Ladislav Fuks, un romancier entre l’angoisse et le grotesque

« Si quelqu’un lit mes livres dans cent ans, il ne s’intéressera pas à ma personne. S’il s’intéresse quand même, qu’il me recrée à partir de ce qu’il a lu. » Ces paroles de Ladislav Fuks (1923-1994) expriment très bien l’attitude de ce romancier qui se réfugiait et se cachait dans son œuvre. Cent ans après sa naissance, le Musée de la littérature de Prague présente une exposition dans laquelle il essaie de recréer quand même l’image de cet homme secret. 

Un auteur travesti en ses personnages

Photo: Václav Richter,  Radio Prague Int.

La majeure partie de l’œuvre littéraire de Ladislav Fuks s’inspire de sa vie. Pourtant le lecteur de ses romans n’apprend pratiquement rien de concret de sa biographie car l’auteur sait très bien se travestir en ses personnages.  L’atmosphère oppressante et angoissante dans laquelle baignent ses meilleurs romans, reflète sans doute aussi l’état d’esprit de cet homme qui pendant une grande partie de sa vie a dû cacher son homosexualité. C’est la littérature qui lui a permis d’exprimer de façon allégorique et peut-être de mieux supporter ce qu’il considérait comme inavouable. La littérature était donc pour lui, entre autres, un moyen pour faire fructifier les traumatismes de sa vie. La conservatrice du Musée de la littérature Michaela Kuthanová présente les principaux aspects de l’exposition qui porte le titre Protisvěty Ladislava Fukse - Les anti-mondes de Ladislav Fuks :

Michaela Kuthanová | Photo: Kateřina Ayzpurvit,  Radio Prague Int.

« Nous exposons des fac-similés mais nous avons cherché à les réaliser de telle sorte que soit minimisée au maximum la différence entre la copie et l’original afin de permettre aux lecteurs d’apprécier leur contenu. Parmi les objets exposés il y a par exemple l’acte de naissance de Ladislav Fuks, un de ses bulletins scolaires ou son attestation de première communion. Nous présentons aux visiteurs aussi toute une série de manuscrits et de documents qu’il utilisait comme matériel pour ses œuvres en prose. »

Fils d’un père dominateur

Les parents de l'écrivain  | Photo: Václav Richter,  Radio Prague Int.

De nombreuse photos et d’autres documents évoquent l’enfance et la jeunesse du futur romancier. Enfant il ne trouve pas de compréhension ni chez sa mère, ni chez son père qui est un ancien militaire. Ce père froid, austère et dominateur servira de modèle plus tard pour les personnages des romans La romance pour une corde sombre et Histoire du conseiller de la chambre criminelle.

Ladislav Fuks | Photo: Václav Richter,  Radio Prague Int.

Les cinq volets d’une exposition

Photo: Václav Richter,  Radio Prague Int.

L’exposition au pavillon de Hvězda se divise en cinq parties. Michaela Kuthanová explique que cette présentation reflète cinq thèmes majeurs de l’œuvre de Ladislav Fuks :

« Nous avons choisi cinq thèmes qui sont typiques pour les textes de Ladislav Fuks et se répercutent dans ses livres. Le premier de ces thèmes est la judaïté que nous avons abondamment illustrée par les citations du roman Monsieur Théodore Mundstock, le premier roman de Ladislav Fuks. »

'Monsieur Mundstock' | Photo: Československý spisovatel

En effet, sans être juif, Ladislav Fuks sait évoquer avec beaucoup de compréhension et d’une façon poignante l’état d’esprit des juifs confrontés à la haine raciale. En tant que garçon qui vit dans une société homophobe et se voit obligé de cacher son homosexualité, il est très sensible au sort de ceux qui, d’un jour à l’autre, perdent tous leurs droits et même le droit de vivre. Il crée donc entre autres le célèbre personnage de Théodore Mundstock, un juif qui attend sa déportation et qui cherche une issue dans une situation sans issue. Le lien profond du romancier avec cette communauté proscrite se reflète aussi dans le livre de contes intitulé Mes frères aux cheveux noirs qui raconte les amitiés d’un garçon qui perd ses amis, victimes de l’Holocauste.

