La Tchécoslovaquie, un refuge pour les Autrichiens à la veille de la Seconde Guerre mondiale 1934-1939
L’histoire a retenu le tournant de l’Anschluss, le 12 mars 1938. 135 000 Juifs autrichiens ont dû fuir leur pays avec l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie. Pourtant, dès 1934, un peu plus de 2000 sociaux-démocrates et déjà des Juifs quittaient l’Autriche, la plupart pour rejoindre la Tchécoslovaquie. Wolfgang Schellenbacher, chercheur à l’Université de Vienne et au Musée juif de Prague, donnait à la fin du mois de mars une conférence à ce sujet, en partenariat avec le CEFRES, dans le cadre du séminaire d’histoire moderne des Juifs de l’Institut d’histoire contemporaine. Au micro de Radio Prague, il explique les causes de cette émigration et revient sur l’attitude des autorités tchécoslovaques vis-à-vis des réfugiés sociaux-démocrates et juifs.
1934 : Guerre civile autrichienne et départ des sociaux-démocrates
C’est dans le contexte de la prise de pouvoir d’Hitler en Allemagne en 1933, et plus généralement de l’essor des idées nationales-socialistes, que la guerre civile éclate en Autriche le 12 février 1934 jusqu’au 16 février. Les deux principales factions, d’un côté les sociaux-démocrates, et de l’autre les chrétiens conservateurs, proches des idées nationalistes et du pouvoir en place, se battent, en partie via leur groupes paramilitaires. L’Autriche, jusqu’alors démocratique, passe aux mains du parti conservateur le Front patriotique et adopte des positions fascisantes. Le premier parti interdit est le parti communiste, suivi par le Republikanisher Schutzbund, le parti social-démocrate. On écoute Wolfgang Schellenbacher :
« Pour les sociaux-démocrates, cela signifiait que le parti était complètement illégal en Autriche, et les figures importantes du parti ont dû fuir dans d’autres pays, principalement en Tchécoslovaquie. Et aussi, des combattants normaux de la guerre ont fui principalement en Tchécoslovaquie, mais aussi en Slovénie, parce qu’ils avaient peur de finir en prison ou dans des camps de détention. »Dans un souci financier, mais aussi de proximité, ces combattants sociaux-démocrates ont en grande partie rejoint la Tchécoslovaquie, alors unique démocratie d’Europe centrale et orientale. Ils rejoignent le sud de la Bohême et de la Moravie ainsi que le territoire de l’actuelle Slovaquie. Les dissidents restés en Autriche se cachaient quant à eux pour essayer de poursuivre leur travail dans les rangs socialistes. En 1934, il était plutôt aisé pour les sociaux-démocrates de franchir la frontière, comme le montrent les recherches de Wolfgang Schellenbacher :
« La Tchécoslovaquie était officiellement neutre par rapport à ces évènements en Autriche, mais Prague a accueilli ces personnes et a facilité la traversée de la frontière et leur installation. Aussi, les autorités tchécoslovaques n’ont rien fait contre cette propagande massive que les sociaux-démocrates diffusaient de l’autre côté de la frontière en Autriche. Ils étaient conscients de ce fait, mais ils l’ont autorisé à ce moment-là. L’Etat tchécoslovaque était vraiment accueillant, à bien des égards, en 1934. »
Ces réfugiés autrichiens ont pu bénéficier de deux aides importantes au sein de la société tchécoslovaque : d’une part, celle des sociaux-démocrates tchécoslovaques qui ont facilité le passage de leurs camarades de l’autre côté de la frontière, et d’autre part celle des populations germanophones, installées dans la région des Sudètes, qui ont permis l’intégration sociale et professionnelle de ces exilés.
