La vie quotidienne pendant la Grande guerre
La Première Guerre mondiale a été non seulement un des deux plus grands cataclysmes du XXe siècle, mais aussi une période où les gens ont continué malgré tout à vivre leurs vies. Dans des conditions souvent atroces et inhumaines, ils obéissaient à leur instinct de survie et cherchaient à rendre leur existence plus vivable et plus humaine. Le livre intitulé Zum Befehl, pane lajtnant (A vos ordres, mon lieutenant) retrace les manifestations de cette force vitale, de cette soif de bonheur qui n’a pas été étouffée par les canons, les fusils, les famines et les épidémies et a toujours ressurgi même dans les situations les plus difficiles et dans les conditions les plus pénibles.
Les Mémoires de mon grand-père
Le livre A vos ordres, mon lieutenant de Pavla Horáková et Jiří Kamen est déjà le deuxième volume d’un diptyque littéraire qui réunit les documents sur la vie quotidienne pendant la Deuxième Guerre mondiale. Pavla Horáková évoque les circonstances familiales qui l’ont amenée à la rédaction de ces deux ouvrages :« L’idée de faire ce livre m’est venue pour la première fois en 2010, lorsque j’ai lu les mémoires de mon grand-père qui avait combattu sur le front italien. Et je me suis dit que de tels documents devaient exister dans beaucoup de familles parce que dans presque chaque foyer il y avait un soldat et qu’il serait bien de sortir ces documents de tous ces tiroirs, de ces greniers et ces caves, mais je ne savais pas comment… »
Un diptyque littéraire
Le premier tome du diptyque publié en 2015 est intitulé Přišel befel od císaře pána (Il nous est arrivé un ordre de sa Majesté l’Empereur). En rédigeant ce livre, les auteurs ont renoué avec une série d’émissions de radio dans laquelle ils ont lu de nombreux documents personnels des participants à la Grande guerre. Vue par les yeux de ces témoins, la Première Guerre mondiale cesse d’être seulement un conflit de masses, une horrible accumulation de catastrophes historiques et politiques, mais aussi une affaire très personnelle et très intime, une suite d’événements qui a transformé, ébranlé ou détruit des vies individuelles. Pavla Horáková explique quelle est la différence entre les deux livres qu’elle a créés avec Jiří Kamen :
« Le premier livre était basé aussi sur des lettres, des journaux et des mémoires de soldats tchèques. Nous avons suivi et évoqué dans ce livre les destins de neuf personnes, y compris une jeune fille à l’arrière, pour lesquels nous disposions d’assez de documents ce qui nous permettait de retracer leur vie pendant toute la durée de la guerre. Nous avons divisé ce livre selon les années de la Guerre et nous avons récapitulé les événements les plus importants dans l’existence de nos protagonistes. Le deuxième livre est différent parce qu’il est conçu selon un plan thématique. Il comprend toute une série de chapitres sur les différents aspects de la vie au front et à l’arrière. »La correspondance de guerre
Les auteurs ont rassemblé et étudié d’innombrables documents, lettres du front, cartes postales, journaux intimes des soldats, témoignages, extraits de mémoires, récits de voyage, photos et dessins. Il s’avère que pour certains soldats, la guerre n’était pas qu’une épreuve atroce mais aussi une forte impulsion pour écrire, pour laisser un témoignage, pour exprimer leur angoisse, pour se confier à un journal intime, pour renforcer par une lettre ou une carte postale les liens avec leurs proches éloignés. Selon Pavla Horáková, l’écriture pendant la Grande guerre peut être même considérée comme une espèce de lutte contre le caractère inhumain de ce conflit. La lecture de ces documents a été pour elle à la fois très belle et très difficile :« Très belle parce que ces textes sont écrits dans une langue vieille de cent ans et qui est extrêmement pittoresque et rafraîchissante. Mais c’était aussi difficile parce que ces gens décrivent des situations très dures et non seulement des scènes de la guerre, leurs problèmes de santé, la douleur, la faim, les mauvaises conditions de vie, la peur, mais aussi la nostalgie. Et pour moi il était probablement le plus difficile de lire les pages sur la grande nostalgie de ces gens-là, leur mal du pays et leur grand désir de revoir leurs familles qu’ils ne retrouveraient peut-être jamais. »
Des destins riches d’aventures
