La plus grande monographie de Josef Lada
Quand, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, le peintre Josef Šíma montre à Pablo Picasso des reproductions d’œuvres de peintres tchèques modernes, Picasso ne manifeste un véritable intérêt que pour Josef Lada et remarque que Lada traitait la forme avec la même liberté que lui. Cette anecdote ne manque pas dans la plus grande monographie de Josef Lada parue aux éditions Slovart.
C’est un livre énorme de presque 800 pages qui réunit 873 reproductions d’œuvres de Josef Lada. Il s’agit souvent de reproductions de grand format qui saisissent avec beaucoup de précision le caractère et les couleurs des œuvres originales. Ce projet ambitieux a été réalisé grâce à l’éditeur Lev Pavluch:
«Au cours de la dernière décennie je cherche à faire exclusivement des livres sur les arts plastiques. Evidement d’abord il faut avoir une idée. Je dois trouver un thème et puis il faut chercher des collaborateurs et surtout un éditeur. Et c’est le problème clé. Un tel livre est extrêmement coûteux et la réalisation de ce projet est donc presque un miracle. Ce qui est anormal dans ce projet, c’est que nous ayons réussi à publier un livre aussi volumineux.»
Josef Lada a vécu entre 1887 et 1957. Il est né dans le village de Hrusice en Bohême et son enfance dans ce village allait devenir la plus grande source d’inspiration de son œuvre. Il abandonne bientôt les études à l’Ecole des Arts et Métiers parce qu’il sent sans doute que sa force réside dans son originalité. Et l’originalité ne s’apprend pas à l’école. D’abord influencé par les dessinateurs de son temps et notamment par Mikoláš Aleš, il développe peu à peu un style très personnel qui n’appartient qu’à lui et qui devient une des raisons de son immense popularité. D’abord auteur de dessins satiriques pour des journaux et des revues, il devient plus tard peintre de la campagne tchèque. Ses œuvres représentent la vie simple de villageois, des coutumes et des fêtes populaires, des scènes de contes de fées. Illustrateur prolifique, il est également peintre d’animaux adorés par les enfants. Ses illustrations pour « Les Aventures du brave soldat Chveïk » de l’écrivain Jaroslav Hašek, son ami, sont devenues indissociables du célèbre livre. Josef Lada se lance également dans l’écriture et signe toute une série de livres pour enfants. Il travaille pour le théâtre, pour le cinéma. Son style simple et la poésie des temps révolus qui émane de ses œuvres en font le peintre tchèque le plus populaire du XXe siècle.
Il n’est pas facile de cerner dans un livre une personnalité comme celle de Josef Lada. L’éditeur Lev Pavluch explique ses objectifs et sa méthode :
«Beaucoup de choses dépendent de l’auteur que j’essaie d’engager dans mon projet. Si j’arrive à le convaincre, je respecte sa nature, et nous créons ensemble la conception du livre. Et dans ce domaine ma contribution au livre est peut-être plus importante. Mais parfois l’auteur a déjà une conception bien arrêtée et alors je lui cède plus d’espace afin qu’il puisse la réaliser. Quand je cherchais un collaborateur pour cet ouvrage, j’avais à l’esprit que Jiří Olič avait publié, il y a à peu près cinq ans, une biographie de Josef Lada. C’était cependant un livre basé complètement sur le texte. L’éditeur estimait que notre ouvrage ne devrait pas être trop savant mais plutôt attractif, un livre pour les couches plus larges de lecteurs. Je me suis dit alors que la meilleure solution serait de collaborer avec Jiří Olič. Cela m’a permis de me concentrer au choix des œuvres reproduites et de rédiger les légendes pour toutes les reproductions. Je me suis lancé également à la recherche de dessins inconnus de Josef Lada, je cherchais à les dénicher chez des particuliers.»
Le résultat de ce travail est vraiment impressionnant. Outre les reproductions en couleur, le lecteur trouve dans le livre un texte de Jiří Olič évoquant les multiples facettes de l’œuvre et de la personnalité de Josef Lada. Des chapitres spéciaux sont consacrés entre autres à l’évolution du peintre, à ses activités de dessinateur humoristique et caricaturiste, aux influences qu’il a subies et notamment à celle du peintre Mikoláš Aleš, à sa situation et à son isolement dans les arts plastiques tchèques. Josef Lada est présenté comme un artiste lyrique, national et même métaphysique. Jiří Olič s’interroge aussi sur le rapport du peintre vis-à-vis du réalisme socialiste, style officiel en Tchécoslovaquie dans la dernière étape de la vie de Josef Lada.
Ce qui est probablement le plus important et le plus précieux dans cet ouvrage, ce sont les œuvres que l’éditeur a trouvées lors de son grand travail de recherches et qui complètent parfois d’une façon étonnante l’image que nous nous faisons de ce peintre que nous croyons déjà si bien connaître. Outre les musées et les galeries d’art, Lev Pavluch a également cherché à exploiter les collections particulières :
«Chez les particuliers, c’est un travail en chaîne, un travail de détective. Vous faites connaissance de quelqu’un ou vous le connaissez déjà depuis quelque temps, et cette personne vous met en contact avec quelqu’un d’autre. Ainsi, petit à petit, vous rencontrez des propriétaires des collections particulières. Dans cette monographie de Josef Lada il y a, entre autres, près de deux cents œuvres que le dessinateur a réalisées au début de sa carrière, à l’époque ou son style était encore tout à fait différent. Ce sont des dessins encore influencés par l’Art nouveau. Si un simple lecteur voyait ces dessins, sans connaître les autres trois quarts du livre, il ne devinerait pas qu’il s’agit d’œuvres de Lada.»
Deux aspects de la monographie de Josef Lada peuvent décourager les lecteurs –son format et son prix. Pour le feuilleter vous avez besoin d’une table et pour le payer il vous faut presque 2 700 couronnes, quelque 100 euros. Cependant si vous consentez à ce sacrifice, vous serez largement récompensés en pénétrant dans l’univers d’un peintre qui s’adresse directement à l’enfant qui dort en chacun de nous.