La fermeture des frontières pour les sociaux-démocrates et les Juifs autrichiens
Ce n’est que plus tard, entre 1935 et 1936, lorsque la crise des réfugiés a pris de l’ampleur partout en Europe, que la politique tchécoslovaque vis-à-vis des réfugiés a pris un tournant. Dès la fin de l’année 1937, un climat xénophobe s’installe en Tchécoslovaquie, la population craint les vagues d’immigration, des lois contre les étrangers sont votées, et les frontières sont sécurisées, comme dans de nombreux autres Etats. Wolfgang Schellenbacher analyse la difficulté pour les Juifs autrichiens de fuir à cette période :
« Les frontières ont été strictement fermées quand les réfugiés juifs ont essayé de s’échapper de l’autre côté de la frontière en 1938. Ce n’est pas seulement dû au fait que le premier groupe était composé de réfugiés politiques démocratiques, et que le deuxième comprenait des Juifs, mais c’est aussi dû à une différence de temporalité, quand ces personnes ont essayé de traverser la frontière. »Dès 1934, certains Juifs autrichiens avaient essayé de fuir leur pays. Otto Bauer, homme politique social-démocrate et Juif autrichien, est par exemple accueilli à Brno en 1934 grâce à un faux passeport, avant de rejoindre Paris. Mais le mouvement migratoire massif vers la Tchécoslovaquie commence à la veille de l’Anschluss, dans une atmosphère antisémite :
« Bien sûr, la majorité de la population autrichienne a bien accueilli ce nouvel Etat nazi, a accueilli les troupes nazies, et il y avait une longue tradition politique d’antisémitisme en Autriche déjà dans les années 1910, 1920, et 1930. »
L’éternelle fuite des Juifs d’Autriche
En septembre 1938, les Alliés signent les accords de Munich, qui autorisent Berlin à annexer les Sudètes, les régions germanophones de Tchécoslovaquie. Le 15 mars 1939, les troupes nazies envahissent la Bohême et la Moravie, et proclament le Protectorat de Bohême-Moravie, transformant ainsi la Tchécoslovaquie, auparavant un lieu de refuge, en un lieu d’oppression. Les Juifs d’Autriche décident alors de rejoindre principalement la Belgique, la France, les Pays-Bas et le Royaume-Uni.
Peu de réfugiés ont rejoint l’Union soviétique à ce moment-là, puisque ces militants n’étaient non pas communistes, mais sociaux-démocrates. Ceux qui ont fui en URSS ont d’ailleurs, pour certains, été exécutés lors de procès staliniens à la fin des années 1930. D’autres ont eu des trajectoires tout à fait étonnantes, fuyant jusqu’en Espagne, pour participer à la guerre civile espagnole, au côté de leurs camarades tchécoslovaques, contre Franco et son mouvement nationaliste :« Il y avait beaucoup de réfugiés qui passaient la frontière de la Tchécoslovaquie en 1934, et ils ont vite réalisé qu’il n’y avait rien qu’ils pouvaient faire, ils ne pouvaient pas retourner en Autriche, ni trouver un travail en Tchécoslovaquie car ils étaient des réfugiés autrichiens et n’étaient pas autorisés à travailler en Tchécoslovaquie. Donc beaucoup d’entre eux ont soit continué de fuir dans d’autres pays, en Union soviétique, soit ils ont continué à se battre dans la guerre civile espagnole. L’histoire de ces personnes est aussi malheureuse à bien des égards, parce que la plupart d’entre elles, quand la guerre civile espagnole a été perdue, ont été placées dans des camps à la frontière avec la France, et ensuite, elles ont été envoyées principalement au camp de concentration de Dachau, jusqu’à la fin de l’année 1941, et une grande partie d’entre elles ont ensuite été tués. »
Beaucoup de Juifs autrichiens ont essayé de fuir dans différents pays du monde. Mais la plupart des Etats refusaient d’accueillir ces réfugiés, à l’exception de la Chine, qui ne demandait pas de visa pour entrer sur son territoire. 5800 Juifs d’Autriche ont donc choisi de s’exiler à Shanghai.
Mais la majorité des Juifs d’Autriche ont été déportés, et exterminés dans le cadre du génocide orchestré par l’Allemagne nazie. Pour Wolfgang Schellenbacher, le déclenchement de l’extermination massive des opposants et Juifs autrichiens a lieu en 1938, date à laquelle un système de contrôle total est alors installé dans les territoires occupés par les nazis, notamment en Autriche :
« C’est dû au fait que l’Autriche, ou les nazis en Autriche, ont dressé un système complètement nouveau. Ils ont créé le soi-disant ‘bureau central de l’immigration juive’ et la seule motivation de ce bureau était de se débarrasser d’autant de Juifs que possible, et de voler tout leur argent. Donc cela a mené au fait qu’un total de 206 000 Autrichiens ont été comptés comme Juifs en 1938. 135 000 ont réussi à fuir le pays, la plupart des 70 000 qui sont restés en Autriche ont été tués durant l’Holocauste, environ 66 500 Autrichiens juifs ont été tués. »