« La stabilité du Sahel est liée à la sécurité de l'Europe et de la Tchéquie »
L’armée tchèque s’apprête à envoyer un contingent supplémentaire de soldats pour épauler leurs collègues français dans le cadre de la lutte contre le terrorisme dans la région du Sahel. Depuis le mois de septembre, la diplomatie tchèque a nommé un envoyé spécial pour cette zone qui regroupe plusieurs pays et qui est devenue l’une des priorités de la politique étrangère de Prague. Tomáš Uličný a répondu aux questions de Radio Prague International juste après son retour de Bamako :
« C’était ma première visite dans la région et pour moi l’occasion de rencontrer les dirigeants sur place, au Mali. J’ai remis une lettre de notre Président au Président du Mali avec ses félicitations pour sa prise de fonctions en tant que Président de transition, ce qui a été apprécié par la partie malienne. »
« Nous avons exprimé par ailleurs notre souhait d’approfondir la coopération avec le Mali. C’est vraiment un pays prioritaire pour la politique tchèque au Sahel et en Afrique et c’est aussi une priorité de notre politique extérieure dans le cadre de l’UE. »
Avez-vous pu vous rendre dans d’autres pays du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) au cours de ce déplacement ?
« J’étais uniquement au Mali mais ma prochaine visite est prévue en janvier en Mauritanie. »
Takuba : 60 soldats tchèques sur place en janvier ou février au plus tard
Vous êtes le tout premier envoyé spécial de la République tchèque pour le Sahel ; cela montre l’importance qu’a prise cette région pour Prague...
« La République tchèque est l’unique pays d’Europe centrale et orientale qui s’occupe de ce dossier très activement. Nous avons renforcé la présence tchèque dans la région, surtout sur le chantier sécuritaire. Notre contingent sur place est le deuxième le plus important après celui de la France. Notre parlement vient en plus d’approuver l’envoi de nos forces spéciales dans le détachement Takuba à partir de janvier prochain et cela a également été très apprécié par nos partenaires maliens. »
Pourquoi la République tchèque s’engage t-elle dans cette région ?
« Pour nous, il est clair que la stabilité et la sécurité dans la région du Sahel sont très liées à la sécurité de l’Europe et de la République tchèque. L’instabilité dans cette région peut impacter la stabilité de l’Europe. Nous aimerions contribuer à stabiliser la situation dans cette région. Les priorités sont la lutte contre le terrorisme, contre la migration illégale et l’amélioration des conditions de vie pour la population. »
« Le mandat pour l'armée tchèque dans la force Takuba est d'un an avec soixante militaires, issus des forces spéciales de notre détachement de Prostějov. »
Vous évoquiez la Task Force (Force opérationnelle) Takuba, dans le cadre de l'opération Barkhane, qui est actuellement en train de se mettre - laborieusement - en place, avec pour l’instant peu de pays européens engagés aux côtés de la France, notamment l’Estonie, la Suède et la République tchèque. Combien de soldats tchèques vont être détachés et quand vont ils partir exactement ?
« Le mandat est d'un an avec soixante militaires, issus des forces spéciales de notre détachement de Prostějov. Les négociations sont en cours pour définir le cadre exact de cette mission qui est prévue pour débuter en janvier, peut-être février au plus tard. »
Donc on ne sait pas encore où ils seront basés ?
« Ce sont des informations que je ne peux partager pour l’instant. »
EUTM Mali : la formation des soldats locaux compliquée par la pandémie et le coup d'Etat militaire
« Nous sommes convaincus que notre présence significative au sein de l’EUTM peut contribuer à renforcer l’armée malienne. »
L’armée tchèque dirige actuellement pour la première fois la mission européenne de formation de soldats maliens, EUTM Mali, une mission très importante au regard du rôle que l’armée malienne est appelée à jouer dans la lutte contre le terrorisme.
