L’acquittement du commanditaire présumé de l’assassinat de Ján Kuciak vu de Tchéquie

Marián Kočner, photo: AP Photo/Petr David Josek

Cette nouvelle revue de presse s’intéresse pour une fois, prioritairement, à des sujets internationaux : l’acquittement controversé de l’homme d’affaires Marián Kočner et de sa complice, présumés responsables de l’assassinat du journaliste slovaque Ján Kuciak et de sa fiancée et, ensuite, le procès des attentats de Charlie Hebdo tel qu’il est vu de Tchéquie. Elle rappelera également les inquiétudes et les doutes suscités en Tchéquie suite à la désormais célèbre phrase d’Angela Merkel, par laquelle l’Allemagne a invité  il y a cinq ans les réfugiés venus notamment de Syrie. Il sera enfin question du comportement des politiques tchèques à l’égard de la jeune génération.

Ján Kuciak et Martina Kušnírová,  photo: Ladislav Luppa,  CC BY-SA 4.0

La presse tchèque a suivi de très près le procès des responsables présumés de l’assassinat du journaliste slovaque d’investigation Ján Kuciak et de sa fiancée Martina Kušnírová, en février 2018, qui s’est ouvert en Slovaquie deux ans plus tard. Elle a aussi immédiatement  réagi au verdict qui est tombé jeudi matin et selon lequel le commanditaire présumé de l’assassinat, le richissime homme d’affaires Marián Kočner, a été déclaré non-coupable. Le site aktualne.cz, par exemple, cite Peter Brady, le rédacteur en chef du site Aktuality.sk où Ján Kuciak travaillait, qui a confié « ressentir un immense choc et une très grande déception, sa tête  ayant du mal à accepter et à comprendre la décision du tribunal. »

Le site ihned.cz a écrit  à ce propos :

« Difficile de supporter la vue des parents accablés de Ján Kuciak et de sa fiancée. Ils ont prioritairement le droit de recevoir une réponse à la question de savoir qui a commandité le meurtre et qui l’a financé. Leur déception est immense et compréhensible. Les collègues du journaliste assassiné sont tout aussi déçus, eux qui espéraient être rassurés sur la capacité du système judiciaire slovaque à mener l’affaire jusqu’au bout. »

Le journal Deník N a publié un commentaire du rédacteur en chef du quotidien slovaque Dennik N Matuš Kostolný :

« La libération de Marián Kočner et d’Alena Zsuzová, qui est également soupçonnée d’être impliquée dans cet assassinat, est une blessure qui ne pourra guérir que très difficilement. Dans cette affaire, il ne s’agit pas seulement de deux assassinats abominables. C’est la confiance en la justice slovaque qui est en jeu. Certes, même Kočner et sa complice ont droit à un procès équitable qui peut effectivement déboucher sur un verdict de non-culpabilité. Mais dans ce cas précis, la décision finale sème plus de doutes que d’habitude. »

Le site Hlídacípes.org note pour sa part que la société slovaque devra désormais s’habituer à l’idée qu’il existe dans son pays un assassin qui reste en liberté.

Le procès des attentats de Charlie Hebdo vu de Prague

Photo: ČTK/AP/Michel Euler

Faut-il accorder un intérêt particulier au procès des attentats de Charlie Hebdo dont l’audience s’est ouverte ce mercredi à Paris ? Le commentateur du journal économique Hospodářské noviny qui soulève cette question y répond par l’affirmative :

« Evidemment, durant le procès il s’agira de prouver la culpabilité ou la co-responsabilité de tel ou tel accusé. Mais il y a un autre point important, celui qui se rapporte à la liberté d’expression, qui mérite également d’être retenu dans ce contexte. »

Le commentateur rapporte que l’édition de mercredi de Charlie Hebdo a une nouvelle fois publié des caricatures reprises dans le magazine danois Jylland Posten. « Non pas pour soulever à nouveau une vague de colère dans le monde musulman, mais afin de revendiquer la liberté d’exprimer son opinion, même sous une forme provocatrice et exagérée », souligne-t-il et de conclure :

« Lorsqu’après le 7 janvier 2015, des millions de Français sont sortis dans la rue en clamant ‘Je suis Charlie’, certains y ont vu un geste sentimental. Mais, en fait, ce n’est pas le contenu des caricatures, mais le droit de les publier qui était ainsi défendu. Celles-ci ne sont pas censées plaire à tout le monde. Tuer quelqu’un à cause de cela est inadmissible. »

