Laurent Charbonnier : « J’espère que si les gens voient de belles images, ils sauront regarder la nature différemment et la protéger »
Le festival du film français a commencé jeudi dernier. Parmi les films présentés à cette 11e édition, Les animaux amoureux, un documentaire animalier réalisé par Laurent Charbonnier, qui se passionne pour ce genre depuis plus de trente ans. On l’a vu au travail également sur des longs métrages à succès comme Le peuple migrateur de Jacques Perrin, par exemple. Dans le film de Laurent Charbonnier, les animaux se cherchent, se séduisent, se bécottent, se rejettent, se battent, se frottent et s’entrelacent... Des images somptueuses qu’il est allé glâner aux quatres coins de la planète. Il était à Prague pour évoquer son premier long-métrage personnel et son travail.
Première question qui vient à l’esprit en voyant le titre de votre film, Les animaux amoureux : les animaux peuvent-ils être amoureux et n’est-ce pas plutôt un sentiment humain ?
« C’est vrai qu’il y a un seul moment où on fait un peu d’anthropomorphisme dans le film, c’est en lisant le titre. S’il y a ce côté anthropomorphique, il n’est pas du tout dans le film. Dans mes documentaires - j’ai réalisé une quarantaine d de documentaires pour la télé depuis trente ans – je ne suis jamais tombé dans le côté anthropomorphique. Je n’ai jamais fait de documentaire où je donnais de nom à un animal. Ce qui fait que pour ce film j’ai voulu continuer dans cette direction. C’est vrai que ce long métrage est plutôt un spectacle étonnant sur la nature où on a privilégié la qualité de l’image et du son, avec la musique de Philip Glass mais aussi avec du son naturel. Le titre ‘Les animaux amoureux’ était depuis le début notre titre de travail mais il est devenu le titre définitif un peu par hasard. Je pense que personne dans l’équipe, que ce soit le producteur, le distributeur ou moi-même le réalisateur, n’avait trouvé mieux. On a gardé ce titre, qui à mon avis, n’est pas le plus heureux car il donne un côté anthropomorphique.
Pour revenir à votre question : quand on voit ce lion qui a beaucoup de mal à séduire cette lionne, ou la femelle orang-outan qui prend la tête du mâle pour lui faire un bisou, on peut se poser des questions. Et on peut se demander aussi de temps en temps, quand on voit les danses absolument incroyables de certains oiseaux, comment ils ont pu inventer des choses aussi sophistiquées pour séduire et se reproduire. Mais je ne pense pas qu’on puisse dire que les animaux ont de l’affectif. Dire que les animaux sont amoureux, au fond de moi je n’y crois pas. Quand on voit le cerf et la biche, on sait que la biche est en chaleur pendant 24-36 heures, qu’elle ne s’accouple qu’à ce moment-là, et qu’il n’y a pas de comportement sexuel en-dehors de cette période-là, c’est vraiment pour qu’il y ait un petit faon qui naisse et la vie recommence l’année suivante. »C’est un tournage qui a duré assez longtemps, environ deux ans. Comment prépare-t-on un long-métrage, un documentaire animalier et est-ce qu’il y a une place pour l’imprévu ?
« Il y a peu de place pour l’imprévu puisque tout est relativement calé et organisé, on ne peut pas travailler deux années pour le tournage. Il y a eu bien sûr une année de préparation pour le choix des espèces, des lieux. Pour chaque pays, on avait décidé de filmer une espèce principale, une espèce secondaire et quelques figurants. On a tout organisé de cette façon-là. Les deux années de tournage se sont bien passées, on pas eu de problème. Il y a des réalisateurs qui vous racontent souvent que ça a été la catastrophe, qu’ils ont failli se faire manger par des grizzlis trois fois. Pour notre film il ne s’est rien passé de tout ça. On n’est même pas tombé d’un échaffaudage ou d’une tour de 20m de haut au Costa Rica ou ailleurs, pourtant on était souvent dans des situations pas banales. J’ai fait la plupart des images de mon film, j’adore cadrer et filmer, et j’avais un peu l’impression d’être une machine à ramener des images. On arrivait du Costa Rica, on repartait aux Etats-Unis... c’était formidable mais ça a été un enchaînement de tournages, de lieux, pour aller chercher des comportements très particuliers. Quand vous allez au fin fond de la Guinée Papouasie pour filmer tel oiseau qui fait tel comportement c’est pas simple. Il a fallu une grosse préparation, notamment avec des scientifiques dans le monde entier, pour être au moment prévu avec l’animal pour le filmer. Deux années, vous dites que c’est long, mais j’ai trouvé ça très court pour faire un film sur ce thème... »C’est un travail de patience... Vous êtes un peu dans le rôle du chasseur à l’affût, mais du chasseur d’images pour le coup...
