Les femmes et le numérique, quand les portes sont toujours fermées
La conférence « Women in Tech – The gender algorithm » ce jeudi 12 avril à Prague a pointé la sous-représentation des femmes dans le secteur de la technologie et des sciences. L’opportunité pour les participants d’évoquer les facteurs qui discriminent toujours les femmes dans l’accès à ce secteur.
Aujourd’hui, le secteur des technologies numériques amène à des changements structurels économiques et sociaux. Alors que le numérique et les écrans sont omniprésents dans nos vies, la place des femmes n’est toujours pas assurée dans ce secteur d’avenir. Dans les métiers du numérique, la part des femmes reste en Europe inférieur à 20% et n’augmente pas. En Tchéquie, le chemin reste long. Selon Eurostat, en 2019, environ 17% seulement des personnes employées dans le secteur des technologies, de l’information et de la communication (TIC) étaient des femmes. La discrimination se fait dès l’école puisque la proportion de femmes parmi les étudiantes en informatique, en mathématiques et statistiques était d’environ 28% dans les universités tchèques.
Une inégalité à multiples facteurs
A l’occasion de la conférence « Women in Tech – The gender algorithm » - « Les femmes dans la technologie - L'algorithme du genre », conjointement organisée par l’Ambassade de France, le CIIRC, le Centre RICAIP et l’Institut Français de Prague, les intervenants sont revenus sur les moyens à mettre en œuvre pour favoriser la participation des filles dans le secteur technologique à la fois dans le milieu universitaire, mais aussi sur le marché du travail. Isabelle Collet, professeure de sciences de l’éducation à l’Université de Genève, spécialiste de l’inclusion des femmes dans le monde du numérique, était présente, l’occasion de mettre le sujet sur la table :
Isabelle Collet : « Quand j’ai commencé à travailler sur le sujet il y a vingt ans, il n’intéressait personne. On me disait que les femmes n’étaient simplement pas intéressées et qu’il ne fallait pas les forcer. Depuis quelques années, avec la pénurie d’informaticiens, et donc d’informaticiennes, on reconsidère le sujet d’attirer les femmes dans ces secteurs. Mais le sujet n’est pas nouveau : des recherches et des études ont été réalisées qui montrent les pratiques efficaces et celles qui ne fonctionnent pas. C’est pour cette raison que c’est important pour moi de venir prendre la parole dans ce type d’événement pour montrer que ce n’est pas que du discours, mais des recherches. Il est possible de changer les choses si les moyens sont mobilisés. »
La sous-représentation féminine dans la technologie peut s’expliquer selon plusieurs facteurs. Les stéréotypes de genre et la manière dont les jeunes filles sont socialisées dès leur plus jeune âge est une partie de la réponse. Les filles sont encouragées à se tourner vers des domaines qui seraient considérés comme plus féminins : les arts, les sciences sociales ou la médecine. Au contraire, les garçons se tournent davantage vers les domaines de l’informatique ou de l’ingénierie. Ces stéréotypes ont toujours un impact et laissent penser aux filles que les carrières de la ‘tech’ ne sont pas pour elles. Le manque de modèles féminins actuellement contribue aussi à dissuader les filles qui ne peuvent pas s’identifier pour comprendre qu’elles peuvent réussir dans ce domaine. L’environnement de travail peu inclusif influe également sur leurs choix.
« Construire un environnement pour attier les filles »
Lutter contre les facteurs discriminants pour promouvoir la diversité dans le secteur de la tech est une partie de la solution. Combattre les stéréotypes, oui, mais pour Isabelle Collet, il faut surtout construire tout un nouveau cadre de travail :
« Lutter contre les stéréotypes ne m’intéresse plus. Je ne dis pas qu’ils n’existent pas ou qu’ils n’ont pas d’effet. Le point de départ est que tout le monde est convaincu que les cerveaux bleus et roses n’existent pas. Mais les stéréotypes peuvent être comparés avec les mauvaises herbes c’est-à-dire que l’on se bat pour les déconstruire et ils repoussent. Je pense que le plus important n’est pas tant de déconstruire les stéréotypes mais plutôt de construire de l’égalité. En construisant un environnement pour attirer les filles afin qu’elles sentent bien où elles sont, les stéréotypes tomberont d’eux-mêmes. La première chose à mettre en œuvre est de former les enseignantes et les enseignants à enseigner de manière inclusive et égalitaire en sciences, en informatique mais aussi dans tous les domaines. Actuellement, les enseignants sont convaincus qu’ils enseignent pour tous. Mais en réalité, ce n’est pas le cas, car les contenus ou les pédagogies des enseignements sont moins neutres qu’ils ne le pensent. Si nous parvenons à former tous les enseignants de manière obligatoire et évaluée à enseigner de manière égalitaire, nous n’aurions pas besoin de discuter sur la manière de déconstruire les stéréotypes mais plutôt d’arrêter de les faire advenir en classe. »
Construire un nouveau cadre diversifié, offrir un environnement de travail sain à la fois à l’université et sur le marché du travail, ce sont les bases posées pour les intervenants présents à cette conférence. Karima Boudaoud, professeure d’informatique à l’Université Côte d’Azur, en France, partage le même avis. Selon elle, il est aussi important de donner envie aux jeunes filles de s’orienter dans les métiers du numérique en leur montrant le panel de métiers envisageables :
Karima Boudaoud : « Ce qui est important de montrer que l’informatique n’est pas seulement coder ou hacker mais qu’au contraire, il y a une grande variété de métiers dans ce secteur. L’informatique touche aujourd’hui tous les domaines : la santé, les finances, la banque etc. Il faut mener des actions pour montrer aux filles que l’informatique leur offre des métiers différents où elles peuvent trouver leur place en fonction de leur passion. Il est possible de lier psychologie et informatique par exemple. Il faut les approcher différemment en leur montrant que l’on peut utiliser l’informatique dans différents domaines. »
Présente également à la conférence de jeudi, Marta Musilová, analyste des politiques au Département de l’égalité de genre, a présenté la ‘Stratégie 2021-2030’ pour l’égalité de genre du gouvernement tchèque réalisé avec le soutien de l’Union européen via le Fonds social européen.