Le cinéma tchécoslovaque des années 1960 à l’assaut des salles obscures françaises
Quand on demande à des cinéastes français de passage en Tchéquie, souvent à l’occasion de différents festivals, s’ils ont des affinités avec le cinéma de ce pays, la grande majorité font référence aux films de la Nouvelle vague tchécoslovaque. Du cinéma tchèque, seul celui des années 1960 ou presque est parvenu avec succès à pénétrer les salles obscures hexagonales. Quels sont les ressorts de la réception du septième art tchécoslovaque en France durant cette décennie ? C’est la question que s’est posée Anne-Charlotte Gourraud, désormais journaliste, à l’occasion d’un travail universitaire qui a donné lieu à la parution d’un ouvrage au nom sans équivoque, « La France et le cinéma tchécoslovaque des années soixante ».
« Avant que le miracle de la production cinématographique tchécoslovaque se produise dans les années 1960, la créativité des cinéastes était limité par le réalisme-socialiste imposé par le régime. Avec le dégel culturel, les cinéastes, jusqu’ici découragés, vont se lancer dans de nouvelles productions avec une liberté retrouvée, ce qui va créer cette impression de miracle et cette impression de « décennie dorée », comme il est coutume de l’appeler. Cette renaissance ne se fait pas ex-nihilo. Il y a de jeunes cinéastes qui vont s’appuyer sur le passé cinématographique du pays et sur des mouvements artistiques, comme le surréalisme, qui avait déjà touché le pays, mais aussi sur certains mouvements plus récents qui vont arriver en Tchécoslovaquie, comme le cinéma vérité. Les cinéastes de la Nouvelle vague vont ainsi surprendre par leur créativité, leur liberté retrouvée. Les scénarios sont très travaillés. L’humour noir et l’absurde caractérisent une grande partie de ces films. D’autres vont se distinguer par leur qualité technique et leurs innovations artistiques, je pense par exemple à la cinéaste Věra Chytilová et à son chef-opérateur Jaroslav Kučera. »
Aujourd’hui, quand on demande à des cinéphiles français ce qu’ils connaissent du cinéma tchèque, on en revient toujours à ce mouvement de la Nouvelle vague. Comment ces films sont-ils arrivés en France dans les années 1960 ?
« Les relations entre la France et la Tchécoslovaquie se sont adoucies par la période de dégel et au début des années 1960. Les relations sont normalisées, des accords de coopération culturelle sont signés et de nombreux intellectuels et journalistes font des allers-retours entre les deux pays permettant de témoigner de cette renaissance culturelle tchécoslovaque. Des journalistes comme Antonín Liehm, du côté tchécoslovaque, vont être de véritables passeurs pour ces films, les faisant connaître auprès des critiques et du public français. Il y aussi l’association France-Tchécoslovaquie, qui va jouer un rôle déterminant dans la diffusion des films, au sein notamment du réseau des ciné-clubs qui est très important à l’époque en France. Enfin grâce au succès critique des films dans la presse et les revues spécialisées, et même aussi dans les festivals de cinéma internationaux : il faut savoir que les films tchécoslovaques raflaient de nombreux prix à l’époque. Il y a des petits exploitants de cinéma, qui sont à l’époque des petits boutiquiers qui proliféraient à Paris notamment, qui vont se lancer dans l’aventure et acheter eux-mêmes les droits de diffusion des films. »On sait l’importance du rôle joué par les revues françaises dans l’émergence de la Nouvelle vague française. Quel rôle jouent-elles pour la diffusion des films tchèques en France ? Font-elles une lecture esthétique des films ou privilégient-elles une lecture politique au vu du contexte politique en Tchécoslovaquie ?
