« Citizen Miko » : un camionneur tchèque au secours des enfants réfugiés des îles grecques

'More Miko'

Entre 2018 et 2020, le chauffeur de camion Jaroslav Miko a tenté d’organiser l’accueil en Tchéquie d’une cinquantaine d’enfants non accompagnés qui vivaient dans des camps de réfugiés en Grèce. Bien qu’infructueux, ses efforts sont au cœur d’un nouveau film documentaire actuellement à l’affiche dans les cinémas tchèques.

Chauffeur de camion qui, pendant plusieurs années, a sillonné l’Europe et le Proche-Orient, Jaroslav Miko est aussi un homme qui, en 2017, en plein cœur de la guerre civile en Syrie, a été bouleversé par les images de ces enfants morts victimes de l’attaque chimique perpétrée par le régime de Bachar el-Assad.

Photo illustrative: United Nations Photo,  Flickr,  CC BY-NC-ND 2.0

À l’époque, deux ans après la crise migratoire qui a divisé l’Europe, la République tchèque, qui rejette le mécanisme de répartition, reste un pays très peu disposé à accueillir des réfugiés. C’est pourtant dans ce contexte que Jaroslav Miko se met en tête de faire venir en Tchéquie quelques dizaines d’enfants non accompagnés, majoritairement syriens, qui vivent dans des camps de réfugiés en Grèce.

Il fonde l’initiative « Češi pomáhají » (Les Tchèques apportent leur aide) et trouve quelque 250 familles prêtes à accueillir ces jeunes migrants. Après avoir bénéficié dans un premier temps du soutien de la députée européenne Michaela Šojdrová, le projet est finalement rejeté, au début de l’année 2020, par le gouvernement d’Andrej Babiš.

'More Miko' | Photo: Silk Films

J’ai été doublement déçu

Intitulé « More Miko » (Le Citoyen Miko), le documentaire suit Jaroslav Miko pas à pas, alors qu’il rencontre les membres du gouvernement, les députés des parlements tchèque et européen. On le voit défendre son projet lors de la campagne qui précède les élections législatives en 2021, puis mener de nouvelles négociations infructueuses avec le nouveau gouvernement de Petr Fiala pourtant composé de partis libéraux et conservateurs qui avaient précédemment soutenu l’accueil de jeunes migrants par des familles tchèques.

C’est donc d’abord cette déception que Jaroslav Miko a fait partager à la sortie de la première du film consacré à sa vaine entreprise, comme il l’a confié à Radio Prague International :

'More Miko' | Photo: Artcam

« J’ai été doublement déçu. Après que mon projet n’a pas abouti la première fois, j’ai repris espoir avec le nouveau gouvernement. Mais nos efforts n’ont pas abouti avec lui non plus. Les ministres n’ont jamais dit clairement que le pays ne souhaitait pas prendre en charge ces enfants non accompagnés. L’affaire a de nouveau était politisée et personne n’a voulu prendre de décision et en endosser la responsabilité. Ce qu’il me reste de tout cela, c’est d’abord ce manque de courage chez nos dirigeants, une qualité qui est pourtant indispensable, selon moi, en politique. »

'More Miko' | Photo: Artcam

Les camps de réfugiés ne sont pas un supermarché

Durant les quatre années qu’a duré le tournage, le réalisateur Robin Kvapil a parcouru plus de 20 000 kilomètres. Il s’est rendu dans des camps roms en Slovaquie orientale, où Jaroslav Miko, lui aussi d’origine rom, achemine lui-même régulièrement une aide alimentaire. L’équipe du film s’est aussi déplacée sur l’île Lesbos, où des milliers d’enfants vivaient alors dans l’immense camp de réfugiés de Moria, parfois présenté comme une prison à ciel ouvert par certaines organisations comme Médecins sans frontières.

Jaroslav Miko explique :

'More Miko' | Photo: Silk Films

« L’objectif de l’initiative que j’ai lancée était d’accueillir en Tchéquie quelques dizaines de ces enfants, sans tenir compte de leur pays d’origine. Dès le début, pour simplifier les choses, les médias tchèques ont évoqué l’accueil de cinquante enfants syriens, mais en réalité, c’était plus compliqué que cela. Le gouvernement tchèque réclamait une liste d’enfants concrets, ce qui est impossible du point de vue du droit international. Finalement, pour prouver que ces enfants existaient bien et qu’ils avaient besoin d’aide, nous avons quand même soumis au ministre de l’Intérieur de l’époque, le social-démocrate Jan Hamáček, une sorte de liste modèle de mineurs vivant dans un camp en Grèce. Ces filles et garçons étaient originaires de différents pays, de Syrie mais aussi du Congo, de Palestine ou d’Afghanistan. »

