Le chercheur Antonin Svoboda

Le chercheur Antonin Svoboda voulait faire de la Tchécoslovaquie un centre informatique mondial. L'unique désir de cet homme discret était de se consacrer à la recherche. Les circonstances ont réduit son rêve à néant.

A. Svoboda était un jeune homme à talents multiples. Timbalier occasionnel à la Philharmonie tchèque, il jouait également très bien du piano et dans les années trente a publié un livre intitulé La nouvelle théorie du bridge. Il est évident que A. Svoboda aurait très bien pu se lancer avec succès dans divers domaines. Pourtant, son attention s'est portée sur l'automatisation des calculs et le traitement de l'information. Il a fait des études en électrotechnique et mécanique à l'école des Hautes Etudes Techniques, à Prague. Plus tard l'étudiant doué s'est lancé dans l'étude de la physique expérimentale et théorique à l'Université Charles.

A la veille de la Seconde Guerre mondiale, le Ministère des affaires étrangères envoie A. Svoboda à l'étranger pour étudier la problématique de commande du tir. Version officielle pour brouiller une mission importante : sortir du pays la documentation sur son invention, le viseur de tir aérien pour le proposer aux autorités occidentales compétentes. Le jeune chercheur quitte la Tchécoslovaquie à temps car il est déjà sérieusement filé par la Gestapo. Arrivé en France, il pense adhérer aux Unités tchécoslovaques, mais c'est le Ministère de la guerre qui le réclame. L'invasion de la France par les troupes allemandes oblige A. Svoboda, sa femme et son fils de six mois à s'enfuir de Paris. Il faut emmener les plans du viseur de tir aérien et les cacher quelque part...Il n'y a pas plus discret qu'un cadre de bicyclette ! Le trio arrive à Marseille et attend l'occasion de partir aux Etats-Unis. La famille est sur le point de s'embarquer sur le bateau via Casablanca, mais le douanier français refuse de faire passer le vélo à bord. A. Svoboda n'a pas d'autre solution que de jeter la bicyclette par-dessus bord. Ainsi les plans du viseur de tir aérien finissent au fond de la Méditerranée.

Arrivé aux Etats Unis, le savant tchèque commence presque aussitôt à travailler à New York, pour ABAX, firme dont il deviendra vite vice-président. En 1943, il entre à l'Institut technologique de Massachusetts (MIT). Les résultats des travaux au MIT sont regroupés dans la première monographie au monde sur l'informatique : Mécanismes en informatique et connexion (Computing Mechanisms and Linkages), publiée un an après la guerre. Au MIT, A. Svoboda a collaboré avec Norbert Wiener, Howard Aiken et Claude Shannon, noms légendaires en cybernétique.

Après la guerre, A. Svoboda ne peut résister à la tentation de regagner sa patrie pour en faire un centre informatique mondial. Il commence à travailler à l'Institut des mathématiques de l'école des Hautes Etudes Techniques. A la fin des années quarante, le chercheur fonde le Laboratoire de développement des machines à calculer à relais et des engins mathématiques sophistiqués. Plus tard, le laboratoire se fait appeler Aritma. Les dirigeants communistes trouvent les machines de A. Svoboda trop rapides, donc inutilisables. Découragé, le savant abandonne et passe à l'Institut central des engins mathématiques qui vient d'ouvrir. Après un an de travail il projette le premier ordinateur automatique tchèque à relais - SAPO.

Le système est mis en oeuvre à la fin des années cinquante, dans la cave d'un vieil immeuble. Après quelques mois, SAPO est détruit par un incendie provoqué par la poussière accumulée. A. Svoboda est nommé directeur de l'Institut des engins mathématiques de l'Académie tchécoslovaque des Sciences. Malgré tout, il commence à devenir indésirable. Finalement, le chercheur est destitué de sa fonction et perd tout espoir. Il décide de regagner les Etats Unis avec sa famille. A l'arrivée, il travaille pour le département des recherches de General Electric, à Phoenix - Arizona. En 1966, il entre à l'Université nationale de Californie où il est nommé professeur deux ans plus tard. Dans les années soixante-dix, A. Svoboda visite la Tchécoslovaquie pour la dernière fois.

Le professeur prend sa retraite après un infarctus. Il déménage au Portland chez son fils, compositeur renommé. Le savant meurt subitement, le 18 mai 1980, jour de l'éruption volcanique de Mt. Helens.

L'ouvrage Méchanismes en informatique et connexion (Computing Mechanisms and Linkages) et le viseur de tir Mark 56, apprécié sur les navires de guerre au Pacifique, ont apporté à l'homme, qui a été victime de l'ingratitude du destin, l'Ordre suprême de la marine de guerre des Etats Unis.