La vie littéraire à l’ombre de Munich
La période entre septembre 1938 et mars 1939 est une des périodes les plus sombres dans l’histoire du peuple tchèque. C’est pendant cette courte période entre le démantèlement de la République tchécoslovaque et l’occupation du pays par l’armée du Troisième Reich qu’éclatent les problèmes et les animosités qui se sont accumulés pendant la Première république, c’est-à-dire entre 1918 et 1938. Les frustrations et les désillusions n’ont pas épargné la vie littéraire de cette époque. C’est pour dissiper les doutes et pour démentir les idées reçues sur les attitudes de certains écrivains tchèques de ce temps-là que l’historien de la littérature Jaroslav Med a écrit le livre intitulé « La vie littéraire à l’ombre de Munich. »
La haine de la presse d’extrême droite, catholique et agraire s’attaque aux Juifs mais aussi aux intellectuels liés aux structures de la Première république. Une véritable campagne de dénigrement est organisée par exemple contre Karel Čapek, un des meilleurs écrivains et journalistes tchèques de cette époque. La santé ébranlée de l’écrivain ne résiste pas à cette explosion de haine et de calomnies et Karel Čapek meurt le 25 décembre 1938. Selon certaines sources la presse catholique et agraire mais aussi les écrivains catholiques de cette époque auraient joué un rôle actif dans ces aberrations. Jaroslav Med, auteur du livre « La vie littéraire à l’ombre de Munich » a décidé donc de se pencher sérieusement sur les activités des milieux littéraires tchèques de ce temps-là :
« Ce n’étaient pas que les 167 jours de la Deuxième république que j’avais en vue en écrivant ce livre, je voulais surtout montrer pourquoi les choses se sont passées ainsi. Je pense que la Deuxième république était dans une certaine mesure le fruit des deux décennies précédentes. La polarisation au cours de la Première république était terrible. Il y avait la gauche, il y a avait les gens qui gravitaient autour du journal Lidové noviny, le journaliste Ferdinand Peroutka, l’écrivain Karel Čapek etc., et de l’autre côté les catholiques. La polarisation de la vie littéraire a donc d’une certaine façon cristallisé et abouti à des situations qui nous semblent aujourd’hui absurdes. »Sans comprendre l’évolution précédente il pourrait nous sembler, selon Jaroslav Med, que les gens se sont comportés au cours de cette période comme des fous. Soudain, beaucoup de choses qui sous la Première république faisaient tout naturellement partie du discours politique, ont complètement changé et pris une signification bien différente. Le rôle de l’ancien président Tomáš Garrigue Masaryk, considéré comme le représentant du tchécoslovaquisme, les rapports entre Tchèques et Slovaques et même la question juive, ont été abondamment discutés déjà sous la Première république. Après Munich et le changement de contexte politique tous ces thèmes sont soudainement perçus d’une façon tout à fait différente et la discussion sur ces sujets dégénère en une querelle et prend un aspect inconciliable et haineux.
Selon Jaroslav Med, les intellectuels catholiques par exemple ne semblent pas s’apercevoir du changement de la situation et continuent à écrire dans la même veine comme sous la Première république. Cependant, ce qui pouvait être considéré avant Munich comme une réflexion critique de la démocratie libérale, devient une attaque politique contre la démocratie et la liberté d’opinion. Après quelque temps ils finissent toutefois quand même par se rendre compte de ce changement et de la situation tragique de leur pays. Jaroslav Med constate :
« Je pense qu’ils n’ont commencé à le réaliser que vers la fin de l’année 1938. Je cherche à démontrer dans mon livre que les Accords de Munich ou le ‘Diktat’ de Munich si vous voulez, a été un choc terrible auquel ils ont réagi par un geste désespéré. Mais ensuite, vers la fin de l’année 1938, tout le milieu littéraire a commencé à se rendre compte que cela ne pouvait pas continuer de la même façon. Les attaques les plus abjectes contre Karel Čapek par exemple étaient l’œuvre de canailles, de la presse à scandale. De toutes les grandes figures littéraires seul Václav Renč s’est attaqué à Karel Čapek dans un éditorial fâcheux. Par contre le grand écrivain catholique Jaroslav Durych, qui est souvent cité dans ce contexte, n’a pas écrit une seule ligne contre Čapek.»
Le livre de Jaroslav Med est donc aussi une espèce de réhabilitation des écrivains catholiques et de leur attitude pendant la période de la Deuxième république :
« C’est la raison pour laquelle j’ai écrit ce livre. Je ne pouvais pas accepter le fait que les écrivains catholiques de droite fussent qualifiés de clérico-fascistes. Cela me rendaient furieux surtout quand j’entendais citer dans ce contexte les noms de mes amis comme ceux du critique et traducteur Bedřich Fučík ou encore du poète Bohuslav Reynek. Bedřich Fučík qui était mon ami, me disait toujours : ‘N’oublie pas que la Deuxième République était une période ou nous étions affolés, nous ne savions absolument pas quoi faire.’ »
Et Jaroslav Med de constater que ces écrivains, et non seulement eux mais toute la communauté littéraire, étaient convaincus que cette situation s’éterniserait et pourrait durer peut-être pendant cinquante ans. L’auteur cherche à démontrer que malgré les accusations infondées les écrivains catholiques et le milieu littéraire dans son ensemble n’ont pas pris part, à quelques exceptions près, à cette chasse aux sorcières et ne se sont pas engagés dans les aberrations de la Deuxième république. Le travail de recherche d’une grande ampleur qu’il a réalisé avant la rédaction de son livre lui permet d’affirmer que la communauté littéraire tchèque n’a pas perdu son intégrité dans cette épreuve.
Le livre « La vie littéraire à l’ombre de Munich » est sorti en 2010 aux éditions Academia.