« Pour nous il s’agit de la première mission dirigée par l’armée tchèque. Un général tchèque en est à la tête et le contingent tchèque y est le plus important après celui de l’Espagne. La formation des troupes maliennes est basée sur nos expériences précédentes, notamment en Afghanistan. J’ai pu parler avec nos soldats et nos partenaires maliens, nous sommes convaincus que notre présence significative au sein de l’EUTM peut contribuer à renforcer l’armée malienne. C’est une tâche à long-terme, nous sommes présents depuis 2013 et n’envisageons pas d’en sortir dans les années à venir. »
C’est une tâche à long-terme, qui s’est également avérée particulièrement difficile cette année, avec la pandémie et aussi avec le coup d’Etat militaire au Mali…
« Oui, toutes les circonstances ont été extraordinaires pour nos soldats sur le terrain. Nous avons surmonté les problèmes liés au coronavirus après une interruption. Et nous avons relancé les opérations même après le coup d’Etat du 18 août, après quelques discussions et après la pression de la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) sur la junte malienne. Les demandes de la communauté internationale ont été acceptées par la junte, donc aujourd’hui l’environnement est convenable pour tous, que ce soit pour les opérations, pour l’UE et la région. Des problèmes législatifs ont dû être réglés au début de cette période de transition de 18 mois, mais nous devons tous travailler à l’organisation d’élections d’ici 15 mois et nous comptons sur la bonne volonté de l’administration de transition malienne. »
Des signaux positifs
Les soldats maliens sont soumis à une très forte pression, avec des centaines de morts parmi eux dans des attaques djihadistes. Il y a aussi un problème de corruption – les militants anti-corruption sur place (dont la Plateforme contre la corruption et le chômage au Mali PCC) dénoncent la corruption au sein de l’armée. Vous avez rencontré le colonel Sadio Camara, nouveau ministre de la Défense malien – est-il possible de discuter de ces problèmes de manière franche et directe ?
« Ils sont bien au courant de ce qu’il y a à faire, donc il n’y a pas de problème avec l’acceptation des conditions de la communauté internationale. Ce qui est un problème est la mise en œuvre de ces conditions. Mais j’ai l’impression que ce sont des hommes honnêtes qui jouissent d’un soutien populaire. L’administration temporaire est consciente des tâches à accomplir et des résultats tangibles à livrer à la population. Ce sont également des hommes d’action qui se préoccupent de l’avenir du Mali. »
« Ceux qui se sont opposés à l’ancien régime du Président IBK (Ibrahim Boubacar Keïta, ndlr) ne sont pas accusés d’être corrompus. Il y a donc de l’espoir parmi nous qu’avec de la bonne volonté ils pourront atteindre l’objectif de transition. Il y a aussi par exemple un signal positif dans le fait qu’ils aient invité des représentants des Touaregs du Nord – qui avaient signé les accords d’Alger - à rejoindre le gouvernement pour la première fois. »
Ces accords d’Alger ont été signés en 2015 mais n’ont toujours pas été respectés…
« Mais nous sommes en bonne voie aujourd’hui et cela a été constaté par tous mes interlocuteurs sur le terrain, dont le représentant spécial du Secrétaire général des Nations-Unies et le représentant de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA). Il y a bon espoir qu’avec l’inclusion de cet élément du Nord, le gouvernement transitoire puisse atteindre son objectif. »
« Le Sahel n'est pas un nouvel Afghanistan »
Un sommet entre les pays du G5 Sahel et l’UE est prévu dans moins d’une semaine, le 30 novembre – qu’en attendez-vous ?
« Pour ma part, j’ai le sentiment que le sommet va confirmer l’engagement de l’UE au Sahel. Mais il faudra souligner aussi que pour nous il s’agit d’une relation ‘transactionnelle’, nous avons besoin que les pays du Sahel fassent davantage leur part du travail. L’UE est tout à fait disposée à offrir plus, mais cela dépend de la volonté et de l’efficacité des gouvernements locaux. »
Pour certains, la France risque de connaître au Sahel « son Aghanistan ». Après avoir rencontré sur place plusieurs acteurs de ce combat éprouvant contre les djihadistes, notamment les responsables locaux et ceux de la MINUSMA, quel est votre point de vue ?
« Il faut améliorer les relations entre tous les acteurs pour aboutir à l’organisation d’élections libres au Mali d’ici 15 mois. »
« Mon point de vue est que le Mali n’est pas l’Afghanistan et que les situations sont bien différentes. Au Mali il y a un gouvernement de transition prêt à coopérer avec nous et il y a des bons signaux d’amélioration de la sécurité. Les forces conjointes du G5 sont déjà capables de combattre les djihadistes. Et il n’y a pas d’opposition massive sur place. Il y a des terroristes mais il n’y a pas de larges parties de la société qui s’opposent au gouvernement. La majorité de la population soutient le gouvernement, il n’y a pas de manifestations. »
« J’ai aussi eu l’occasion de rencontrer l’imam Dicko (Mahmoud Dicko, leader religieux décrit comme salafiste quiétiste, ndlr), qui représente un courant très important de la scène politique malienne et qui est prêt à soutenir le gouvernement, dont son mouvement a été appelé à faire partie. Il est important que toutes les forces politiques soient satisfaites par la plateforme de gouvernance actuelle, même s’il faut améliorer les relations entre tous les acteurs pour aboutir à l’organisation d’élections libres d’ici 15 mois. Mais je n’ai pas le sentiment de voir sur le terrain une situation se détériorer comme cela a pu être le cas en Afghanistan. Au contraire, les forces n’ont jamais été aussi capables d’agir. »