Vieilles traditions, nouvelles voies

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La Bohême du sud et la Haute-Autriche : deux pays ayant parcouru ensemble une longue étape de leur histoire avant d'être divisés par le rideau de fer. Ce qui les relie et ce qui les sépare, c'est le thème d'une exposition transfrontalière : « Les vieilles traditions, les nouvelles voies » inaugurée le 26 avril simultanément dans 4 villes : Freistadt et Bad Leonfelden, en Haute-Autriche, et Vyšší Brod et Český Krumlov, en Bohême du sud.

Vu leur proximité territoriale, la Bohême du sud et la Haute-Autriche ont maintes fois été reliées économiquement et politiquement dans leur histoire. Au Moyen-âge, la puissante famille aristocratique des Rožmberk-Rosenberg a façonné des villes comme Český Krumlov, fait construire des couvents et des châteaux et assuré pendant près de quatre siècles la prospérité de cette région. De nombreux projets communs relatifs à la nature, au commerce, aux transports ou aux arts reliaient aussi la Bohême du sud et la Haute-Autriche, projets qui ne connaissaient pas de frontière, ainsi que le raconte le directeur du musée régional de Český Krumlov, Filip Lýsek :

« On peut dire, sans exagération, qu'il s'agissait historiquement d'une seule région. La division du territoire ne se produit qu'au milieu du XIXe siècle, avec l'apparition des Etats nationaux, et elle est bien sûr le résultat des deux guerres mondiales. Prenons le seul exemple de la famille Rožmberk qui a le principal mérite de la colonisation de la Bohême du sud par une population allemande. Dès le XIIIe siècle, la culture et l'érudition dans la région du massif de la Šumava sont propagées par les couvents cisterciens de Vyšší Brod et de Wilhering. Grâce aux Rožmberk, deux ethnies – tchèque et allemande – coexistent ici en harmonie paisible jusqu'à la période d'avant-guerre. En 1918, les trois quarts de la population de Český Krumlov parlent l'allemand. »

Photo: Český Krumlov
Des projets ayant contribué au développement des régions de la Haute-Autriche et de la Bohême du sud, ainsi que ceux qui n'ont pas pu être menés à bien, sont présentés dans le cadre de l'exposition transfrontalière au musée régional de Český Krumlov. On s'y familiarise avec les plans d’entretien des forêts de la Šumava, lesquelles ont beaucoup souffert au milieu du XIXe siècle de l'activité de plus d'une centaine de verreries. Les projets concernant le transport fluvial semblent exercer un attrait particulier depuis le Moyen-âge. Déjà au XIVe siècle, Charles IV propose un plan ambitieux afin de relier la Vltava et le Danube. Filip Lýsek :

Josef Štěpánek Netolický
« Le tronçon devant relier les deux rivières n'est pas long mais il se heurte à un obstacle important qui est le massif de la Šumava. Raison pour laquelle Charles IV y renonce. Le projet est ravivé par les Rožmberk qui font appel à Štěpánek Netolický, constructeur du Canal d'or et d'un système d'étangs en Bohême du sud, pour qu'il surmonte les Courants du Diable – une partie romantique mais très sauvage du haut cours de la Vltava. Après l’échec de ce dernier, le projet est abandonné, mais pas pour longtemps. Un autre homme intéressé à relier les deux rivières, cette fois à des fins guerrières, c'est Albrecht de Wallenstein, commandant en chef des armées impériales pendant la Guerre de Trente ans, qui souhaitait pouvoir transporter des navires de Prague à Vienne et déplacer ses troupes plus rapidement que ne le lui permettait le terrain impénétrable de la Šumava. Après ses nombreuses expéditions militaires, Wallenstein est toutefois obligé d'abandonner le projet qui, s'il avait été réalisé, aurait permis de naviguer depuis České Budějovice par un système d'écluses implantées le long du Danube jusqu'à Linz et Vienne. »

Le canal Schwarzenberg,  photo: Barbora Kmentová
Au XIXe siècle, Josef Rosenauer, natif de la région, construit un ouvrage hydraulique hardi reliant la Vltava et le Danube : le célèbre canal Schwarzenberg. Utilisé à l'époque pour le flottage du bois, le canal a récemment été remis en service, après une longue réparation...

