La situation des femmes précarisée par le congé maternité
Le système des allocations de congé maternité place la mère au centre d’un autre système, celui de la précarité, car le congé paternité est encore loin d’être adopté et même tout simplement accepté. Et qui dit enfant, dit besoin de temps, d’argent, de soins et il est parfois difficile de réunir tous ces éléments.
‘Avec un enfant, tout est différent’ : une idée qui est revenue à plusieurs reprises lors de l’entretien avec deux jeunes mères tchèques francophones depuis leur plus jeune âge.
Tina, 27 ans, tchèque aux racines libanaises, a poursuivi son cursus scolaire au Lycée français de Prague et a accouché de Raphael il y a 20 mois. Elle semble assez bien s’accommoder de son congé maternité, même si elle émet quelques bémols :
«Moi je suis tellement nouvelle dans tout ce système et je me laisse prendre en main par les assistantes des bureaux que tu vas voir. Ce sont les personnes les mieux informées. Ce qui est difficile, c’est de trouver des informations sur les allocations, ou sur l’aide que l’État te donne. Ce sont des choses un peu compliquées. Tu as plusieurs bureaux ou départements à voir, pour obtenir ce que tu veux, ce n’est pas qu’à un seul endroit. Ça peut être un peu compliqué. »
En ce qui concerne l’attribution des allocations, Tina, qui n’a pas encore été employée à temps complet, ne peut bénéficier du congé maternel. Toutefois, grâce à son compagnon, employé de poste depuis six ans, elle a pu toucher des prestations liées à son travail. Mais il faut compter sur des embarras d’autres natures :« La seule chose, c’est qu’en République tchèque, tu ne peux pas avoir deux noms de famille. Tu ne peux pas avoir le nom du père et de la mère en même temps, il faut que tu choisisses. C’est la seule chose qui m’a un peu embêté. Mais autrement, le pays est ouvert. »
De son côté, Eva, 25 ans, a eu Joakim il y a 3 mois. Née en Suisse de parents tchèques, et ayant étudié à Prague et à Nantes, elle vit dans la capitale tchèque depuis 13 ans. Son pire souvenir remonte à son accouchement à la maternité, en raison de la dureté du comportement du personnel de l’hôpital. Aussi, elle affirme que pour la prochaine grossesse elle fera tout pour accoucher à la maison. Elle nous livre son point de vue sur son changement de situation depuis qu’elle est devenue mère :
« Je pensais que ça allait être un peu plus cool. En tchèque on dit, ‘mateřská dovolená’ (congé maternité), une expression dans laquelle il y a le mot ‘dovolená’, donc ‘vacances-congés’. Je pensais donc que ça allait être un peu moins stressant que ça ne l’est, parce que la nuit on se lève plusieurs fois, le matin on est debout dès 6 heures et on n’arrête pas. En plus je veux faire à manger à midi pour mon homme, donc je fais des efforts pour que tout soit bien comme il faut, mais j’ai vraiment du mal. Heureusement, j’ai ma grand-mère qui m’aide de temps en temps. En fait, je pensais que ça allait être plus cool en général. »
Eva évoque l’aspect financier de sa maternité :
« En fait, vu que je ne travaillais pas quand je suis tombée enceinte, je n’ai pas eu la ‘mateřská - ‘le congé parental’, mais directement le ‘rodičovský příspěvek’ – ‘l’allocation parentale’, qui est de 7 900 couronnes par mois, et c’est quand même pas mal. Mais si je n’habitais pas chez mes parents, je ne sais pas comment je ferais. »
Précisons que l’Etat tchèque verse une allocation de 220 000 couronnes (environ 8 000 euros), pour chaque enfant durant quatre ans. Toutefois, les motifs d’attribution diffèrent selon les personnes : ceux qui ont déjà travaillé peuvent utiliser cette somme sur la période de temps qu’ils souhaitent. Au contraire, ceux qui n’ont pas travaillé, se voient verser 7 900 couronnes par mois (environ 316 euros) pendant neuf mois, et puis 3 800 couronnes (environ 152euros) durant les 39 mois restants.« Les premiers neufs mois, on a droit à 7 900 couronnes et ensuite c’est 3 800 couronnes, si je ne me trompe pas. Donc avec 7 900 couronnes c’est encore possible, mais 3 800 couronnes, c’est vraiment une somme dérisoire. Le loyer, c’est minimum 7 000 couronnes pour une ‘garsonka’ (un studio). J’essaie encore d’avoir une aide pour les mamans, qui n’ont précisément pas cette ‘mateřská, et qui est de 13 000 couronnes. C’est une somme que l’on donne après la naissance de l’enfant, et je peux l’obtenir jusqu’à ses six mois. Mais, là vu qu’il va avoir bientôt six mois, il faut que je me dépêche sinon, je ne vais pas avoir le droit de demander cette somme. Donc, il faut encore voir si je vais y arriver, parce qu’à chaque fois que je vais au ‘Úřad práce’ (le Bureau de travail où on demande les allocations, ndlr), c’est jamais bien écrit comme il faut, à chaque fois ils me disent de revenir. Là, ça va faire la quatrième fois que j’y retourne, et ça commence vraiment à me fatiguer. Il y a encore une allocation logement qui est de 500 couronnes par mois, mais vu que j’habite chez mes parents, je n’y ai pas le droit. »