« C’est un travail de patience oui et non. D’une part, parce que les gens passent huit heures par jour ou plus à travailler donc pour moi c’est un travail également. Vous êtes dans un mirador de 15m de haut en Australie dans une forêt assez dense où vous avez le paradisier de Victoria qui est censé faire sa danse à 7-8m devant vous sur une malformation d’un arbre où il vient se percher très souvent. Vous êtes la haut pendant une journée, il ne se passe rien, une deuxième et une troisième et toujours rien, et qu’il se met à danser le quatrième jour, vous vous dites que c’est formidable et que vous avez bien fait de venir. Mais quand vous êtes à la fin du troisième jour, vous vous dites que vous avez traversé la planète pour filmer un oiseau, qu’il est pas venu pendant trois jours et pourquoi viendrait-il alors demain ? Vous avez de grands moments d’inquiétude. Pendant ce temps-là, vous avez votre équipe en bas qui attend, le producteur à Paris qui compte ses sous... Il y a des moments où il faut être patient et persévérant mais à chaque fin de journée où je n’ai pas pu filmer une scène, je me dis que si on ne l’a pas fait aujourd’hui, on le fera demain. Il n’y a que comme ça que ça peut marcher. Sinon vous ne pouvez pas faire ce métier. C’est très compliqué de filmer la nature et les animaux : il faut être à la fois être très près de l’animal, attendre qu’il fasse un comportement intéressant, et il faut espérer que quand il est près et fait son comportement intéressant, il y ait en plus une très belle lumière. C’est un ensemble de choses très difficile à obtenir. Pour faire un beau film avec 500-600 plans, c’est un travail énorme. »On a l’impression que ces dernières années le documentaire animalier semble acquérir ses lettres de noblesse au cinéma. Comment expliquez-vous cet intérêt sinon soudain, du moins récent, pour le documentaire animalier en salle ?
« Il n’est pas si soudain que cela puisque Cousteau a eu la Palme d’Or avec Le monde du silence en 1959. Il y a eu de grands films comme Le territoire des autres en 1970, en 1976, François Bel et Gérard Vienne ont refait un autre film, La griffe et la dent. Ensuite Jacques Perrin a demandé à Gérard Vienne de faire un film sur les singes : Peuple singe. Il y a eu bien sûr Microcosmos, le peuple de l’herbe, qui est connu. C’est vrai qu’assez soudainement, ces dernières années, des producteurs s’y sont intéressés parce qu’ils se sont rendu compte que ça pouvait rapporter beaucoup d’argent. Il faut faire la différence entre les producteurs passionnés par le sujet, la défense de l’environnement et ceux qui font ça par opportunisme. Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui veulent voir la nature sur grand écran. Mais je pense qu’il n’y a pas tant que ça de films sur la nature au cinéma. Il y en a un ou deux par an, qui fonctionnent. »
Vous parliez d’environnement, est-ce que ces films ont un impact sur les gens ? Est-ce qu’ils font œuvre pédagogique ?
« J’ai commencé à filmer il y a trente ans parce que j’étais sidéré de voir que même les gens qui vivent à la campagne ne savaient pas ce qui vivait dans la mare d’à côté, dans l’étang, dans la forêt toute proche, ou même dans la haie de leur jardin. J’ai commencé à faire des films sur la nature toute proche. Le premier film que j’ai réalisé à 22 ans a été acheté par Tf1, je me suis dit : si je peux continuer à faire des films comme cela pour montrer la nature très proche, c’est formidable. Je n’ai jamais arrêté. J’espère que si les gens voient de belles images, ils sauront regarder la nature différemment et la protéger. J’espère que ce que je pense depuis trente ans n’est pas faux. »