« La presse et les revues spécialisées ont eu un rôle majeur véritablement dans la distribution et la promotion de ces films en France. L’arrivée de la Nouvelle vague tchécoslovaque coïncide avec la fin de la Nouvelle vague française. Donc forcément il y avait peut-être t une attente au niveau des critiques et il y a un effet de surprise important, du fait aussi de la méconnaissance française du cinéma tchécoslovaque qui précédait ce mouvement. Les critiques se retrouvent face à un cinéma libéré avec forcément à leurs yeux une forme de témoignage sans précédent sur la situation politique dans les pays satellites de l’Union soviétique. La lecture esthétique va dans un premier temps être majoritaire car une partie de ces films, notamment le cinéma de Miloš Forman, poussent les critiques à faire des comparaisons avec la Nouvelle vague française. Ils vont voir en Forman un héritier et encenser l’universalité de ces films et de ces portraits de jeunesse. C’est vraiment la vérité sociale et l’universalité qu’on va aller chercher dans cette Nouvelle vague tchécoslovaque. Ce qui fait que certains films en revanche, peut-être plus éloigner de cette veine du cinéma vérité, comme les films de Věra Chytilová ou de Jan Němec, vont parfois recueillir des réserves de la part des critiques.A partir de 1967-1968, la lecture politique va s’affuter du côté des critiques. Les films vont plus facilement être interprétés à la lumière de l’actualité et les critiques vont voir dans certains scénarios des critiques à peine déguisées du régime. Mais cette interprétation politique va vite disparaître avec le Printemps de Prague, où progressivement en France on va moins s’intéresser aux films, parce que, aussi, les cinémas français d’art et d’essai ont de moins en moins la possibilité de les acheter et de les distribuer. En parallèle, la littérature tchécoslovaque va un peu prendre la place du cinéma de la Nouvelle vague en France, notamment grâce au rôle d’Antonín Liehm, qui était vraiment un véritable ambassadeur de la culture tchécoslovaque entre Prague et Paris à l’époque. »
Vous avez évoqué les ciné-clubs, où l’on passe ces films tchécoslovaques. Le public est-il un public essentiellement cinéphile qui fréquente ces ciné-clubs ou ce cinéma tchécoslovaque touche-t-il un plus large public ?
« C’est essentiellement un public cinéphile. Les films de la Nouvelle vague tchécoslovaque ont connu deux réseaux de distribution en France. Le réseau de distribution commerciale s’est limité à ces cinémas d’art et essai. Il faut savoir que cette décennie en France est marquée par la prolifération des petits exploitants. Il y avait une cinquantaine de salles à Paris, une soixantaine en banlieue et en province. Les films vont littéralement squatter ces salles d’art et d’essai et toucher un public cinéphile qui à l’époque est essentiellement étudiant. Je crois que la moitié du public a entre 15 et 24 ans dans les salles de cinéma. En parallèle, les films vont être aussi diffusés au sein des ciné-clubs en France et donc toucher à priori un public plus large. En 1967, l’association France-Tchécoslovaquie organise toute une campagne de promotion des films tchécoslovaques à travers la France et va vraiment toucher des toutes petites villes de province. Cela-dit, le fait que le cinéma tchécoslovaque n’ait jamais été doublé et que le public français dans sa grande majorité n’est pas prêt à regarder un film sous-titré au cinéma a tout de même condamné ce cinéma à ce succès restreint au sein des réseaux cinéphiles. De mémoire, je crois que le plus grand succès va être Les Amours d’une blonde de Miloš Forman qui va faire 120 000 entrées dans le circuit commercial art et essai. »Est-ce que ce cinéma joue un rôle dans les relations diplomatiques entre la France et la Tchécoslovaquie dans ces années 1960 ? Vous avez eu accès aux archives du service culturel de l'Ambassade de France à Prague. Qu’y trouve-t-on ?
« Je ne sais pas s’il y a vraiment eu un rôle important. Ce qui est évident, c’est que, entre 1949 et le milieu des années 1950, les relations culturelles entre la France et la Tchécoslovaquie ont été détruites et cela mettait à mal toute une stratégie française de maintien de sa puissance par l’outil culturel dans les pays d’Europe centrale et orientale. Le régime socialiste va aussi instaurer toute une censure dans l’importation des films français et la réception de ces films en Tchécoslovaquie. A partir du milieu des années 1950, les relations culturelles vont s’assouplir et au début des années 1960, les échanges vont reprendre de façon significative dans les deux sens. Beaucoup d’acteurs de la vie culturelle française qui vont voyager en Tchécoslovaquie et ainsi établir des liens avec les milieux intellectuels tchécoslovaques. Du côté tchécoslovaque, on va considérer la France comme le vecteur privilégié de la culture tchécoslovaque dans le monde capitaliste. L’étude des archives diplomatiques permet de se rend compte que très vite, l’ambassade française à Prague prend acte de ce climat de dégel culturel et du bouillonnement culturel qui a lieu en Tchécoslovaquie. Au milieu des années 1960, il y a même un protocole d’échange culturel qui est signé entre la France et la Tchécoslovaquie, permettant notamment de développer une politique active concernant le cinéma. »
Que reste t-il aujourd’hui du cinéma de la nouvelle vague tchécoslovaque en France ?
« Ce cinéma tchécoslovaque en France, il est encore essentiellement connu des cinéphiles. Les plus jeunes, les jeunes cinéphiles, ont désormais plus facilement accès aux copies des films, tout ça essentiellement grâce au travail d’un distributeur, Malavida, qui a sorti ces dix dernières années de nombreux films de la Nouvelle vague tchécoslovaque en DVD. Ils étaient encore introuvables il y a dix ans en France. L’Institut tchèque aussi continue d’organiser quelques fois par an des séances pour promouvoir les films de cette Nouvelle vague tchécoslovaque. »