Cette inégalité de versement de l’allocation ne met pas les mères ayant travaillé et celles n’ayant pas travaillé sur un pied d’égalité ; une situation qui est souvent critiquée :
« Vu que moi je ne travaillais pas, je n’ai pas eu le droit de choisir en combien de temps, j’allais avoir cet argent. Certaines mamans peuvent dire : ‘en deux ans, je veux tout avoir’ ! Du coup, la somme mensuelle est beaucoup plus grande, ce qui est préférable. Mais dans mon cas, je ne peux pas, du coup c’est sur une durée de quatre ans. Je trouve que c’est dommage, que l’on pénalise les femmes qui ne travaillaient pas avant d’avoir un enfant. Je ne vois pas pourquoi, je n’ai pas le droit de choisir également, si je veux avoir cet argent en deux ans ou trois ans. Pourquoi m’obliger à cette période de quatre ans, je ne comprends pas. Je trouve que cela pourrait être changé, parce que 3800 couronnes par mois c’est vraiment rien aujourd’hui. Si je n’avais pas la possibilité d’habiter chez mes parents, et que je devais payer un loyer, je ne sais vraiment pas comment je m’en sortirais. »
En lien avec le travail, il y a également la problématique de la garde de l’enfant, en crèche ou ailleurs, chose qui est alors loin d’être évidente, pour une mère à la recherche d’un emploi avec un nourrisson. Même si des mesures sont souvent recherchées par l’administration afin d’aider les femmes à trouver du travail le plus rapidement possible, Eva qualifie de ‘spirale infernale’ le système de garde :« Pour le moment, il y a des crèches évidemment avant la maternelle, mais tout ça est payant et ça coûte tellement cher, que ça ne sert à rien d’aller au travail, vu que presque tout l’argent que l’on donne c’est pour les crèches. »
Il y a presque autant de systèmes de garde que d’enfants. Les parents les plus aisés peuvent se payer des baby-sitters : d’autres bénéficient de l’aide des grands-parents, la babička – la grand-mère, ou le dědeček – le grand-père, très présents dans la sphère familiale tchèque. Eva se dit chanceuse de pouvoir appartenir à cette seconde catégorie :
« J’ai de la chance parce que ma mère ne travaille pas. Du coup, quand je pense à ‘garde d’enfant’, je pense à ma mère. Et vu que Filip, le papa de Joakim, a un travail qui lui permet de rester à la maison de temps en temps, alors quand ça n’est pas maman qui le garde, c’est son père. Mais je me place plutôt dans la position où j’imagine si ma mère travaillait. Dans ce cas, je ne sais pas ce que je ferais. Quand je regarde autour de moi mes amies tchèques, qui n’ont pas forcément leurs parents qui peuvent garder leurs enfants, alors je vois qu’elles s’arrachent les cheveux. »
Il est nécessaire de répondre aux besoins et à la transformation de la famille tchèque moderne, en oubliant volontairement le modèle patriarcale classique. Récemment, un projet lié à l’imposition du congé de paternité a fait polémique, car certains affirment que l’Etat ne devrait intervenir dans la sphère privée qu’à minima. Toutefois la sociologue Marcela Linková, est plutôt favorable à une telle proposition de loi, qui pourrait amorcer un nouveau système :« La proposition de loi soutient uniquement le fait qu’une part du congé maternité serait réservée aux hommes. Si la famille décide que l’homme n’ira pas en congé paternité, alors cette somme ne serait tout simplement pas utilisée. Personne n’oblige l’homme à effectuer un congé paternité. Néanmoins, les expériences à l’étranger montrent que ceci a un impact positif sur toute la famille, car les hommes respectent davantage les tâches réalisées par les femmes, Ils réalisent par eux-mêmes les difficultés qu’elles impliquent. En passant plus de temps avec leurs enfants, les hommes créent davantage de liens étroits avec eux, et cela a des conséquences bénéfiques sur le fonctionnement de la famille entière. »
Vivre du jour au lendemain avec un enfant, tout en planifiant le futur et être capable d’assurer le présent ; tel est le challenge quotidien de nombreuses mères, célibataire ou non, parfois stigmatisées par des points de vue patriarcaux. Un congé paternité effectif permettrait peut-être de redéfinir les rôles pour le bénéfice de tous.