'More Miko' | Photo: Artcam

« Cela n’a pas eu l’effet escompté : le ministre a répondu que la Tchéquie ne pouvait justement pas accueillir les enfants de tous ces pays. Ce qu’il voulait, c’était sélectionner les enfants. Il fallait que ce soient des petits Syriens de moins de 10 ans, des filles de préférence. Cette demande était bien évidemment inacceptable aux yeux de la Grèce, qui a donc bloqué les négociations. Les autorités grecques nous ont fait même remarquer que les camps de réfugiés ne sont pas un supermarché où l’on peut choisir les enfants que l’on veut… »

Robin Kvapil et Jaroslav Miko | Photo: Artcam

Jaroslav Miko a lui-même vécu l’expérience d’un ancien migrant au Canada. Dans le documentaire, son combat politique se mêle à son histoire personnelle, marquée par une adolescence difficile et un séjour en prison. Robin Kvapil raconte la genèse du film :

'More Miko' | Photo: Artcam

« J’ai découvert Jaroslav Miko lorsque cette affaire des enfants migrants était à la une des médias tchèques. J’ai lu un article sur son initiative. Immédiatement, je me suis dit que si un film était tourné sur cette histoire honteuse, Jaroslav en serait un narrateur parfait. Ce n’est pas un intellectuel qui se soucie du sort d’enfants en détresse à la place de l’État, mais un homme du peuple, un chauffeur de camion qui représente lui-même une minorité. Son profil est donc intéressant et donne une autre dimension encore à l’histoire. »

« Je n’avais pas prévu un tournage aussi long, surtout parce que cela coûte cher. Mais la pandémie de Covid-19 a ralenti notre travail et, finalement, nous a rendu un bon service. Nous avons été confrontés à des événements imprévisibles, dont le conflit en Ukraine. Tout cela a enrichi notre film. Le sujet est resté le même, mais l’actualité nous a permis de l’examiner sous différents angles. »

'More Miko' | Photo: Artcam

Après la crise migratoire, la guerre en Ukraine

Dès le début de l’invasion russe, Jaroslav Miko a effectué des allers-retours jusqu’à la frontière ukrainienne pour prendre en charge des femmes roms qui, elles aussi, fuyaient la guerre avec leurs enfants. Mal accueillis, à la différence des centaines de milliers d’autres réfugiés ukrainiens, ces Roms d’Ukraine ont, depuis, pour la majorité d’entre eux, quitté la Tchéquie et sont partis s’installer en Europe occidentale. Jaroslav Miko :

'More Miko' | Photo: Silk Films

« En collaboration avec diverses ONG en Europe, nous avons pu envoyer ces Roms qui n’étaient pas les bienvenus en Tchéquie vers d’autres pays. En février, mes amis et moi avons fourni une aide humanitaire à des Roms qui vivent dans l’ouest de l’Ukraine. Cela nous a permis de voir à quel point les familles étaient séparées. Les hommes sont restés en Ukraine. La plupart d’entre eux n’ont pas accès à Internet et n’entretiennent donc aucun contact avec leurs femmes et enfants. »

« Les Tchèques n’ont pas encore appris à vivre avec différentes minorités ethniques au sein d’une même société. Chaque différence leur pose problème. Evidemment, j’aimerais que des enfants migrants sans leurs parents puissent enfin être accueillis en Tchéquie. Je ne désespère pas que le gouvernement mette en œuvre mon projet. Mais, surtout après avoir vu comment les Roms d’Ukraine étaient traités ici, je me dis parfois qu’il serait peut-être préférable que ces enfants vivent dans un autre pays, en France, en Espagne ou au Portugal par exemple. Je pense qu’ils s’y sentiraient mieux. »

'More Miko' | Photo: Artcam

D’autres initiatives ont vu le jour en Tchéquie pour aider, à la place des autorités, les orphelins vivant dans les camps grecs. Selon Jaroslav Miko, 144 enfants migrants bénéficient d’un soutien financier de longue durée de Tchèques. Toutefois, selon le réalisateur Robin Kvapil, « More Miko » reste un témoignage poignant sur l’état actuel de la société tchèque :

'More Miko' | Photo: Artcam

« C’est un peu stupide de dire cela puisque c’est un documentaire que j’ai moi-même réalisé, mais à chaque fois que je le vois, j’en ai les larmes aux yeux. Le fait que mon pays ne puisse pas ou plutôt refuse d’aider cinquante enfants orphelins et que cette affaire soit tellement politisée, m’attriste profondément. Cette histoire a considérablement entaché l’image des Tchèques et j’espère que cette erreur pourra encore être réparée. »

Le film « More Miko » (Citizen Miko) est disponible sur la plateforme Dafilms.cz.