La vie secrète d’un musée tchèque

Photo: Archives du Musée national

Derrière les collections que les visiteurs peuvent découvrir dans les musées, il y a tout un immense travail. Il faut rassembler et sélectionner les objets, parfois les restaurer, les identifier, les contextualiser, leur donner un sens. C’est ce processus que le Musée national invite à mieux connaître à travers sa nouvelle exposition « La vie secrète des collections », visible à Prague au sein de son bâtiment historique, tout récemment restauré, jusqu’au cœur de l’automne.

Le Musée national entre 1890-1900 | Photo: Library of Congress/Wikimedia Commons,  public domain

Construire une collection

Musée national | Photo: Eliška Kubánková,  Radio Prague Int.
En soi, c’est un motif valable pour visiter le bâtiment historique du Musée national à Prague. Après sept années de travaux, cet édifice emblématique de la capitale tchèque, construit en 1891, s’est offert une nouvelle jeunesse et a rouvert progressivement ses portes au public à partir du mois d’octobre de l’année passée.

Quant au Musée national, institution muséale la plus importante du pays, il est plus ancien encore puisque sa création remonte à l’année 1818. A l’époque, il se nommait Vlastenecké muzeum v Čechách, c’est-à-dire Musée patriote en Bohême, et ce sont largement des particuliers qui ont contribué dans un premier temps à alimenter son fonds naissant en y déposant leurs propres objets.

L’exposition « La vie secrète des collections » permet précisément de comprendre comment un musée acquiert et gère les objets qu’il montre à ses visiteurs. Et d’après l’historien Marek Junek, qui dirige le Musée historique, l’une des cinq composantes principales du Musée national, les choses n’ont pas tellement changé en deux siècles :

Marek Junek,  photo: Archives du Musée national
« Cette façon d’acquérir des objets est en fait restée la même, car les gens ne cessent de venir au musée et d’y offrir leurs propres objets ou des documents d’époque. Et cela reste une partie de nos collections. Ensuite, nous achetons bien sûr des objets. Ce sont des choses qui ont par exemple trait à l’évolution de l’Etat tchèque ou bien à des personnalités tchèques importantes. Il y a trois mois, nous avons par exemple acquis des objets liés à la succession de Hana Benešová (la seconde femme du président Edvard Beneš, ndlr), que nous avons fait venir des Etats-Unis d’Amérique. Après, des curateurs présentent aussi leurs propres collections. »

Les objets liés à la succession de Hana Benešová,  photo: Jan Kaliba,  ČRo
Marek Junek explique que, dernièrement, le musée a rassemblé toute une série de pancartes brandies dans des manifestations organisées ces dernières années en République tchèque. Une collection qui rejoint l’actualité brûlante puisque le début de cette année 2019 a été marqué par des rassemblements d’une ampleur rarement vue depuis la révolution de Velours pour protester contre le Premier ministre Andrej Babiš. De fait, les domaines couverts par le Musée historique sont très vastes :

« Souvent, nous documentons la vie de tous les jours, la vie quotidienne des habitants de République tchèque, et les visiteurs peuvent donc nous faire don des objets les plus divers. Ce sont par exemple des biens électroménagers ou d’autres biens répondant à des besoins personnels. Nous avons également un grand département sportif et nous documentons donc l’évolution du sport sur le territoire de la République tchèque […]. Il y a un département numismatique, qui documente l’évolution de la monnaie. Nous avons les biens subsistants de personnalités, nous documentons les grands événements de l’histoire et aussi l’évolution des grandes institutions. »

Photo: Archives du Musée national

La vie d’un objet de musée

Le Musée historique a ainsi vocation à recueillir de très nombreux objets, sans limite de temps, l’idée étant de conserver une image de la société présente pour les générations futures. Cependant, quand bien même tout objet représente un témoignage de son époque, qu’il peut potentiellement faire l’objet d’un discours savant et être mis en relation avec d’autres objets, les capacités de stockage d’un musée sont limitées. De surcroît, les orientations privilégiées par une telle institution muséale impliquent que tous les objets ne sont pas indistinctement au centre de son intérêt. En d’autres termes, il faut vers des choix quand un particulier se propose d’enrichir la collection du musée. Marek Junek détaille :

Photo: Archives du Musée national
« En premier lieu, c’est la charge du curateur de juger si l’objet est profitable à une collection et s’il l’enrichit. Ensuite, il y a un corps consultatif dans le domaine concerné, une commission, qui indique si le don ou l’achat envisagé répond à toutes les attentes afin que l’objet puisse intégrer une collection. Quand le don est accepté, les objets d’une collection passent entre les mains d’un documentaliste qui les décrit et les identifie. Ils sont ensuite apportés à Terezín, où se trouve le dépôt central du Musée historique. »

Une fois entreposé, le parcours de l’objet, devenu partie intégrante d’une collection, est cependant loin d’être terminé…

« Cela dépend après de l’état dans lequel se trouve l’objet. Si nous suspectons l’objet d’être sujet à des moisissures ou bien à des parasites, ce qui peut également arriver, alors nous devons le placer dans une chambre spéciale où nous le séchons. Pour chaque objet, les restaurateurs construisent ensuite un emballage particulier et le curateur le stocke finalement dans son emplacement au dépôt. L’objet attendra là le moment où le curateur le choisira pour une exposition ou bien où un chercheur voudra l’examiner. »

Quand on est ainsi un objet membre d’une collection, sauf exception, il faut apprendre la patience, car on a toute les chances de ronger son frein longtemps, bien rangé sur l’étal de son dépôt, avant de pouvoir en sortir. Combien d’objets connaissent ce bonheur ? Martin Junek répond :

Photo: Archives du Musée national
« Il y en a très peu, car le Musée historique compte plus de deux millions d’objets dans ses collections. Et, dans nos expositions, nous ne pouvons en montrer qu’un très faible pourcentage. Chaque année, nous exposons autour de 2 000 objets. Mais le Musée national prête aussi ses objets à de nombreux endroits en République tchèque et à l’étranger. Le Musée historique représente la plus grande partie du Musée national et nous prêtons chaque année nos objets à quelque 500 institutions. »

Une exposition pour les découvrir tous

Photo: Archives du Musée national
Et les collections du musée ne cessent de s’agrandir. Pour 2017 et 2018, 5 000 nouveaux objets les ont rejointes. Le chiffre devrait être plus impressionnant encore pour l’année en cours puisque, rien que pour le département en charge du sport, 2 000 artefacts devraient venir prochainement grossir les rayons.

Ce sont précisément certains des objets les plus récemment entrés dans les catalogues du Musée national qui sont présentés au public dans le cadre de l’exposition « La vie secrète des collections ». Martin Junek fait les présentations :

« Ce sont des objets qui se rapportent par exemple à la numismatique, aux pièces antiques. Il y a ici des objets qui proviennent également de département qui s’occupe du théâtre. Nos collègues ont obtenu il y a près de deux ans des biens ayant appartenu à l’actrice Jiřina Jirásková. Des choses un peu absurdes atterrissent parfois au musée, par exemple la dernière cigarette qu’elle n’a pas terminée. C’est le genre d’objet autour duquel nous pouvons toutefois ensuite raconter une histoire. »

Des objets de ce type et les histoires qui vont avec sont donc à découvrir jusqu’au 31 octobre prochain au bâtiment historique du Musée national à Prague.