Après Jan Palach, d’autres torches vivantes en 1969
Partout en République tchèque, des milliers de personnes ont rendu hommage, cette semaine, à l’étudiant Jan Palach, à l’occasion du 50e anniversaire de son immolation par le feu sur la place Venceslas à Prague, le 16 janvier 1969. D’autres personnes, Tchèques mais pas seulement, se sont inspiré du sacrifice de Jan Palach, qui, par son geste, voulait appeler le peuple à se révolter contre l’écrasement du Printemps de Prague en août 1968.
A la différence de Palach, Jan Zajíc a évoqué son intention devant ses amis, laissant une lettre d’adieu à sa famille dans laquelle il explique les motifs politiques de son acte, présenté dans les médias comme un suicide. L’historien Petr Blažek explique dans le documentaire intitulé « Sami proti zlu » (Seuls contre le mal) :
« En l’espace d’un mois, Jan Zajíc a pris la décision de suivre l’exemple de Palach, car personne n’avait rempli ses revendications, à savoir la suppression de la censure et l’interdiction d’un journal de désinformation publié par les occupants. Comme Palach l’avait lui-même indiqué dans ses lettres, si rien ne changeait dans ce sens, d’autres personnes s’immoleraient elles aussi. »
Les historiens estiment que cette annonce d’autres sacrifices était hypothétique et constituait une forme de pression exercée par Jan Palach sur les autorités communistes. Il n’empêche qu’une dizaine de personnes ont tenté de s’immoler en Tchécoslovaquie rien qu’entre le 16 et le 31 janvier 1969. Plusieurs victimes ont indiqué l’occupation soviétique du pays et l’immolation de Jan Palach comme motifs de leurs actes. Mais à l’origine de ces derniers se trouvaient aussi, fort probablement, des problèmes d’ordre personnel ou psychique, comme cela dans le cas de l’ouvrier Josef Hlavatý, qui s’est immolé par le feu le 20 janvier à Plzeň. S’il a affirmé aux médecins, avant sa mort, qu’il avait ainsi voulu « s’opposer aux Russes » qu’il « n’aimait pas », les autorités communistes l’ont présenté au public comme un alcoolique désespéré.« Ne les laissez pas faire de moi un fou », a d’ailleurs écrit Jan Zajíc à ses proches. De peur que ces obsèques tournent à la manifestation nationale, celles-ci n’ont pu se tenir à Prague, comme Jan Zajíc l’avait souhaité, mais dans sa commune natale de Vítkov, près de Šumperk. Son frère Jaroslav raconte :
« A cette époque, les autorités dissimulaient la réalité et trompaient les gens en diffusant de fausses informations. Tandis que le geste de Jan Palach a été largement médiatisé chez nous comme à l’international, cela n’a plus été le cas de celui de mon frère. Mon père et moi avons été soumis à une énorme pression. On nous a forcés à organiser l’enterrement de mon frère ici, à Vítkov. »
Cette contrainte n’a cependant pas empêché des milliers de personnes de se rendre dans la petite ville de Moravie-Silésie pour assister aux obsèques de Jan Zajíc. Le scénario s’est reproduit quelques semaines plus tard, lorsque les habitants de Jihlava, ville située sur les Hauteurs tchéco-moraves, dans le centre de l’actuelle République tchèque, ont fait leurs adieux à Evžen Plocek, technicien de profession membre du parti communiste pour qui l’écrasement du Printemps de Prague avait été une immense désillusion. Evžen Plocek s’est immolé le 4 avril 1969, un Vendredi saint, et ses funérailles ont réuni quelque 5 000 personnes.L’immolation de Jan Palach a eu un retentissement aussi à l’étranger. Le 13 avril 1969, le Letton Elijahu Rips a tenté de s’immoler par le feu dans le centre de Riga pour protester contre l’occupation soviétique de la Tchécoslovaquie. Elijahu Rips, qui a lui survécu à ses blessures et a ensuite travaillé comme mathématicien, vit aujourd’hui en Israël. Après sa tentative d’immolation, il a été arrêté par le KGB et interné pendant deux ans dans un hôpital psychiatrique. Il y a quatre ans de cela, lors d’une visite en République tchèque, Elijahu Rips s’était confié au micro de Radio Prague :
« J’avais 20 ans et pour moi comme pour les autres gens de ma génération, il était difficile d’accepter ce qui se passait et de se laisser aller. A l’époque, je croyais que le régime soviétique était éternel. Au fond de moi, je ne pensais pas pouvoir réellement changer quelque chose, je voulais simplement protester. (...) Aujourd’hui, je pense qu’on n’a pas vraiment le droit de se donner la mort. Mais à l’époque, j’avais tellement peur de tomber dans les mains des autorités soviétiques que l’idée de la mort était pour moi finalement plus acceptable. J’estime que les gens qui ont participé à des manifestations en sachant que le régime pouvait les emprisonner, ont été beaucoup plus courageux que moi. »