La trace du sacrifice de Jan Palach

Une manifestation à la mémoire de Jan Palach (1969), photo: Jaroslav Kučera
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Quarante ans se sont écoulés depuis la mort de Jan Palach. Cet étudiant d’histoire à la Faculté des lettres à Prague s’est immolé par le feu, le 16 janvier 1969, pour protester contre l’occupation de la Tchécoslovaquie par l’armée soviétique mais surtout pour tirer la société tchèque de la léthargie et de sa passivité vis-à-vis de l’occupant. Il voyait déjà apparaître dans cette société les tendances à coexister et même à collaborer avec les forces d’occupation, et cela le blessait terriblement. « Nos peuples se sont retrouvés au bord du désespoir », a-t-il écrit dans une lettre trouvée dans sa serviette qui était restée sur le trottoir devant le Musée national à Prague, à l’endroit où il s’est transformé en flambeau vivant.

Une manifestation à la mémoire de Jan Palach  (1969),  photo: Jaroslav Kučera
La force spirituelle du sacrifice de Jan Palach a déclanché une vague d’émotion en Tchécoslovaquie et dans le monde. Parmi les personnes bouleversées par son acte, il y avait également notre auditrice Viviane Dautrevaux, de France. Elle nous a écrit:

«J'étais enfant en novembre 1956 quand les chars russes sont entrés à Budapest et je n'ai connu ce crime que quelques années plus tard, dans mon livre d'Histoire. Je haïssais déjà le stalinisme. J'avais 20 ans en 1968 quand les chars russes ont envahi Prague. Je n'ai jamais oublié ce crime. Je n'ai jamais oublié le regard terrorisé de Dubček face à Brejnev, il me rappelait trop le regard de Hácha face à Hitler. Jan Palach était mon frère, son geste fou et héroïque me bouleverse encore 40 ans plus tard, et chaque fois que je vais à Prague, je mets une fleur à sa mémoire à l'angle de la Faculté des lettres, sur Náměstí Jana Palacha. J'ai écrit plusieurs fois au maire de Paris pour demander que des rues de Paris honorent la mémoire de Milena Jesenská et de Jan Palach, chacun dans sa génération ayant été devant l'Histoire le premier résistant face à la barbarie qui voulait asservir la Tchécoslovaquie.»

Parmi les Français profondément atteints par la mort de Jan Palach, il y avait également un étudiant de Nice, Jean-Pierre Fargette. L’étudiant devenu médecin n’allait pas oublier les sacrifices de Jan Palach et de Jan Zajíc, deuxième flambeau vivant qui s’était immolé à Prague. Leur acte lui a inspiré plusieurs poèmes. L’un de ces poèmes est intitulé :

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«Jan Palach, mon héros» Souvent, aux monuments, cette question jaillit :

Referiez-vous tout cela, en connaissant l'issue ?

Personne n'ose y répondre, sachant qu'ils ont failli,

De croire en leur étoile, quand tout était foutu ! Plutôt rouge que mort, disaient les asservis,

Qui préféraient leurs chaînes, leur liberté bannie !

Mais toi, cher Jan Palach, tu sacrifias ta vie,

Dénonçant les lâches, collabos et nervis ! Trente cinq ans passés, mais tu restes présent,

Dans le cœur de tous ceux qui ont su t'admirer !

Juste un regret pourtant, car tu es trop absent.

Pour te trouver à Prague, parcours du combattant ! Pour les jeunes, les enfants, les touristes à venir,

Pas de photo de toi, ni de livre attrayant,

J'ai fait les librairies, boutiques de souvenirs,

Pourquoi te cache t'on, Idole de mes vingt ans?

Les Pragois rendent hommage à Jan Palach  (1969),  photo: Karel Kalivoda
Le prêtre catholique et professeur de l’Université Charles Tomáš Halík a été, lui aussi, profondément marqué par l’acte de Jan Palach. Tomáš Halik étudiait à la Faculté des lettres de l’université pragoise à la même époque que Jan et sa mort l’a non seulement bouleversé mais lui a aussi donné une forte impulsion pour changer sa vie. Il se souvient que c’est l’exemple de Jan Palach qui a contribué à sa décision de se faire ordonner secrètement prêtre. Il n’a pas oublié les réactions que le sacrifice de Jan Palach a suscitées dans les milieux religieux :

Tomáš Halík
«Les interprétations de l’acte de Jan Palach divergeaient. Ce qui était univoque, c’était la réaction émotionnelle. Mais je me rappelle que surtout dans les milieux chrétiens on se demandait dans quelle mesure il était permis de sacrifier sa vie. C’était quelque chose de tout à fait inhabituel. S’immoler par le feu, c’était quelque chose que nous connaissions d’un contexte religieux bien différent. C’est ce que faisaient à l’époque les moines bouddhistes pour protester contre la présence américaine au Vietnam. C’était donc quelque chose de tout à fait nouveau. Et nous en avons beaucoup discuté, quand nous préparions le requiem pour Jan Palach, nous disant que sa mort n’était pas un suicide mais un sacrifice et qu’il était peut-être plutôt un martyre qu’un suicidé. Et j’ai cité dans ce contexte la phrase de Chesterton disant que le suicidé est un homme qui dédaigne la vie tandis qu’un martyre est un homme qui dédaigne la mort. Son martyre a eu une immense signification parce qu’il a démontré notre valeur. Il nous a montré notre propre valeur. Si quelqu’un sacrifie quelque chose pour vous, et d’autant plus s’il sacrifie sa vie, il démontre qu’il tient à vous plus qu’à son profit, plus qu’à sa propre vie. Jan nous a démontré qu’il ne voulait pas que la société se désintègre moralement et qu’il y tenait plus qu’à sa vie. Ainsi il nous a rendu la conscience de notre propre valeur. Et pour la société qui était vraiment opprimée par l’occupant, c’était un signe important. »

Un rassemblement à la mémoire de Jan Palach  (1969),  photo: Miloň Novotný
La flamme de Jan Palach a rejailli en janvier 1989 lorsqu’un rassemblement organisé place Venceslas à l’occasion du 20e anniversaire de sa mort a été violemment dispersé par la police. La brutalité de l’intervention a provoqué la colère des Pragois qui ont ensuite organisé une série de manifestations devenues le signe précurseur de la Révolution de velours et de la chute du communisme.