« Wir schaffen das » : cinq ans déjà

Photo illustrative: Vito Manzari,  CC-BY-2.0

« Wir schaffen das. Nous y arriverons! ». Cinq ans se sont écoulés depuis le jour où la chancelière allemande Angela Merkel a prononcé cette phrase au sujet de l’intégration des réfugiés en Allemagne, une phrase devenue légendaire. Cet « anniversaire » a donné lieu à toutes sortes d’analyses dans la presse tchèque. « Cinq ans après l’ouverture critiquée de ses frontières et en dépit des problèmes, notre voisin allemand est plus fort qu’on ne le croit », estime le commentateur du site aktualne.cz qui indique :

« Il y a toujours pas mal de gens qui considèrent la décision de la chancelière allemande comme un crime, comme une violation des règles de l’Union européenne, voire comme une attaque contre les bases mêmes de l’Europe. On la rend également responsable des fortes tensions en lien avec les communautés d’immigrés et la montée de l’extrême droite. Certes, la cohabitation des réfugiés avec la population locale n’est pas toujours facile. Cela dit, les exemples d’une intégration heureuse sont nombreux, ce que tant des expériences concrètes que les données statistiques directes viennent prouver. L’Allemagne y est en effet arrivée ! »

Le commentateur du quotidien Deník a pour sa part rappelé que « la vague de migrants est devenue le sujet prédominant de la politique européenne et de la politique tchèque et ce en dépit du fait que chez nous il n’y avait aucun réfugié, à l’exception de quelques individus détenus dans des camps. » Il a également noté à ce propos :

« On dit que notre société est divisée. En ce qui concerne le refus des migrants, le public et les politiciens ont trouvé un rare consensus, quand bien même leur refus ait été différencié. Pourtant, contrairement aux prévisions alarmistes qui ont marqué le débat public, la vague migratoire n’a pas amené de catastrophe. L’Union européenne a fait une nouvelle fois la preuve de ce qu’en dépit de la crise permanente et des incertitudes, elle est, au fond, forte et bien organisée. Les pays développés ont réussi à se répartir les réfugiés et à les intégrer tant bien que mal dans la vie quotidienne. »

D’après le quotidien Deník, l’approche tchèque ne saurait être pourtant perçue comme entièrement cynique et égoïste. Il explique :

« Surveillant désormais mieux les frontières de l’Union européenne, les représentants européens ont été finalement contraints à satisfaire les exigences du public et des politiques tchèque. D’un autre côté, la variante zéro en matière de l’accueil des réfugiés doit être dénoncée. Les politiciens tchèques ne sont pas assez courageux pour défier l’opinion publique. On sait que la guerre en Syrie est la plus grande tragédie de ce siècle. Aider ses victimes est donc un devoir moral. La Tchéquie qui a également connu des exodes est appelée à en tenir compte. »

Les jeunes en marge de l’intérêt des représentants politiques tchèques?

Doit-on s’attendre à un conflit de générations ?, s’interroge l’éditorial du dernier numéro de l’hebdomadaire Respekt en replaçant la décision du gouvernement d’Andrej Babiš de verser aux personnes retraitées un supplément extraordinaire de 5 000 couronnes dans un plus large contexte. Il écrit :

« La controverse qui accompagne cette décision révèle un problème bien plus grave. Les personnes âgées constituent le groupe de la population sur lequel misent les partis au pouvoir (le mouvement ANO et le Parti social-démocrate). Tant leur politique que leur discours vont dans ce sens, comme si rien d’autre ne les intéressait. »

Le magazine constate qu’en Tchéquie, comme un peu partout dans le monde, la jeune génération qui s’inquiète pour son avenir manifeste un intérêt accru pour les problèmes clés de la société, parmi lequels ceux d’ordre climatique prédominent. « Les jeunes demeurent pourtant en marge de l’intérêt des politiciens », peut-on y lire notamment sous la plume de l’éditorialiste, qui ajoute :

« Le comportement et les démarches du gouvernement tchèque, parmi lesquelles se distingue également une récente modification du système fiscal qui se traduira par une importante baisse du budget de l’Etat au détriment de l’avenir économique ont de quoi augmenter le risque d’un grave conflit de générations. »