L'an 65 après le protectorat de Bohême-Moravie : histoire d'un statut apart
Le 15 mars 1939 est une date bien sombre dans l'histoire de la Tchécoslovaquie. Il y a 65 ans, les troupes allemandes entraient, en effet, dans Prague, transformant la République tchécoslovaque en " Protectorat de Bohême-Moravie ". Ce statut, unique en Europe, place, dès le départ, le pays dans une situation originale. Ni pays occupé (officiellement du moins ! ), ni pays allié, la Bohême-Moravie est en fait destinée à être incorporée au Reich. La raison de cette politique ? L'infrastructure industrielle et le potentiel économique des terres tchèques. Les Allemands assignent logiquement au pays une fonction de centre de production. Ce rôle vaudra aux terres tchèques d'échapper au sort de la Pologne et de la Russie.
Ce statut bien à part vaudra aux terres tchèques d'échapper au triste sort de ses voisins polonais, ukrainiens ou russes. Si Varsovie est ramenée, en 1945, à l'année zéro, Prague n'aura quasiment pas souffert des destructions. A terme, Hitler compte germaniser 60 à 70 % de la population tchèque. Le pays est destiné à se dissoudre dans le Reich.
La raison principale de ce statut particulier tient moins aux liens historiques entre Allemands et Tchèques qu'au potentiel industriel et économique du pays. De grand centre de production d'armements dès 1940, le Protectorat devient, à partir de 1943, la base de l'effort de guerre allemand. En 1943, l'énorme entreprise Reichswerk Hermann Göring s'empare de 80 entreprises tchèques, des aciéries ou encore des sociétés de constructions de machine comme Skoda. La priorité de l'industrie de guerre oblige Hitler à mettre de côté son projet de germanisation du pays.
Dans ce contexte, les nazis décident de ménager les Tchèques. L'enjeu premier de cette politique est la main-d'oeuvre ouvrière. En 1942, Hitler déclarait à Heydrich, chef du Protectorat, qu'il fallait bien traiter les ouvriers et leur accorder double ration alimentaire. La propagande communiste affirmera, après la guerre, que les ouvriers avaient été les principaux résistants tandis que les collaborateurs se recrutaient dans les classes bourgeoises. Ce fut exactement le contraire ! Si les Allemands se devaient, pour des raisons stratégiques, de ménager les Tchèques, la moindre résistance à l'intérieur était réprimée sans pitié.
La résistance tchèque est surtout le fait d'officiers et de pilotes opérant avec brio depuis Londres. C'est aussi de Londres que sont parachutés les deux commandos qui suppriment le chef du Protectorat, Reinhard Heydrich, le 27 mai 1942. La répression est terrible: les villages de Lidice et de Lezaky sont rasés. Les hommes sont fusillés, les femmes et les enfants déportés. Dès son investiture en septembre 1941, Heydrich avait fait exécuter le 1er ministre du protectorat, le général Alois Elias qui, en réalité, maintenait le contact avec Londres et protégeait la résistance intérieure. Le pays est étroitement surveillé et il faut attendre mai 1945 pour que les Pragois prennent les armes.
Outre les aciéries, les Allemands contrôlent une autre industrie, non moins stratégique: celle du cinéma. La capacité des studios de Babelsberg étant insuffisante pour faire face aux demandes du public, les producteurs allemands se tournent vers Prague, où ils peuvent disposer d'installations et d'une main-d'oeuvre de qualité. En novembre 1941, ils créent la société Pragfilm, dépendante du konzern berlinois UFA. Otakar Vavra, metteur en scène au service des Allemands, deviendra, après 1945, cinéaste officiel du régime communiste.
Dans le domaine du cinéma et de la propagande, là encore, Hitler fait tout pour atténuer les susceptibilités tchèques. Ainsi, en 1942, le film du cinéaste antisémite Veit Harlan, La Ville dorée, est interdit de diffusion dans les salles pragoises. Violemment anti-tchèque, le film aurait pu provoquer l'hostilité de la population.
La situation des juifs est emblématique du double visage de l'occupation allemande en Bohême. Durant les premières années de l'occupation, les Allemands tentent de faire croire à une situation privilégiée des juifs tchèques. Emblématique est la visite effectuée dans le camp de Terezin par une équipe de la Croix-Rouge en 1942. Les nazis maquillent ce camp barbare en un centre de travail dans lequel les conditions de vie sont presque enviables. Camp de transition vers Auschwitz, Terezin verra, à partir de 1943, nombre de ses détenus périr du typhus. Ce sera, entre autres, le cas de Robert Desnos, ancien membre du groupe surréaliste d'André Breton. Lame à double tranchant à Prague aussi. Les monuments du quartier juif ne sont pas détruits et les exécutions publiques sont proscrites. Mais, dans les faits, les juifs sont promis au destin commun. Sur 135 000 juifs tchèques, 77 279 périront dans les camps.
Si le statut du Protectorat plaçait les pays tchèques dans une situation originale, l'attitude générale de la population aura été à peu près identique à celle des autres pays occupés. L'attentisme a dominé, avec une minorité de collaborateurs et une minorité, croissante avec le temps, de résistants. Dans la nuit du 5 au 6 mai 1945, 1600 barricades s'élèvent dans Prague. Les insurgés s'emparent de la radio. Mal armés, ils livrent de durs combats de rues contre les troupes allemandes, fortes de 40 000 hommes. La garnison allemande capitule le 8 mai, soit un jour avant l'arrivée des Soviétiques. Sur ce point encore, la propagande communiste devait déformer la réalité...