Condamnée en Russie, la journaliste Alsu Kurmasheva est soutenue par la diplomatie tchèque et l’organisation RSF
Le tribunal de Kazan, situé au Tatarstan, en Russie centrale, a annoncé lundi avoir condamné le 19 juillet la journaliste russo-américaine Alsu Kurmasheva à six ans et demi de prison, lors d’un procès à huis clos. Employée par Radio Free Europe et basée d’ordinaire à Prague avec sa famille, Alsu Kurmasheva a été reconnue coupable de « diffusion de fausses informations sur l’armée russe en Ukraine », une accusation devenue classique dans les procès politiques en Russie.
Sur la dernière photo de l’agence AP datant d’une audition du 31 mai, Alsu Kurmasheva apparaît les traits tirés. Il y avait de quoi : interrogée à l’époque dans le box vitré du tribunal de Kazan réservé aux inculpés, elle décrivait ses conditions de détention provisoire dans une prison russe en ces termes :
« Ils me gardent dans une cellule de cinq mètres carrés pour deux personnes. Il n’y a pas d’eau chaude. Au lieu de toilettes, il y a un trou dans le sol. Il n’y a même pas un demi-mètre d'espace libre pour marcher. Il n’y a que deux lits et une étagère au mur et pas de table. Les murs sont délavés. Apparemment, la pièce n’a pas été rénovée au cours des cinquante dernières années. »
Vendredi dernier, Alsu Kurmasheva a été condamnée à six ans et demi de prison, au terme d’un procès qui s’apparente à une « parodie de justice » selon le ministère tchèque des Affaires étrangères, et de plus de neuf mois de détention provisoire. Agée de 47 ans, la journaliste qui a la double nationalité russe et américaine, travaille depuis la fin des années 1990 pour le service tataro-bachkir de Radio Free Europe/Radio Liberty, média américain basé à Prague, une ville où elle vivait avec sa famille, jusqu’à son interpellation en Russie le 2 juin 2023 pour ne pas avoir enregistré son passeport américain auprès des autorités russes. Malgré les risques accrus pour les journalistes depuis le début de la guerre en Ukraine, Alsu Kurmasheva s’était rendue à Kazan pour des raisons personnelles, afin de porter assistance à sa mère malade. S’étant vue confisquer ses papiers d’identité, elle avait plus tard été arrêtée et placée en détention provisoire indéfiniment renouvelée, pour ne pas avoir fourni les documents nécessaires à son inscription au registre des « agents étrangers », en vertu d’une loi qui permet de classer tout média international ou russe, mais avec des actionnaires étrangers, sous cette étiquette.
Depuis Paris, l’organisation de défense des journalistes Reporters sans frontières fait campagne depuis plusieurs mois pour la libération d’Alsu Kurmasheva, tout comme celle d’un autre journaliste américain, Evan Gershkovich, condamné, lui, à 16 ans de prison, le 19 juillet également. Jeanne Cavelier est responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale chez RSF :
« Pour RSF, la condamnation d’Alsu Kurmasheva est inouïe puisqu’elle a été condamnée dans le plus grand secret par une cour à Kazan qui est clairement aux ordres du Kremlin. On a appris lundi sa condamnation à six ans et demi de prison, prétendument pour avoir diffusé de fausses informations sur l’armée, mais sans aucune preuve et dans un procès mené dans le plus grand secret et de façon expéditive. RSF s’indigne de cette condamnation inique, infondée, et qui vise surtout à dissuader les journalistes de se rendre en Russie et à faire pression sur les Etats-Unis. Car Alsu est la deuxième otage journaliste russo-américaine à être emprisonnée en Russie. »
Que peut être le rôle de RSF dans les mois à venir pour aider Alsu Kurmasheva ?
« RSF a lancé une pétition : on demande aux Etats-Unis de déclarer la journaliste comme injustement détenue. Cela permettrait de mobiliser toutes les ressources du gouvernement américain pour obtenir sa libération. Nous espérons qu’il y aura bientôt un échange de prisonniers dans lequel Eva Gershkovich et Alsu Kurmasheva vont pouvoir être libérés et retourner aux Etats-Unis et à Prague. »
Puisque vous mentionnez Prague, il faut noter qu’Alsu Kurmasheva a reçu le soutien explicite de la diplomatie tchèque. Il y a quelques mois, dans un entretien pour la Radio tchèque, son mari Pavel Butorin racontait que des représentants de l’ambassade tchèque à Moscou avaient pu lui rendre visite en détention. Est-ce important ce soutien officiel, institutionnel ? En quoi cela peut-il l’aider ?
« Alsu Kurmasheva n’a pas pu parler à son mari ou à ses filles depuis plus de neuf mois. Malgré les demandes répétées du gouvernement américain, elle s’est vue refuser l’accès aux services consulaires, alors que c’est son droit en tant que citoyenne américaine. Tout soutien diplomatique de la part de la République tchèque ou d’autres Etats est évidemment le bienvenu. Plus on aura de pression diplomatique sur les autorités russes, plus son cas sera pris en compte pour un échange de prisonniers. Parce qu’à ce jour, on la considère comme un otage institutionnel. Elle est otage dans la mesure où la Russie tente, par ce moyen-là, d’obtenir quelque chose de la part des Etats-Unis, de faire pression sur Washington. »
Il y a quelques mois, depuis le box des accusés au tribunal de Kazan, Alsu Kurmasheva avait parlé de ses conditions de détention, mais aussi du fait qu’elle avait des problèmes de santé. Est-ce que vous savez si elle a accès à des soins médicaux aujourd’hui ?
« Alsu n’a toujours pas accès à des check-ups réguliers pour ses problèmes de santé qui existaient avant sa détention et qui ont sans doute empiré depuis. Elle n’a pas accès non plus le droit à une visite consulaire américaine ni à des appels téléphoniques avec sa famille. »