Un sens de l’humour grotesque

Ladislav Fuks dans son apartement  | Photo: Václav Richter,  Radio Prague Int.

Michaela Kuthanová rappelle cependant que Ladislav Fuks n’est pas qu’un écrivain de l’angoisse et qu’un des aspects importants de ses œuvres est une espèce assez spéciale d’humour. Evidemment, il s’agit souvent de l’humour noir :

« Le deuxième thème figure dans notre exposition sous le titre Les visages du mal et le troisième thème réunit les élément grotesques dans l’œuvre de Ladislav Fuks. Nous l’avons intitulé Les souris et les cobayes. Beaucoup de lecteurs perçoivent Ladislav Fuks comme l’auteur d’une imagination morbide, moi je le considère par contre comme un des auteurs les plus marrants et drôles de la littérature tchèque. »

Photo: Václav Richter,  Radio Prague Int.

L’humour dans l’œuvre de Ladislav Fuks est illustré dans l’exposition par les citations de son roman Les souris de Nathalie Mooshaber. Déjà l’héroïne de ce livre est un personnage bizarre et grotesque, une femme dont les propos sont pleins d’absurdités ridicules, d’une naïveté désarmante mais aussi d’une certaine sagesse difficile à définir. Cet humour grotesque s’infiltre dans une mesure plus ou moins grande dans la majorité des textes de Ladislav Fuks et fait contrepoids à leur caractère sombre et parfois lugubre.

Le cabinet de curiosités

Le sens de l’humour permettait sans doute à Ladislav Fuks de surmonter les étapes difficiles de son existence qui, selon Michaela Kuthanová, sont évoquées dans la partie suivante de l’exposition :

« La quatrième partie de l’exposition évoque le thème que nous avons intitulé Les cordes sombres et illustre l’attitude de Ladislav Fuks vis-à-vis de l’autorité paternelle et vis-à-vis des régimes politiques. La cinquième partie que nous avons appelée Le monde comme un musée nous amène dans le refuge de Ladislav Fuks qu’était son fameux appartement de Prague-Dejvice où il a écrit la majorité de ses romans. Les aménagements intérieurs de cet appartement ont été inspirés par le cabinet de curiosités du prince Metternich. »

Ladislav Fuks dans son apartement  | Photo: Václav Richter,  Radio Prague Int.

Toute une série de photos montre cet appartement où l’écrivain a rassemblé dans un espace restreint une immense quantité d’objets disparates qui forment quand même un ensemble curieux, spectaculaire et surréaliste. C’est ce cabinet de curiosités que ses amis sarcastiques surnommaient « le mausolée de Ladislav Fuks » qui était le cadre propice à sa création littéraire.

Des plans détaillés

Bohumil Hrabal,  Ladislav Fuks et Vladimír Páral | Photo: Václav Richter,  Radio Prague Int.

Le romancier construisait ses œuvres avec une précision d’orfèvre et selon des plans détaillés. Michaela Kuthanová constate que c’était une méthode compliquée mais nécessaire :

« Certains de ses textes sont structurés d’une façon tellement complexe et raffinée que, sans ses plans, l’auteur, selon ses propres dires, n’aurait pas été capable de composer ses romans. Il a élaboré un plan de ce genre aussi pour son roman policier et psychologique Histoire du conseiller de la chambre criminelle. »

Un jeu de miroirs

L’exposition se termine par une installation composée de plusieurs miroirs car le thème du miroir est évoqué et exploité par l’écrivain de la façon la plus profonde et la plus large dans son dernier roman La duchesse et la cuisinière, une vaste fresque historique qui se retourne avec nostalgie sur le déclin de la Monarchie austro-hongroise. Même les mémoires de Ladislav Fuks sont intitulés Mon miroir. Il les a écrits vers la fin de sa vie mais ils n’ont été publiés qu’en 1995, une année après sa mort. Dans ce livre il raconte d’innombrables petits épisodes de son itinéraire sans révéler tout ce qui était vraiment important dans sa vie. Une fois de plus, il nous fait un clin d’œil et se cache derrière son œuvre.

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