage sexuel. ‘Mon corps est déjà mort, je ne sens plus mes plaies et mes meurtrissures, ils ont pris jusqu’à mon âme,’ écrit-elle. Les militaires du lieutenant Filipi doivent se rendre à l’évidence : une fois de plus, les geôliers de ces femmes martyrisées ont réussi à échapper de justesse à leurs poursuivants. Il n’y plus rien à chercher dans la maison sinistre et le lieutenant donne à ses militaires l’ordre de partir et de poursuivre les recherches ailleurs.De la littérature à l’action
Profondément émue par le sort des femmes yézidies, Bianca Bellová ne se contente pas d’écrire cette nouvelle. Elle commence à s’intéresser sérieusement à leur sort et cherche les moyens de les aider. Elle apprend que dans la ville de Teplice, en Bohême du Nord, vit un couple qui a déjà commencé à agir. Il s’agit de Shamsadin Shamou, qui est Yézidi, et de sa femme Šárka Petrová :« Ils ont décidé de faire leur possible pour aider ces pauvres gens poursuivis et ont lancé une collecte humanitaire. Ils ont commencé par envoyer dans cette région des couvertures et des vivres pour les enfants. C’était donc une aide humanitaire. Et moi, je me suis adressée à eux en leur demandant si nous pouvions les aider. Finalement, nous avons créé une sorte de succursale de cette initiative humanitaire à Prague qui a œuvré pendant deux ans. »
Il me semblait important d’en parler
C’est ainsi que Bianca Bellová est passé de la littérature à l’action. Elle ajoute que Shamsadin Shamou et sa femme se sont finalement rendus en Irak pour aider les Yézidis d’une façon plus complexe et plus efficace :
« Ils se sont lancés dans la construction d’un orphelinat pour les enfants dont les parents avaient été victimes du génocide. Sinjar était une ville morte aux infrastructures détruites et ils ont participé au projet de construction d’une polyclinique. Aujourd’hui, ils rénovent des puits de la région et construisent aussi une boulangerie. Ce sont des choses qui permettent aux gens chassés de leur pays de reprendre goût à la vie. J’ai commencé à m’intéresser à ce thème et il me semblait important d’en parler. »Il y a des moments où les paroles ne suffisent plus même pour un écrivain, qui ressent alors le besoin de s’engager personnellement dans les événements en cours. Cinq ans se sont écoulés depuis le génocide de Sinjar qui ne doit pas être oublié. La nouvelle de Bianca Bellová est parue en anglais en 2014, quelques mois seulement après l’enlèvement de femmes et de jeunes filles yézidies. Pour le cinquième anniversaire de cette tragédie, Bianca Bellová a traduit sa nouvelle en tchèque.