La guerre est aussi un point d’intersection d’innombrables vies et d’innombrables destins qui ne se seraient jamais croisés sans elle, qui se seraient sans doute déroulés ailleurs et tout à fait différemment. Certains de ces destins sont riches d’aventures qui méritent d’être racontées dans un roman ou d’être portées à l’écran. Il s’agit notamment de l’odyssée des membres des légions tchécoslovaques qui se sont constituées à l’étranger pendant la guerre et ont finalement joué un grand rôle lors de la naissance de la Tchécoslovaquie, nouvel Etat né sur les décombres de l’Autriche-Hongrie. Parmi ces soldats il y avait aussi le légionnaire Jaroslav Janda dont les mémoires sont cités dans le premier tome. Pavla Horáková résume les aventures de cet homme qui a publié en 1934 ses mémoires sous le titre Mes souvenirs de la guerre mondiale :« Jeune recrue, il est parti dès 1914 en Bosnie et il devient prisonnier de guerre en Serbie. Après être transporté à travers l’Albanie, il a été remis aux Italiens et est interné sur l’île d’Asinara. Il est venu en France en tant que prisonnier de guerre. Il y a travaillé pendant quelques années et finalement il s’est engagé dans les unités de volontaires tchécoslovaques en France avec lesquelles il est revenu à Prague en 1919. »
La vie au front et à l’arrière
Dans une vingtaine de chapitres du livre A vos ordres, mon lieutenant, le lecteur apprend énormément de détails sur la vie au front, dans les tranchées, dans les lazarets, mais aussi sur la vie à l’arrière, sur la population frappée par la pénurie et obligée de chercher les moyens pour survivre. Certaines lettres citées ressemblent à des récits de voyage parce que les soldats partent souvent loin de leur foyer et de leur famille et découvrent des populations et des pays inconnus. Un chapitre est consacré aux armes nouvelles, au gaz de combat et à d’autres inventions diaboliques qui sèment la mort et la souffrance parmi les combattants. Un autre fléau est la vermine qui ronge les soldats. Pavla Horáková constate pourtant qu’ils cherchent plutôt les aspects amusants de leur situation et que c’est avec humour qu’ils parlent dans leurs mémoires des méthodes qu’ils utilisent pour se débarrasser des puces, punaises et autres vermines.Des avis contradictoires sur le patriotisme
Les documents réunis dans le livre mettent en relief aussi la situation compliquée des soldats tchèques et slovaques qui combattent et perdent la vie dans l’armée impériale sans s’identifier avec les objectifs militaires et politiques de l’Autriche-Hongrie. Pour les uns le patriotisme est de se sacrifier pour la vieille monarchie, pour les autres c’est de se battre contre l’Autriche-Hongrie. Pour beaucoup il n’est pas facile de trouver une issue à cette ambiguïté, de sortir de cette confusion idéologique et de choisir l’un ou l’autre camp. Cependant vers la fin de la guerre, les désertions deviennent un phénomène massif. Pavla Horáková se garde de juger leurs décisions :« Nous ne portons pas de jugements moraux sur l’héroïsme et la lâcheté, s’il était honnête de rester loyal à l’armée autrichienne ou déserter et se joindre aux armées étrangères. Nous ne disons pas que la désertion de l’armée impériale était une trahison ou un acte de patriotisme. C’est le sujet du chapitre sur l’héroïsme, la trahison ou la lâcheté. »
Noël dans les tranchées
Malgré les atrocités de la guerre, malgré la mort omniprésente qui les menace, les soldats de la Grande guerre cherchent péniblement à recréer dans les conditions du front les activités qui agrémentaient leur vie d’avant-guerre. Dès que l’occasion se présente, ils se mettent à chanter, à faire de la musique, à dessiner, à écrire des poèmes. Certains arrivent même à pratiquer le sport et la gymnastique. Le livre apporte de nombreux exemples de ces activités artistiques et sportives qui ravivent dans les têtes des soldats les souvenirs de leur pays et de la vie paisible avant leur départ à la guerre. Et Pavla Horáková constate que ces souvenirs deviennent encore plus poignants pendant les diverses fêtes et notamment à Noël :« Le chapitre sur Noël est très triste parce que Noël est le temps où les soldats ressentaient le plus la séparation de leurs familles, ils se rappelaient de leurs enfants qu’ils n’avaient pas vus depuis plusieurs années ou qu’ils n’ont jamais vus parce que leurs enfants sont nés après leur départ à la guerre. Ils cherchaient pourtant à créer l’atmosphère de Noël par les moyens des plus modestes. Certains avaient même l’arbre de Noël quand ils étaient logés par exemple dans une grange mais ils n’avaient que des cigarettes pour le décorer. Ils s’offraient mêmes des étrennes improvisées, un peu plus de nourriture, une conserve supplémentaire, des noix, une pomme. Mais il y avait surtout cette tristesse et ces souvenirs. »Les livres Přišel befel od císaře pána (Il nous est arrivé un ordre de sa Majesté l’Empereur) et Zum befehl, pane lajtnant (A vos ordres, mon lieutenant) de Pavla Horáková et Jiří Kamen sont sortis en 2015 et 2018 aux éditions Argo.