La Tchécoslovaquie restera à l'Ouest

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Il y a 66 ans, le 15 septembre 1939, naissait le Protectorat de Bohême-Moravie. Au-delà de l'occupation allemande, cette date inaugure une période de totalitarisme qui ne finira qu'en 1989. Exception faite de trois années décisives, entre 1945 et 1948. Or, en y revenant, un constat s'impose : la Tchécoslovaquie ne devait pas faire partie de la sphère d'influence soviétique. Bien sûr, l'ouverture des archives soviétiques de l'époque permettra de répondre avec certitude à cette question mais de nombreux historiens penchent en ce sens.

Liberation
Si la rupture officielle entre les mondes occidentaux et communistes a lieu en 1947, c'est bien le coup de Prague, en février 1948, qui en marque le premier acte concret. Car la Tchécoslovaquie est sans doute le seul pays du bloc qui n'était pas censée y entrer.

Dès 1941 et l'invasion allemande, Staline songe à se construire un glacis défensif après la guerre, avec les territoires perdus après l'invasion allemande. Il pense surtout aux trois pays baltes, à la Bukovine en Roumanie et à une partie de l'est polonais. Il obtient gain de cause en 1943 à la conférence de Téhéran, à laquelle il participe aux côtés de Roosevelt et de Churchill pour préparer l'après-guerre. Précisons qu'il s'agit d'abord, chez Staline, d'une démarche défensive plus que d'une intention préméditée d'impérialisme.

Staline
Plus les Anglo-Saxons tardent à ouvrir un second front en France, plus l'URSS se retrouve en position de force en Europe. En 1944, le rouleau compresseur russe atteint l'Ukraine, la Biélorussie et la Pologne jusqu'à la Vistule. Dos au mur, Churchill, qui craint pour ses zones d'influence en Europe centrale et orientale, passe, en octobre, les célèbres accords des pourcentages avec Staline. Non officiels, ces accords, qui n'en sont pas, prévoient une influence soviétique à 90 % en Roumanie, à 75 % en Bulgarie et à 80 % en Hongrie. Possédant une toute petite bande de frontière avec l'URSS, la Tchécoslovaquie n'est pas un enjeu vital pour la sécurité russe. Elle n'est même pas mentionnée dans les accords.

La libéralisation du pays explique sa spécificité par rapport à ses voisins. Lorsque les Soviétiques pénètrent en Slovaquie en 1944, ils ne la considèrent pas comme un satellite de l'Axe mais comme une partie intégrante de la Tchécoslovaquie. Staline établit une alliance avec Benes et ne compte pas mettre en place d'autorité concurrente, comme en Pologne. Clé de voûte du dispositif sécuritaire russe, la Pologne est bien la priorité absolue pour Moscou. La conférence de Yalta, qui réunit Américains, Russes et Anglais trois mois avant la victoire, l'illustre bien. Déterminé, Staline obtient la formation d'un gouvernement en majorité communiste en Pologne. Contrairement à un mythe répandu par un général de Gaulle frustré de ne pas avoir été invité, la conférence de Yalta n'a pas consacré la division de l'Europe en zones d'influences. Au contraire, elle a tout fait pour l'éviter. Et si l'URSS remporte une grande victoire diplomatique, Roosevelt obtient en contrepartie sa signature de la "Déclaration sur l'Europe Libérée".

En juin 1945, se réunissent, à San Francisco, les futures Nations-Unies, au nombre de 50. Parmi les pays d'Europe centrale et orientale, la Tchécoslovaquie est le seul qui incarne réellement l'esprit de Yalta : le récent programme de Kosice proclame l'unité des forces démocratiques, y compris les communistes, derrière le président Benes. Si, en Tchécoslovaquie et en Autriche, l'esprit de Yalta est donc respecté par les Russes, il n'en est pas de même en Roumanie, en Bulgarie ou en Pologne.

Staline et Gottwald
Staline se trouve face à un cruel dilemne. Dans les pays limitrophes à l'URSS et convoités, les partis communistes sont très faibles. Au contraire, en France, en Italie et en Tchécoslovaquie, le PC représente une force électorale de première importance et Staline n'hésite pas à modérer ses ardeurs. On peut penser que, jusqu'au coup de Prague en 1948, il ne pense pas vraiment à intégrer la Tchécoslovaquie dans la sphère d'influence soviétique. Bien sûr, quand l'occasion se présentera, il la saisira. Novembre 1945 et mai 1946 voient des élections libres se tenir en Tchécoslovaquie : les communistes s'imposent avec 38 % des voix. Mais le refus d'accepter l'aide économique américaine dans le cadre du Plan Marshall choque la population et les élections prévues pour 1948 annoncent un net déclin du vote rouge. C'est à ce moment-là que les communistes tchèques décident, avec l'aval de Moscou, de passer à l'action et de tenter un putsch.

Comment comprendre que la Tchécoslovaquie tombe d'elle-même dans la corbeille soviétique ? Il y bien sûr les erreurs tactiques de Benes, qui pense pouvoir faire le lien entre les Etats-Unis et l'URSS. Et puis il y a le directoire des Grands, qui semblent se résigner, à partir de 1947, à la division du monde et de l'Europe en zones antagonistes. Triste ironie de l'histoire pour un pays qui aurait pu prétendre, après-guerre, à un rôle équivalent à celui de la France. Rappelons que les unités tchécoslovaques exilées se sont illustrées avec brio dans les campagnes de France et d'Angleterre. Plus de 170 pilotes, marins et mécaniciens servent dans l'armée française en 1940. Quant aux aviateurs tchécoslovaques enrôlés dans l'armée britannique, ils détruisirent environ 200 appareils ennemis en 1941-42.

En 1948, Staline décroche le gros lot. La Tchécoslovaquie est pratiquement épargnée par les destructions de la guerre. Bien plus, c'est le seul pays en Europe à avoir développé sa puissance industrielle. Un cadeau que le maître du Kremlin avait à peine souhaité...