L'exposition au musée régional de Český Krumlov nous familiarise avec un projet osé et relativement récent : En 1979, le régime communiste tchécoslovaque envisageait la construction d'un tunnel de chemin de fer pour relier České Budějovice via l'Autriche au port de Koper, dans le nord de la péninsule de l’Istrie. Baptisé Adria, ce tunnel devait assurer aux Tchèques l'accès à la mer Adriatique. Vu le coût élevé et les difficultés de construction, l'idée a été abandonnée. Avoir accès à la mer comme c'était le cas avant la fin de l'empire austro-hongrois, tel était le souhait de Milan Rastislav Štefánik, l'un des artisans de la République tchécoslovaque. Son projet est aussi présenté à l'exposition de Český Krumlov :

Milan Rastislav Štefánik à Tahiti
« Lors des négociations d'après-guerre sur l'organisation territoriale de l'Europe après l'effondrement de l'ancien empire austro-hongrois, de nouveaux Etats issus du partage du territoire sont apparus avec des revendications qui seraient aujourd'hui considérées comme bizarres. Parmi elles, le projet soumis par Štefánik demandant l'acquisition par la nouvelle République tchécoslovaque de territoires en Afrique, plus précisément au Togo, et également à Tahiti. Il a revendiqué aussi une île au nord de l'Europe, Jan Mayen, située à la limite entre l'océan Atlantique et l'océan Arctique, qui est le sommet émergé d'un volcan, aujourd'hui entièrement déserte, en proposant qu'elle devienne la propriété de l'Etat tchécoslovaque indépendant. »

Nous rappellerons qu'une équipe scientifique austro-hongroise a choisi à la fin du XIXe siècle l'île Jan Mayen comme lieu d'étude, en effectuant de nombreuses recherches et en produisant une cartographie de l'île qui sera utilisée jusque dans les années 1950.

Bien qu'aucun projet de Milan Rastislav Štefánik n'ait abouti, ce dernier est tout de même à l’origine d’expéditions tombées au fil du temps dans l'oubli, comme le rappelle Filip Lýsek :

« Du fait de Štefánik, plusieurs familles tchèques sont parties après la Grande guerre coloniser l'île de Tahiti. Peut-être pourrait-on trouver aujourd'hui encore dans le fond génétique des habitants de cette île des gènes tchèques. La confirmation de la présence tchèque à Tahiti, aujourd'hui encore, fait défaut, une chose est toutefois certaine : dans les années 1918-1919, on prévoyait qu'une des îles de la Polynésie française serait acquise par notre pays. »

Musée régional de Český Krumlov,  photo: Český Krumlov
Un autre fait peu connu révélé à l'exposition au musée régional de Český Krumlov concerne la libération de cette ville par l'armée américaine en mai 1945 :

« L'administration d'après-guerre de Český Krumlov a été placée sous la tutelle de l'armée américaine, avec participation des fonctionnaires et du maire allemand. Face aux nouvelles sur le transfert de la population des régions limitrophes des Sudètes, un groupe d'habitants allemands de la Šumava a adressé, au nom de leurs 244 000 concitoyens, une lettre au président des Etats-Unis Harry Truman, lui demandant une protection dans l'esprit du droit international et l'annexion du territoire de Böhmerwald en Haute-Autriche aux Etats-Unis d'Amérique, en tant qu'un nouvel Etat membre de l'Union. Si cette demande avait été acceptée, le massif de la Šumava aurait été une étoile sur le drapeau américain. »

On ignore si la Maison blanche a bien reçu la lettre rédigée le 12 juin 1945. Sa copie est exposée au musée régional de Český Krumlov qui consacre par ailleurs une partie de l'exposition à sa propre histoire : construit en 1650, le bâtiment baroque du musée ayant progressivement hébergé le collège jésuite, puis une école allemande et depuis 1952 les collections du musée, a failli disparaître, dans les années 1930. Filip Lýsek explique :

Český Krumlov,  photo: Barbora Kmentová
« Les projets d'Adolf Hitler souhaitant faire de la ville industrielle de Linz l'une des capitales culturelles de son Reich, projets qui s'inscrivaient dans le boom de l'architecture allemande glorifiant dès 1938 le national-socialisme, ont eu une répercussion non seulement à Linz où le Pont des Nibelungen en fournit une preuve, mais aussi à Český Krumlov. L'un de ces plans prévoyait la reconstruction complète du Musée régional, du bâtiment de l'hôtel Růže – Rose d'en face, et de l'ancien théâtre entrant dans le complexe du collège jésuite, en un seul ensemble multi-fonctionnel comprenant hôtel, théâtre, casino, restaurant, etc. Présenté juste avant la fin de la guerre, en février 1945, ce projet n'a heureusement pas abouti. »

L'exposition proposée par le musée régional de Český Krumlov dans le cadre du projet transfrontalier « Traditions anciennes, voies nouvelles » est à voir jusqu'au 3 novembre prochain.